Et si Nicolas Sarkozy était une œuvre d’art contemporain ?

Dans la dernière livraison du Courrier international, on peut lire un billet d’humeur ainsi titré : so kitsch et si narcissique. La création contemporaine est-elle nulle ? Telle est la question à laquelle tente de répondre Ben Lewis dont le verdict est assez tranché. L’art contemporain se présente comme une fin de série, même si on y trouve quelques œuvres intéressantes. Bref, l’art serait à bout de souffle, comme il l’aurait été avec le maniérisme achevant la Renaissance, le rococo évoquant la décadence de l’Ancien Régime ou encore les salves de l’académisme saluant la fin du Second Empire. L’art en bout de course est-il un signe des sociétés devenues elles aussi conventionnelles, incapables de se réinventer ? Cette question suscite la controverse et si la réponse se veut affirmative, alors il faut supposer et démonter que l’artiste non seulement parle pour son époque mais livre aussi des traits personnels typiques de son temps. Cette conjecture étant posée, il est temps d’examiner le propos de Lewis sur cet art conceptuel naguère nouveau mais devenu une parodie.
Lewis trace un parallélisme avec le rococo français mettant en scène le luxe, la frivolité et du dilettantisme, un art très prisé par les notables de l’Ancien Régime corrompu, férus des postures lascives exécutées par un François Boucher marquant la rupture avec les valeurs classiques, chrétiennes et morales héritées du Baroque. Quatre traits semblent caractériser les œuvres autant que les démarches artistiques en ce 21ème siècle débutant sans grandeur ni noblesse. D’abord l’usage des stéréotypes, puis le narcissisme, l’appel aux sentiments et enfin le cynisme. Alors que je parcourais ces subtiles réflexions esthétiques, une idée traversa mon esprit. Ces quatre traits de l’art contemporain des deux décennies passées, on les retrouve chez Nicolas Sarkozy. Etonnant. Mais pas si surprenant. Les chroniqueurs n’ont-il pas qualifié Mitterrand d’artiste ? On aurait tendance à l’oublier mais gouverner est tout un art. Même que cet art, poussé dans une posture esthétique enflée, tend à faire oublier la politique réelle au profit d’une mise en scène où un chef d’Etat semble mimer la politique, quitte à risquer la parodie. Passage en revue des quatre traits.
Les stéréotypes de Sarkozy, on les trouve à travers les nombreux emprunts à des valeurs dépassées fautes d’être retravaillées, comme justement le travail. Ou alors avec l’instrumentalisation de figures historiques, parfois en décalage avec le sens, comme c’est le cas avec Jaurès naguère loué par un président qui se réfère évidement à la figure du Général et dont on est sûr qu’avec son conseiller Guaino, il sera pourvu en stéréotypes et même avec la technique qui permet d’associer les stéréotypes ; qui en art conceptuel, est connue comme étant le collage. Et cette ouverture, n’était-elle pas un collage avec un social traite, un socialiste opportuniste, une chiraquienne guidée, une pharmacienne volubile, une beurette et une blackette pour la diversité et passons sur le reste ? Laissons aux analystes la recherche des stéréotypes mais il est vrai qu’en politique, l’originalité devient hors de portée, surtout à une époque où les gens privilégient le goût standard.
Le narcissisme est un trait d’époque auquel n’échappent pas les élites, comme l’a montré Lasch qui a su détecter assez tôt le phénomène aux Etats-Unis. Rien d’étonnant à ce que le narcissisme soit un trait saillant caractérisant quelques hommes politiques. Sarkozy est-il narcissique ? Pour le savoir, scrutons les détails de la scène. On voit déjà le sarkophobe averti, connaissant de but en blanc tous les défauts du président, pointer cette histoire de comédie où des Français ont été convié à jouer les figurants sous réserve qu’ils aient une taille en dessous de la moyenne. Narcissique, la course à pied du président, premier devant un premier ministre bien plus performant ? Narcissisme, les postures jouées devant les caméras ? Il est par ailleurs un fait assez connu, celui d’un président sacrifiant à l’autosatisfaction. Quelques mauvaises langues prétendent même que lors des dîners présidentiels, il faut s’employer à flatter le maître de cérémonie mais tous ces convives et autres commensaux ne seraient pas eux aussi suspectés de narcissisme ?
Les sentiments semblent être un trait essentiel du style présidentiel. Un jour, c’est le côté fleur bleu, deux jeunes amants main dans la main sur une plage d’Egypte. Un autre jour, c’est la colère, enfin, disons que c’est souvent que le président se fâche, contre les journalistes, les traders et même très récemment, il ne décolère pas contre les gitans et les caïds de banlieue avec les dangers de la stigmatisation et surtout, une entorse aux principes républicains, notamment lorsque des mesures ont été prises contre des gens du voyage parce que dans un coin de la France, quelques agités s’en sont pris à la gendarmerie après le décès de l’un des leurs. Autant ces actes sont injustifiables, autant on se doit de condamner le principe de représailles à titre collectif. Ce sentimentalisme populiste nous ramène aux querelles de cour d’école. Le gamin, qui ne connaît pas les valeurs républicaines, s’imagine légitime lorsqu’il se venge sur les membres d’une bande parce qu’il a été secoué par l’un d’entre eux. Autre trait sentimentaliste, celui des postures compassionnelles souvent adoptées par notre président qui par ailleurs, s’étant ému de Guy Moquet, a souhaité émouvoir les enfants de la république et même que dans un zèle formidable, cette lettre fut lue aux joueurs de rugby avant un match par un entraîneur sans doute soucieux de plaire avant sa nomination au gouvernement. Lewis dit que l’art est devenu petit, superficiel et complaisant envers lui-même : il est plus sentimental que véritablement intellectuel ou passionné. Un art authentique ouvre un champ d’interprétation. La politique devrait être un débat où sont confrontés les interprétations et les valeurs. A l’inverse, Sarkozy semble réduire les débats au profit de l’évidence. Tout semble couler de source, le mérite, la répression, les retraites, les bonus et j’en passe. Bref, la politique paraît se rétrécir, à l’instar des œuvres d’art conceptuels dont on sait qu’elles servent l’artiste bien plus que l’art.
Dernier point, le cynisme. Des artistes réalisant des œuvres sur leur propre faiblesse, mettant en figure leur inaptitude à disposer de la moindre idée. Sarkozy ne pratique-t-il pas une forme de cynisme, mais cette fois, joué en boomerang jeté à la face des gens lorsqu’il se lamente sur l’échec de cinquante ans d’immigration et d’intégration ratée ? Sarkozy cynique, non, ce n’est pas possible. Et puis, que signifie le cynisme contemporain, que ce soit en art ou en politique ? Une attitude désinvolte, une complaisance envers soi-même, un nombrilisme qui mériterait qu’on étende ce propos aux romans minimalistes typiques d’une époque vouée à la culture du soi, voire au culte de soi, bref, un art « désartisé » ou mieux encore, un désert esthétisé. Chut ! Déjà la meute se prépare pour aboyer dans ce désert quand la caravane du nihilisme parade dans les scènes officielles ou alors, artificielles, lorsqu’une première dame fait semblant d’être actrice devant un metteur en scène new-yorkais venu tourner un film à Paris. Woody Allen pris en flagrant délit de rococo, filmant la Bruni comme en d’autre temps Boucher peignait la Pompadour.
Faut-il s’étonner, s’inquiéter, s’énerver, en constatant ces quelques similitudes entre le style présidentiel et cet art contemporain terne, médiocre, surfait, mais tant prisé, à un point tel qu’on se demande s’il n’y a pas manipulation, de la part des artistes qui s’enrichissent, de la part des politiques qui s’en réclament pour vanter leur action culturelle, de la part des richissimes amateurs qui font les cotes et les décotes, alternant entre snobisme, paraître et spéculation. L’art conceptuel est le plus souvent une manipulation du public par les artistes. Il représente l’achèvement de la Modernité où tout n’est que savoir-faire, manipulation et marchandise. Nicolas Sarkozy ne doit pas être condamné, car il est le président de cette époque finissante et son style colle à celui de ses contemporains d’un certain niveau social. Il est loin d’être le seul à afficher ce style. Chassez le culturel, il revient au galop. Cherchez le modernisme chez Sarkozy, vous ne trouverez qu’un académisme dans le style, mais quelque peu grossier, mâtiné de kitsch et de clinquant.
Comme le dit ce proverbe chinois, président contemporain, citoyen mécontemporain.
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