Et si on débaptisait les rues François Mitterrand ?
La mode est à la débaptisation de rues, au déboulonnage ou vandalisme de statues célébrant des personnages historiques qui auraient eu le tort, au cours de leur vie politique, de se rendre coupables de fautes qu’un anticolonialisme revanchard réprouve.
Dans le sud des Etats-Unis, on veut abattre les statues des généraux conférés, Lee et Jackson, celle du président Jefferson Davis. En Angleterre, on veut s’attaquer à celle de Churchill à cause de la famine du Bengale de 1943. En France, on veut démolir les statues de Colbert à cause du Code noir, celle de De Gaulle considéré comme un esclavagiste.
Ces actions aussi ridicules que regrettables dénotent le ressentiment et la haine de certaines communautés, ainsi que leur étroitesse d’esprit et leur inculture historique, dans la mesure où le jugement à porter sur une personnalité politique ne peut se résumer à un simple épisode de sa vie, fût-il regrettable. Ainsi, l’action de Colbert ne peut-elle se résumer au Code noir. Et d’ailleurs, il n’est pas célébré en France pour la codification de l’esclavage, mais pour ses qualités de grand administrateur.
Mais, supposons que l’on veuille se cantonner à la même veine de dénigrement des actions passées suivant un point de vue rancunier, le nom de François Mitterrand peut naturellement venir à l’esprit à cause de sa politique colonialiste durant la guerre d’Algérie.
Les faits rapportés ci-après et souvent inconnus du grand public, puisqu’ils se réfèrent à la Quatrième république, ont fait l’objet d’un ouvrage :
« François Mitterrand et la guerre d'Algérie, de François Malye et Benjamin Stora (Calmann-Lévy, 300 p., 17 euros). »
Garde des Sceaux du gouvernement Guy Mollet, partisan de l’Algérie Française et soucieux de donner des gages aux colons, Mitterrand défendit le projet de loi de mars 1956 dit des "pouvoirs spéciaux" qui donnait tous pouvoirs aux militaires en matière de justice sur le sol algérien, créant de facto l’institutionnalisation de la torture. La majorité de l'Assemblée, communistes compris, vota pour. Il faut savoir en effet que ce n’est pas l’armée française de son propre chef qui pratiqua la torture, mais que cette pratique répondant aux attentats meurtriers du FLN fut autorisée par un gouvernement socialiste de l’époque.
Pire, Mitterrand avalisa les condamnations à mort de militants indépendantistes, notamment celle d’un Français, Fernand Iveton, membre du Parti communiste algérien, guillotiné le 11 février 1957. Sous son ministère, 45 militants algériens furent condamnés à mort, Mitterrand ne donnant que huit avis favorables à la grâce au président Coty, en refusant 32.
On prétend que Mitterrand, face à ces excès, songea à démissionner. En réalité, il n’en fit rien. Il espérait devenir enfin Président du Conseil, ce qui n’advint jamais. Il était en compétition pour ce poste avec Bourgès-Maunoury et tous deux étaient partisans de la peine de mort pour les indépendantistes.
A l’époque, Mitterrand n’était nullement révolté par la peine capitale en matière politique.
Extrait de l’ouvrage :
« L'Algérie est le principal sujet abordé par Guy Mollet ce 15 février 1956. Le président du Conseil, leader de la SFIO, le parti socialiste, est assis à la droite de René Coty, au sommet de la table en U où se tiennent les quinze autres membres du gouvernement présents, ministres et secrétaires d'État. À la gauche du président de la République, Pierre Mendès France, puis Jacques Chaban-Delmas, ministre des Anciens Combattants. Enfin, à la droite de Guy Mollet, François Mitterrand. Cette position ne doit rien au hasard, puisqu'il est le troisième personnage du gouvernement. (...) Devant lui, il a posé un dossier. (...)
C'est maintenant Max Lejeune qui parle. Le secrétaire d'État à la Défense nationale, chargé de la Guerre (c'est à-dire des opérations en Algérie), fait partie des quinze socialistes du gouvernement. C'est un dur, un partisan convaincu de l'Algérie française. (...)
Max Lejeune donne alors les chiffres que François Mitterrand, en tant que ministre de la Justice, vient de lire dans son dossier. Deux cent cinquante-trois condamnations à mort ont été prononcées contre des nationalistes algériens, dont 163 par contumace. Quatre-vingt-dix d'entre eux se trouvent dans ce qu'on appellera bien plus tard les "couloirs de la mort" des principales prisons d'Algérie. "Les peines de 55 d'entre eux, insiste Max Lejeune, ont été confirmées par le tribunal de cassation d'Alger. Des sentences doivent être exécutées", conclut-il d'une voix ferme. Sous cette phrase soulignée par Marcel Champeix qui débute la septième page de ses notes, les avis des ministres concernés tiennent en un mot.
Gaston Defferre (ministre de la France d'outre-mer) est contre.
Pierre Mendès France, "contre également".
Alain Savary (secrétaire d'État aux Affaires étrangères chargé de la Tunisie et du Maroc), contre.
Maurice Bourgès-Maunoury, pour.
Le dernier à se prononcer est François Mitterrand. "Pour", dit-il. »
Sources : Le Point, Laurent Theis, Guerre d’Algérie, le dernier tabou de Mitterrand, 15 octobre 2010.
Le Point, Emmanuel Berretta, François Mitterrand, un guillotineur en Algérie, 4 novembre 2010
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