Etats-Unis : l’âne est un éléphant
Ubu n’est pas mort, il a émigré de l’autre côté de l’Atlantique.

Eh ben dis donc ! Le landerneau du net, scandalisé par la nouvelle, vient d‘apprendre que Nelson Mandela figurait toujours sur la liste des terroristes interdits de séjour aux Etats-Unis !
Et ce n’est pas un oubli : le Nobel Prize soi-même et les autres dirigeants de l’ANC étaient autorisés à se présenter dans le bâtiment de l’ONU à New York City, mais pas au-delà.
Il ne s’agit pas non plus d’un simple oukase nixonien, reaganien ou bushiste : ni Jimmy Carter ni Bill Clinton n’ont changé quoi que ce soit à l’interdiction de séjour frappant les ennemis de l’apartheid, ni le Congrès quelle que fût sa couleur politique. En somme, lorsqu’un combattant de la liberté et l’organisation qu’il représente se retrouvent listés au chapitre « terrorisme » pour avoir osé s’opposer - par les armes même pas toujours - à un pouvoir inique, c’est pour la vie ou presque, car on se demande ce qu’il en aurait été si Mandela était décédé plus précocement ?
Vous visualisez des funérailles nationales en Afrique du Sud en présence du président des Etats-Unis venu se recueillir devant le catafalque du « terroriste » ?
A ce point de fanatisme bureaucratique, ça devient pathétique.
On peut d’ailleurs se demander à bon droit si Morgan Tsvangirai, qui s’est permis de tenir tête à Mugabe, quoique ouvertement soutenu par Washington n’est pas lui-même inscrit sur la liste rouge ?
Non, me direz-vous, c’est le contraire : c’est Mugabe qui est persona non grata, non pas pour le bon motif, parce qu’il est un dictateur sans scrupules, ce dont l’Amérique s’accommode fort bien quand cela sert ses intérêts, mais pour le mauvais, à savoir qu’il combattit les fascistes rodhésiens de Ian Smith, qui n’avaient rien à envier à leurs amis Afrikaners.
L’embarrassant pour la diplomatie états-unienne, c’est que l’annonce de la prochaine réhabilitation de Nelson Mandela intervient au moment même où le New Yorker révèle que les services secrets de l’Oncle Sam ont pris depuis au moins 2006 l’habitude d’intervenir régulièrement sur le territoire iranien depuis leurs bases irakiennes afin d’y repérer sur le terrain des cibles potentielles et, plus grave, d’y enlever certains membres des pasdarans - la milice soutenant le régime théocratique - afin d’obtenir des renseignements sur le dispositif nucléaire ou militaire du pays par des moyens qu’on préfère ne pas envisager.
Vous imaginez des pasdarans installés au Mexique ou au Canada menant des incursions au Texas ou dans le Montana pour y enlever des agents du FBI ? L’Iran serait dans les heures qui suivent transformé en vapeur d’eau légèrement radioactive sous les applaudissements du « monde libre ». C’est vrai, quoi, il convient de faire respecter la souveraineté des Etats sur leur territoire !
Et ces combines douteuses ne sont pas que de l’administration Bush-Cheney pur jus : cela fait un an et demi que le Sénat et la Chambre des représentants ont viré démocrate pour au final soutenir une politique qui n’a rien à envier à celle que défendait le précédent Congrès républicain.
Ces deux nouveaux épisodes ne font que conforter ce qu’on soupçonne depuis longtemps : l’Amérique est une démocratie religieuse, culturelle, médiatique et surtout commerciale, mais pour ce qui en est du politique - et ce n’est pas un hasard si une majorité d’Américains s’en soucient peu -, ce n’est qu’un fantôme de démocratie où un parti unique au service des lobbies financiers, industriels et militaires comme des différentes « agences » bureaucratiques et policières en miroir de l’ex-KGB, trompe les benêts de citoyens en portant deux noms symbolisés par l’obstination de l’âne et la robustesse de l’éléphant*.
Un Barack Obama, aussi imprévu et atypique soit-il dans ce paysage figé depuis des décennies grâce aux bénéfices secondaires ** de la guerre froide puis de l’islamo-terrorisme, en admettant qu’il soit élu, pourra-t-il ou voudra-t-il insuffler quelques changements, aussi bien pour la crédibilité du discours démocratique à destination domestique ou extérieure, que pour l’honneur des Etats-Unis ?
*il ne s’agit pas de l’explication originale de cette double symbolique.
** tiré du vocabulaire psychanalytique : manière de profiter après coup d’une situation a priori désagréable.
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