Etude socio-historique de l’eschatologie judéo-nazaréenne (suite)
L’éruption du Vésuve (79 ap. J.-C.)
Le 24 août 79[1], soit six ans après la prise de Massada et la fin de la première guerre judéo-romaine, le Vésuve entra en éruption et ensevelit les villes de Pompéi, Herculanum, Oplontis et Stabies sous une énorme couche de poussières, de pierres ponces et de lave incandescente. Au total, environ 30 000 personnes périrent dans la catastrophe.
Dans une lettre adressée à Tacite, l’écrivain et homme politique Pline le Jeune (61-114 ap. J.-C.) décrit ces jours funestes dont il avait été le témoin :
« Nous étions à la première heure du jour, et cependant on ne voyait encore qu'une lumière faible et douteuse. Les maisons, autour de nous, étaient si fortement ébranlées, qu'elles étaient menacées d'une chute infaillible dans un lieu si étroit, quoiqu'il fût découvert. Nous prenons enfin le parti de quitter la ville. Le peuple épouvanté s'enfuit avec nous ; et comme, dans la peur, on met souvent sa prudence à préférer les idées d'autrui aux siennes, une foule immense nous suit, nous presse et nous pousse. Dès que nous sommes hors de la ville, nous nous arrêtons ; et là, nouveaux phénomènes, nouvelles frayeurs. Les voitures que nous avions emmenées avec nous, étaient, quoiqu'en pleine campagne, entraînées dans tous les sens, et l'on ne pouvait, même avec des pierres, les maintenir à leur place. La mer semblait refoulée sur elle-même, et comme chassée du rivage par l'ébranlement de la terre. Ce qu'il y a de certain, c'est que le rivage était agrandi, et que beaucoup de poissons étaient restés à sec sur le sable. De l'autre côté, une nuée noire et horrible, déchirée par des tourbillons de feu, laissait échapper de ses flancs entr'ouverts de longues traînées de flammes, semblables à d'énormes éclairs.
[…] La cendre commençait à tomber sur nous, quoiqu'en petite quantité. Je tourne la tête, et j'aperçois derrière nous une épaisse fumée qui nous suivait en se répandant sur la terre comme un torrent. Pendant que nous voyons encore, quittons le grand chemin, dis-je à ma mère, de peur d'être écrasés dans les ténèbres par la foule qui se presse sur nos pas. À peine nous étions-nous arrêtés, que les ténèbres s'épaissirent encore. Ce n'était pas seulement une nuit sombre et chargée de nuages, mais l'obscurité d'une chambre où toutes les lumières seraient éteintes. On n'entendait que les gémissements des femmes, les plaintes des enfants, les cris des hommes. L'un appelait son père, l'autre son fils, l'autre sa femme ; ils ne se reconnaissaient qu'à la voix. Celui-ci s'alarmait pour lui-même, celui-là pour les siens. On en vit à qui la crainte de la mort faisait invoquer la mort même. Ici on levait les mains au ciel ; là on se persuadait qu'il n'y avait plus de dieux, et que cette nuit était la dernière, l'éternelle nuit qui devait ensevelir le monde. Plusieurs ajoutaient aux dangers réels des craintes imaginaires et chimériques. Quelques-uns disaient qu'à Misène tel édifice s'était écroulé, que tel autre était en feu : bruits mensongers qui étaient accueillis comme des vérités.
Il parut une lueur qui nous annonçait, non le retour de la lumière, mais l'approche du feu qui nous menaçait. Il s'arrêta pourtant loin de nous. L'obscurité revint. La pluie de cendres recommença plus forte et plus épaisse. Nous nous levions de temps en temps pour secouer cette masse qui nous eût engloutis et étouffés sous son poids. Je pourrais me vanter qu'au milieu de si affreux dangers, il ne m'échappa ni une plainte ni une parole qui annonçât de la faiblesse ; mais j'étais soutenu par cette pensée déplorable et consolante à la fois, que tout l'univers périssait avec moi. Enfin cette noire vapeur se dissipa, comme une fumée ou comme un nuage. Bientôt après nous revîmes le jour et même le soleil, mais aussi blafard qu'il apparait dans une éclipse. Tout se montrait changé à nos yeux troublés encore. Des monceaux de cendres couvraient tous les objets, comme d'un manteau de neige[2]. »
L’abrégé de l’Histoire romaine de l’historien Dion Cassius (155-235 ap. J.-C.) fourmille également de détails forts intéressants :
« Il y eut tout à coup des vents et de violents tremblements de terre, au point que la plaine tout entière bouillonna et que les cimes de la montagne bondirent. En même temps que se produisaient ces bruits, les uns, souterrains, ressemblant à des tonnerres, les autres, venant de la terre, semblables à des mugissements ; la mer frémissait et le ciel, par écho, répondait à ses frémissements. A la suite de cela, un effroyable fracas, comme de montagnes qui s'entrechoquent, se fit subitement entendre ; puis il sortit d'abord des pierres avec tant de force qu'elles atteignirent jusqu'au sommet de la montagne ; ensuite un feu immense et une fumée épaisse qui obscurcirent l'air et cachèrent le soleil entier comme dans une éclipse.
La nuit succéda au jour et les ténèbres à la lumière ; les uns s'imaginaient que les géants ressuscitaient (on voyait dans la fumée de nombreux fantômes [qui les représentaient, et, de plus, on entendait un bruit de trompettes) ; les autres, que le monde entier allait s'abîmer dans le chaos ou dans le feu. Aussi les uns s'enfuyaient-ils de leurs maisons dans les rues, les autres des rues dans leurs maisons, de la mer sur la terre, et de la terre sur la mer, en proie à la terreur et regardant tout ce qui était loin d'eux comme plus sûr que l'état présent. En même temps, une prodigieuse quantité de cendres se souleva et remplit la terre, la mer et l'air ; d'autres fléaux fondirent aussi au hasard sur les hommes, sur les pays, sur les troupeaux, firent périr les poissons et les oiseaux, et, de plus, engloutirent deux villes entières, Herculanum et Pompéi, avec tout le peuple qui se trouvait assis au théâtre. Enfin la poussière fut telle qu'il en pénétra jusqu'en Afrique, en Syrie, en Égypte et même jusque dans Rome ; qu'elle obscurcit l'air au-dessus de cette ville et couvrit le soleil. Elle y fit naître une grande crainte qui dura plusieurs jours, car on ignorait ce qui était arrivé et on ne pouvait se le figurer : on s'imaginait que tout était bouleversé de haut en bas, que le soleil allait disparaître dans la terre et la terre s'élancer au ciel[3]. »
Le signe de la délivrance et la manifestation glorieuse du Christ
Comme pour beaucoup de catastrophes naturelles qui ont jalonné l’histoire antique, l’éruption du Vésuve été interprétée par les Romains comme un présage défavorable[4]. Mais pour les exilés judéo-nazaréens qui venaient de recevoir la marque du Taw sur leur front[5], un tel cataclysme ne pouvait qu’être le signe de leur prochaine délivrance :
« Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles. Et sur la terre, il y aura de l’angoisse chez les nations qui ne sauront que faire, au bruit de la mer et des flots, les hommes rendant l’âme de terreur dans l’attente de ce qui surviendra pour la terre ; car les puissances des cieux seront ébranlées. Alors on verra le Fils de l’homme venant sur une nuée avec puissance et une grande gloire. Quand ces choses commenceront à arriver, redressez-vous et levez vos têtes, parce que votre délivrance approche. Et il leur dit une comparaison : Voyez le figuier, et tous les arbres. Dès qu’ils ont poussé, vous connaissez de vous-mêmes, en regardant, que déjà l’été est proche. De même, quand vous verrez ces choses arriver, sachez que le royaume de Dieu est proche[6]. »
Eux qui avaient préféré mettre leur confiance en Yahvé plutôt qu’en l’épée virent probablement en ce phénomène une théophanie[7] comparable à celle qui s’était produite peu de temps avant l’intronisation du roi David :
« Dans ma détresse, j’ai invoqué l’Éternel, j’ai crié à mon Dieu ; de son palais, il a entendu ma voix, et mon cri est parvenu devant lui à ses oreilles. La terre fut ébranlée et trembla, les fondements des montagnes frémirent, et ils furent ébranlés, parce qu’il était irrité. Il s’élevait de la fumée dans ses narines, et un feu dévorant sortait de sa bouche : Il en jaillissait des charbons embrasés. Il abaissa les cieux, et il descendit : Il y avait une épaisse nuée sous ses pieds. Il était monté sur un chérubin, et il volait, il planait sur les ailes du vent. Il faisait des ténèbres sa retraite, sa tente autour de lui, il était enveloppé des eaux obscures et de sombres nuages. De la splendeur qui le précédait s’échappaient des nuées, lançant de la grêle et des charbons de feu. L’Éternel tonna dans les cieux, le Très Haut fit retentir sa voix, avec la grêle et des charbons de feu[8]. »
Peut-être avaient-ils également songé à l’intervention miraculeuse de la colonne de feu et de nuée contre les chars de Pharaon lors du passage de la « mer des roseaux » :
« A la veille du matin, l’Éternel, de la colonne de feu et de nuée, regarda le camp des Égyptiens, et mit en désordre le camp des Égyptiens. Il ôta les roues de leurs chars et en rendit la marche difficile. Les Égyptiens dirent alors : Fuyons devant Israël, car l’Éternel combat pour lui contre les Égyptiens[9]. »
Cette même colonne avait été visible plusieurs jours et plusieurs nuits et avait donné l’impression qu’elle reculait à mesure que la troupe des nomades s’en approchait :
« L’Éternel allait devant eux, le jour dans une colonne de nuée pour les guider dans leur chemin, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu’ils marchassent jour et nuit[10]. »
Les judéo-nazaréens firent peut-être aussi le rapprochement avec le spectacle éruptif du mont Sinaï[11] auquel auraient pu assister leurs ancêtres :
« Le troisième jour au matin, il y eut des tonnerres, des éclairs, et une épaisse nuée sur la montagne ; le son de la trompette retentit fortement ; et tout le peuple qui était dans le camp fut saisi d'épouvante. Moïse fit sortir le peuple du camp, à la rencontre de Dieu : et ils se placèrent au bas de la montagne. La montagne de Sinaï était tout en fumée, parce que l'Éternel y était descendu au milieu du feu ; cette fumée s'élevait comme la fumée d'une fournaise, et toute montagne tremblait avec violence. Le son de la trompette retentissait de plus en plus fortement. Moïse parlait, et Dieu lui répondait à haute voix. Ainsi l'Éternel descendit sur la montagne de Sinaï, sur le sommet de la montagne ; l'Éternel appela Moïse sur le sommet de la montagne[12]. »
« Moïse monta sur la montagne, et la nuée couvrit la montagne. La gloire de l’Éternel reposa sur la montagne de Sinaï, et la nuée la couvrit pendant six jours. Le septième jour, l’Éternel appela Moïse du milieu de la nuée. L’aspect de la gloire de l’Éternel était comme un feu dévorant sur le sommet de la montagne, aux yeux des enfants d’Israël. Moïse entra au milieu de la nuée, et il monta sur la montagne. Moïse demeura sur la montagne quarante jours et quarante nuits[13]. »
Les judéo-nazaréens savaient que la nuée ou la fumée, après avoir été théophanique au stade de la colonne, avait eu pour mission de voiler et de protéger la Gloire de Yahvé (sa luminosité éclatante) dans le Tabernacle[14], dans le Temple de Jérusalem[15], et plus tard lors de l’ascension de leur Messie :
« Après avoir dit cela, il fut élevé pendant qu’ils le regardaient, et une nuée le déroba à leurs yeux[16]. »
En voyant le panache de fumée s’élever puis s’étendre dans le ciel, d’aucuns crurent sans doute que Yahvé venait de se manifester afin de glorifier leur Christ :
« Le Fils ne peut rien faire de lui-même, il ne fait que ce qu’il voit faire au Père ; et tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait pareillement. […] Le Père ne juge personne, mais il a remis tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père[17]. »
[1] L'éruption de l'an 79 est documentée par les historiens contemporains et universellement acceptée comme ayant débuté le 24 août. Toutefois, les fouilles archéologiques de Pompéi suggèrent que la ville a été ensevelie quelques mois plus tard. Voir G. Stefani, « La vera data dell'eruzione », in Archeo, octobre 2006. Et également G. Laske, The A.D. 79 Eruption at Mt. Vesuvius, notes de lecture pour UCSD-ERTH15 : « Natural Disasters ».
[2] Pline le Jeune, Lettres, VI, 20.
[3] Dion-Xiphilin, Histoire romaine, LXVI, 21-23.
[4] Tacite, Annales, XII, 43 ; XII, 64 ; XIV, 22 ; XV, 47 ; Suétone, Vie des Douze Césars, Tibère, LXXIV ; Caligula, LVII ; Claude, XLVI ; Néron, XXXVI ; Galba, I ; Domitien, XV ; Dion-Xiphilin, Histoire romaine, XLI, 14 ; XLV, 17 ; L, 8 ; LXXVIII, 1-5 ; Plutarque, Cicéron, XLII.
[5] Apocalypse 7, 1-8.
[6] Luc 21, 25-31.
[7] Une théophanie est, dans le domaine religieux, la manifestation d’un dieu ou de Dieu, au cours de laquelle a normalement lieu la révélation d’un message divin aux hommes ou simplement un avertissement.
[8] Psaumes 18, 7-14.
[9] Exode 14, 24-25.
[10] Exode 13, 21-22.
[11] Il pourrait s’agir du volcan Hala’l Badr situé dans le Nord-Ouest de l’Arabie Saoudite, mais il n’existe pas de données concernant une éruption entre le XIIIème siècle, date supposée de l’Exode et le VIIème siècle, date présumée de rédaction du texte de l’Exode. Par ailleurs, nous savons grâce à Israël Finkelstein et Neir Asher Silberman, auteurs de La Bible dévoilée, que bien des épisodes de la Bible – parmi les plus connus – comme l’errance des Patriarches, l’esclavage des Hébreux en Égypte, l’Exode sous la conduite de Moïse, ou encore la conquête victorieuse de Canaan par Josué, ne sont que des récits légendaires ayant été rédigés au VIIème siècle av. J.-C. afin de légitimer les conquêtes du roi Josias.
[12] Exode 19, 16-20.
[13] Exode 24, 15-18.
[14] Exode 40, 35.
[15] I Rois 8, 11 ; II Chroniques 5, 14.
[16] Actes 1, 9.
[17] Jean 5, 19-23.
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