Exemples d’exploitation de lycéens stagiaires en entreprise
En ce lundi après-midi pluvieux et monotone, votre narrateur était occupé à corriger quelques séries de rapports de stages effectués par des lycéens de classe de terminale bac pro. Dans le bahut où j'ai été reclassé documentaliste je suis notamment chargé de l'aide aux élèves en difficulté, la rédaction des CV et des lettres de motivation ainsi que de l'aide et de l'écoute des gamins pour la rédaction des rapports de séjours en pratiques professionnelles. Les filières proposées aux élèves sont la mécanique, la carrosserie, l'usinage et la productique. Des boulots où il y a de l'embauche, paraît-il, après le bac.
Figurez-vous que le contenu des rapports de ces braves gamins a de quoi faire sursauter. On apprend ainsi (c'est ma première année en lycée pro, je découvre) que nos stagiaires ont passé des journées entières à changer seuls des courroies de distribution sur des véhicules de particulier. Vidanges, pneus, organes en tout genre n'ont aucuns secrets pour des lycéens de terminale pro de la discipline "méca". Et pour cause, ils savent quasiment tout faire. Les horaires décrits laissent pantois. Un garçon, à qui j'ai demandé s'il ne s'était pas planté dans les heures indiquées, annonce par exemple que dans un garage d'une grande marque il a commencé sa journée à 9h00, pour changer une courroie jusqu'à 13h00, puis qu'il a enchaîné sur des vidanges et autres réjouissances jusqu'à 18h00 ! Quand a-t-il déjeuné ? Réponse : "on n'avait pas le temps de bouffer au garage, et le patron ne nous donnait pas d'oseille pour aller au kebab du coin de toute façon" (!)...
Et il se trouve que ce n'était pas une exception. Ces mômes qui font de même boulot qu'un employé confirmé ne touchent pas un radis de l'employeur. On va nous rétorquer qu'il faut les former, les encadrer, payer des charges (lesquelles du coup ?), le barratin habituel des mafiosis du libéralisme économique... or dans la mesure où c'est le lycée qui dispense les cours, garage pédagogique à l'appui, on voit mal où est le côté "formateur" des stages d'exploitation, euh pardon, d'application en entreprise ?
D'autres élèves, en stage d'usinage, évoquent le facteur "risque" dans leurs rapports. Par exemple il suffit qu'une paire de gants soient usées et on risque de se faire broyer une main... à dix-sept ans risquer de finir infirme à l'issue d'un stage (!), sans être payé un radis c'est du Zola. Mais là j'exagère. Un gamin m'explique que son patron était sympa, parfois il lui payait à manger le midi durant les trente minutes de pause. "Un grec mais sans les frites, en fait le boss il avait jamais plus de cinq euros dans ses poches" (sic). Et à l'issue des neuf heures de présence dans la boîte il offrait parfois une 1664 à ses petits protégés ! Les veinards...
Chers amis internautes, détrompez-vous. NON, je n'enseigne ni en Bolivie ni en Roumanie. J'officie en France, dans un département de la France profonde. Celle du peuple des entrepreneurs qui se plaignent des împôts et des charges qui pèsent sur l'emploi, qui se disent étranglés par l'état et les réglements. Celle des beaufs qui considèrent les jeunes comme un ramassis de fainéants et de délinquants. Celle des automobilistes qui gueulent quand ils crachent 500 euros pour faire changer la courroie de distribution de leur bagnole, en pensant que c'est un expert qui fait le job, et qui s'étonnent que leur monture ne démarre plus correctement après la "réparation"...
Bref la France des hypocrites, des exploiteurs et des cocus. Celle décrite par Céline avant-guerre pour sa vilainie, celle décrite bien avant par Zola et Hugo, et qui a finalement peu progressé depuis la révolution industrielle...
Après ce premier trimestre d'exercice on ne viendra plus me parler des "charges" et autres fadaises qui pèseraient sur l'emploi. Sur les 500 euros d'une courroie avec une main d'oeuvre à 0 euro (voire 3 euros pour les patrons humanistes qui paient un jambon-beurre en récompense à leur stagiaire), rendre 40% à la collectivité cela semble peu. Et surtout c'est la moindre des choses ! Au moins le gamin aura contribué à produire une taxe qui servira aux écoles, aux hôpitaux et aux maisons de retraites. Maigre consolation.
Arrêtons le foutage de gueule. On comprend mieux pourquoi tant de jeunes préfèrent la délinquance à l'exploitation au travail. Comment peut-on bosser avec des crapules qui n'ont aucun respect pour vous, et qui ne voit dans un "jeune" qu'un tas de viande pour nourrir un produit à fabriquer ?
Notre lycée est situé en ZEP, dans un quartier où crament des voitures. Des voitures de prolos, parfois les parents de nos élèves. Pas des voitures de patrons de concessions automobiles. Et c'est bien le problème. D'où notre engagement citoyen et pédagogique aux côtés des jeunes, à qui il faut bien faire comprendre où sont les têtes qu'il faudra faire sauter à la prochaine révolution ! Unir les jeunes dans un projet collectif quand un système cherche à les diviser pour mieux les entuber, un projet ambitieux pour le système scolaire à l'avenir, mais primordial pour leur avenir et celui de leurs futurs enfants...
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