Existe-t-il un autre portrait de la Joconde ?
La Joconde est sans contestation possible le tableau le plus célèbre du monde, identifié aujourd’hui totalement au musée du Louvre et même à la notion d’art en général. Et si nous parvenions à pénétrer dans les origines de sa création, dans ses qualités esthétiques, dans son histoire depuis la mort de son créateur, nous pourrions peut-être dégager des règles expliquant le succès d’une oeuvre d’art (Vincent Pomarède, conservateur au département des peintures du musée du Louvre).

Quelques rares témoignages
1. Don Antonio de Beatis, secrétaire du cardinal Luis d’Aragon : « Rendant visite à messer Lunardo Vinci, âgé de plus de 70 ans, dans une dépendance du château d’Amboise, nous vîmes le tableau d’une certaine femme florentine fait d’après nature sur demande de feu le magnifique Julien de Médicis... portrait de la signora Gualanda (aurait précisé Léonard de Vinci) ».
2. Vasari : « Je suis l’auteur d’un ouvrage publié en 1550 intitulé Vies des plus illustres architectes, peintres et sculpteurs italiens... Il a entrepris pour Francesco del Giocondo le portrait de Monna Lisa son épouse, il y a travaillé quatre ans, mais l’a laissé inachevé ; cette œuvre est maintenant chez le roi de France à Fontainebleau... les yeux, limpides, avaient la brillance de la vie ; cernés de nuances rougeâtres et plombées, ils étaient bordés de cils dont le rendu suppose la plus grande délicatesse. Les sourcils, avec leur implantation par endroits plus épaisse ou plus rare suivant la disposition des pores, ne pouvaient être plus vrais. Le nez, aux ravissantes narines roses et délicates, étaient la vie même. Le modelé de la bouche avec le passage fondu du rouge des lèvres à l’incarnat du visage n’était pas fait de couleurs, mais véritablement de chair. Au creux de la gorge, le spectateur attentif saisissait le battement des veines (extrait du livre de M. Serge Bramly, p. 401) ».
3. Giovanni Paolo Lomazzo, peintre italien : « Par Léonard, une riante Pomone dont un côté est couvert de trois voiles, ce qui est très difficile dans cet art. Il la fit pour Francesco Valeio (François Ier de Valois) ».
4. Le commandeur Cassiano del Pozzo, patron des Arts et humaniste : « En 1625, j’ai vu l’œuvre de Léonard de Vinci à Fontainebleau. Un tableau grandeur nature, sur bois, encadré de noyer sculpté, c’est le portrait en demi-figure d’une certaine Gioconda. C’est l’œuvre la plus complète de cet auteur car il ne lui manque que la parole ».
5. Père Dan, conservateur des peintures du roi en 1642 : « Dans les premiers inventaires royaux qui mentionnent l’oeuvre, j’ai lu ceci : "une courtizene in voil de gaze" mais aussi ‘’une vertueuse dame italienne’’. François Ier a payé la Joconde 4 000 écus ».
Remarques
1. Les témoignages 3 et 5 font mention de voiles de gaze. Cela leur donne une fiabilité très grande étant donné que notre Joconde du Louvre a effectivement été peinte ainsi.
2. Les témoignages 1 et 4 désignent bien le même tableau, amené en France par Léonard, possédé par François Ier, installé à Fontainebleau puis au Louvre : la Joconde que tout le monde connaît. Elle est désignée sous les noms de "signora Gualanda", (?) ou "certaine Gioconda" (l’épouse de Francesco del Giocondo).
3. Le témoignage 2 de Vasari ne correspond pas au tableau du Louvre : pas de yeux limpides, pas de nuances rougeâtres et plombées, pas de cils, pas de sourcils, pas de pores, pas de narines roses, pas de lèvres rouges, pas de battements de veines au creux de la gorge. Et pourtant ce témoin déclare que cette œuvre est maintenant chez le roi de France, à Fontainebleau. Il y a là une erreur.
Je fais l’hypothèse, premièrement, que Vasari nous a donné la description d’un premier tableau de Monna Lisa, épouse de Francesco del Giocondo, qui n’est pas celui du Louvre, deuxièmement, que n’ayant pas vérifié si ce tableau se trouvait toujours en Italie, il a fait confiance à quelqu’un qui, pensant au deuxième portrait, lui a dit, en toute bonne foi, qu’il ne se trouvait plus en Italie, mais en France.
Il nous faut donc rechercher la trace de ce premier portrait.
La dame à la résille de perles
Tableau dont l’attribution à Léonard a été parfois contestée, La Dame à la résille de perles est exposée à la bibliothèque ambroisienne de Milan.
Les yeux, limpides, avec la brillance de la vie ; les nuances rougeâtres et plombées qui les cernent ; les cils qui les bordent ; les sourcils, plus épais ou plus rares ; les ravissantes narines roses et délicates ; le modelé de la bouche, le rouge des lèvres, l’incarnat du visage ; enfin, le collier qui étrangle le cou, gênant à la fois la circulation et la déglutition, tout cela se trouve dans ce tableau, incontestablement.
Ici, Monna Lisa est plus jeune que dans le tableau du Louvre. Elle a 16 ans comme je l’explique dans mon ouvrage. Sa coiffure est séparée d’une raie par le milieu comme au Louvre. Le front, le dessus de la tête régulièrement arrondi, les joues pleines, les petites fossettes, les yeux, le menton, la poitrine, les épaules tombantes, tout cela correspond. En revanche, dans le tableau du Louvre, Léonard a modifié la pointe du nez, les arcades sourcilières, la bouche et supprimé les cils et les sourcils. Le cou est le même, mais plus long sur le tableau de Milan. Enfin, il me semble que Monna Lisa est tout aussi belle sur ce portrait qu’au Louvre.
Eléments de preuves et conséquences
1. Lorsque Vasari écrit que Léonard a travaillé quatre ans sur le portrait de l’épouse de Francesco del Giocondo et qu’il l’a laissé inachevé, cela concerne ce portrait et non celui du Louvre. Même après quatre ans de travail, non seulement Léonard n’avait pas disposé les dernières fines couches de peinture qui auraient adouci les lignes, mais il n’avait pas "fignolé" les bijoux.
2. Il s’ensuit que le portrait faisant pendant, intitulé Portrait d’un musicien, est le portrait de Francesco del Giocondo, son époux, ce qui s’accorde avec le témoignage de l’anonyme Gaddiano : "Léonard a fait le portrait d’après nature de Francesco del Giocondo".
3. Il s’ensuit qu’il doit exister très probablement un portrait de la première épouse de Francesco nommée Camilla, morte à 18 ans. Je fais l’hypothèse qu’il s’agit du portrait du musée des Offices d’Alessandro Araldi intitulé Portrait d’une jeune femme noble et je constate que, probablement sur la volonté de Francesco, Léonard a peint sa seconde épouse dans la même posture, même coiffure, même collier, etc.
4. Il s’ensuit qu’il doit exister un autre portrait de Francesco peint à la même époque pour marquer ce premier mariage, ce qui m’amène à faire l’hypothèse qu’il s’agit d’un autre portrait des Offices intitulé Portrait d’un inconnu par Botticelli.
5. Il s’ensuit enfin, d’après le témoignage 3, qu’en peignant la Joconde du Louvre, l’intention de Léonard était de peindre une Pomone, c’est-à-dire une Flore, c’est-à-dire qu’il... voulait percer le mystère de l’Être.
Sixièmement et dernière preuve : une inscription recouverte par un repeint dans le tableau du "musicien"... Cantor Angelus... (tout le reste de ma vie), je chanterai l’ange... (Camilla).
Note : ce texte est un extrait très résumé de mon manuscrit consacré à Léonard de Vinci, refusé par les maisons d’éditions. Pour écrire ce manuscrit, je me suis appuyé sur l’ouvrage de Serge Bramly intitulé Léonard de Vinci, biographie. Également sur l’ouvrage de Giuseppe Pallanti Monna Lisa, mulier ingenua que mon épouse m’a traduit de l’italien.
Les tableaux représentés se trouvent dans les musées que j’ai indiqués.
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