Un homme enfin dont le sens aigu du dialogue se traduisit entre 1990 et 1992, alors qu’il est ministre de la Construction et de l’Aménagement, par la colonisation de Jérusalem Est et de la Cisjordanie, a rendu matériellement impossible toute solution du type « deux peuples, deux États »… L’Union soviétique disloquée, il conduisit en effet une politique agressive de bétonnage en territoires occupés au profit exclusif des nouveaux immigrants russe de confession hébraïque. Un état de fait qui rend à présent dérisoire, pour ne pas dire insultante ou pathétique, l’agitation du Secrétaire d’État américain John Kerry, qui voudrait encore nous faire croire à l’éventualité d’un règlement négocié du contentieux israélo-palestinien.
Sharon, fut aussi le politique qui eut, aux dires de ses laudateurs, suffisamment de résolution pour expulser en août 2005 les colonies sauvages de la Bande de Gaza afin d’en rendre la jouissance sans partage aux Gazaoui. La belle affaire. La Bande était ingérable, et ce ne fut que pour transformer ce territoire en quasi camp de concentration à ciel ouvert. Un enclos où les armes inventées par les ingénieurs hébreux pouvaient être expérimentées sous couvert de réponse à tel ou tel incident. Pour vanter les mérites d’une arme encore faut-il en faire la démonstration : fusil d’assaut à tirer dans les coins (ce n’est pas une galéjade !), drones tueurs, bombes à vapeur de métal, nuées ardentes de phosphore blanc… Ouvrez le catalogue des marchands de mort et vous serez édifié au-delà de toute attente.
En janvier 2006, Sharon succombe à une hémorragie cérébrale mais il sera maintenu en survie artificielle jusqu’au 11 janvier 2014. Sharon n’aura donc pas pu assister à la déconfiture de Tsahal durant la deuxième guerre du Liban et sixième conflit israélo-arabe depuis 1948. Israël s’en retire glorieusement après avoir procédé, le cessez-le-feu étant proclamé, au largage de quelque 700 000 sous munitions anti personnels, lesquels s'avèrent létales encore aujourd’hui.
Criminel de guerre et tueur en série
C’est en criminel que Sharon a commencé sa carrière militaire. Nous ne relaterons pas tous ses hauts faits d’armes, quelques-uns seulement afin de prendre la mesure de l’homme. Le 14 octobre 1953, Sharon à la tête de la Force 101 au cours de l’opération Shoshana va dynamiter le village de Kibia [Qibya], soit 45 maisons, une école et une mosquée ! Il s’agissait d’exercer des représailles pour le meurtre d’une femme et ses deux enfants… assez loin de là dans les faubourgs de Tel-Aviv. Soixante-neuf civils périront, principalement des femmes et des enfants. Sharon se justifiera dans son journal en arguant qu’il avait reçu des ordres lui intimant d’infliger de lourdes pertes aux habitants du village et en se déclarant convaincu d’être face à des maisons vides de leurs habitants. En réalité, selon un observateur des Nations Unies, le contre-amiral Vagn Bennike, Sharon fit ouvrir le feu sur les maisons pour interdire toute fuite à leurs occupants. Telle est la signature du héros dont la disparition est saluée partout dans la sphère occidentale.
En 1956, nouvelle tuerie. À l’occasion de la crise de Suez, Sharon commande la 202e brigade parachutiste et investit le Sinaï. Le 890e régiment de parachutistes commandé par un subordonné de Sharon, Rafaël Eytan parvient au col de Mitla, position tenue par une unité de douaniers et de gardes-frontière majoritairement soudanais. Les Égyptiens se débandent, néanmoins quelques deux cents prisonniers désarmés, militaires et civils, seront froidement abattus. Une nouvelle fois, la responsabilité, directe ou indirecte, de Sharon dans ce carnage contrevenant à toutes les lois et coutumes de guerre, ne sera à aucun moment engagée.
En juin 1982, lors de l’Opération Paix en Galilée qui se prolongera par 17 ans d’occupation du Sud Liban, Sharon est devenu ministre de la Défense et Rafaël Eytan son chef d’état-major. C’est dans ce contexte que Sharon engagera les phalangistes chrétiens à « nettoyer » les camps de réfugiés de Sabra et de Chatila à Beyrouth Ouest, cela entre le 16 et le 18 septembre 1982. En deux jours ce sont environ 700, et peut-être 3500 Palestiniens qui tombent sous les coups de ceux qui prétendaient venger l’assassinat du président chrétien Bachir Gemayel. Les camps étaient alors encerclés par les hommes de Tsahal. C’est sous couvert des forces israéliennes que se perpétra l’une des tueries les plus retentissantes de l’interminable conflit israélo-palestinien. Le 8 février 1983, une commission d’enquête israélienne dirigée par le président de la Cour suprême, le juge Yitzhak Kahane, évoquait la « responsabilité personnelle » de Sharon qui aurait négligé de faire prendre « les mesures adéquates pour empêcher d’éventuels massacres ». Devant le scandale celui-ci se voit contraint à la démission. Il se retire alors de la vie politique pendant plusieurs années. Cependant Sharon n’eut jamais à répondre pour sa participation à cette tragédie… réputée, au jour de son inhumation, comme largement indirecte.
Sharon grand boucher devant l’Éternel, expérimentateur et mercanti avisé, aura légué à ses successeurs immédiats, outre le champ de manœuvre de Gaza où la troupe peut venir se faire la main, quelques bonnes recettes commerciales liées au commerce de la mort. Ainsi en juillet 2006, alors qu’il venait d’être plongé dans un profond coma artificiel, le Liban et Gaza ont été réputés avoir servi de laboratoire pour des armes à létalité renforcée 1. Pour mener à bien de telles expériences, il est aisé de comprendre la nécessité qu’il y avait à rendre aux Gazaouis une autonomie susceptible d’offrir toutes les occasions d’intervention unilatérales et asymétriques afin d’y tester - ou de faire la démonstration de leur efficacité - de nouveaux « produits » avant leur mise sur le marché.