Exploration critique du néoféminisme contemporain
Curieuse époque que la nôtre !
Alors que le (déjà) vieux féminisme universaliste a laissé place à un féminisme différentialiste intransigeant et tonitruant (« balance ton porc »), nous assistons à des silences gênés dès lors que l’actualité fournit des exemples inquiétants d’un retour en force de la mysoginie et d’une conception patriarcale de la société. Le dernier exemple en date étant celui de « l’affaire Mila », dans laquelle nombre d’associations féministes et progressistes se sont illustrées par leurs silences coupables ou leurs dérobades maladroites.
Ce nouveau féminisme, que nous appellerons ici « néo-féminisme », est en fait aussi aveugle et dérisoire qu’il est agressif dans sa prétention à traquer le « mâle dominant ». Son agressivité n’est plus à démontrer : celle-ci ne fait que traduire la mutation du féminisme d’une idéologie de l’émancipation vers une idéologie du ressentiment. Certains signes de cette mutation ne trompent pas : invention permanente de nouveaux concepts visant à représenter les femmes comme un groupe social tourné exclusivement vers lui-même et victime quotidienne d’une oppression sociale structurelle (« féminicides », « manspreading », « viol par le regard »...), formulation de nouveaux délits (comme le sexisme), exagération des statistiques (sur la base desquels on déduit une mise en danger incroyable des femmes dans notre société), haine de l’humour et chasse aux « dérapages » (car aucune distance avec soi-même et aucune capacité à rire de soi-même), théorie très extensive du consentement sexuel incompatible avec l’érotisme et la séduction, disqualification des arguments contraires sur le simple constat du « genre » de la personne (« tu es un homme, tu ne peux pas comprendre »), encouragement aux manifestations non mixtes (signifiant par là qu’une femme nazie serait plus proche d’une autre femme que d’un homme féministe), redéfinition arbitraire du langage (l’écriture inclusive, qui rappelle au passage l’instauration du calendrier révolutionnaire en d’autres temps)...
Cette nouvelle agressivité, qui mêle allègrement hystérie et paranoïa, n’est pas sans rappeler certaines caractéristiques propres aux périodes totalitaires du 20ème siècle : songeons à ces cérémonies officielles (du type « Oscars » ou « Césars) où chacun doit chanter son couplet féministe (dans une salle acquise au féminisme), à ces femmes qui accusent d’autres femmes de mal servir la « cause » (« je suis plus féministe que toi », sus aux imposteurs) ou encore à ces carrières brisées sur la simple foi de témoignages dans les médias (adieu la présomption d'innocence).
Cette idéologie du ressentiment, dont les effets sont délétères et très préoccupants du point de vue des mœurs et de la liberté, est d’autant plus sidérante qu’elle se déploie dans une société occidentale très largement acquise à l’égalité entre les hommes et les femmes. On trouvera certes toujours des exemples pour montrer que la cause n’est pas complètement gagnée et qu’il faut rester vigilant, mais les faits sont têtus : jamais dans l’Histoire de l’occident, les femmes n’auront été davantage les « égales » des hommes qu’à notre époque. Nous sommes donc en présence, soit d’un classique déni de réalité inspiré d’une idéologie devenue « fanatique », soit d’une tentative cynique de renversement des rapports de force au service des femmes (dans une approche strictement communautariste, et alors même que les femmes ne constituent pas une minorité mais une bonne moitié des gens de ce pays). Dans cette seconde optique, la logique victimaire (dans une société où les femmes ne sont pas réellement des victimes) aurait pour conséquence et intérêt de faciliter l’ascension des femmes contre les hommes (puisque, dans le cadre de pensée néoféministe, les sexes ne sont jamais loin de la guerre) par un agencement juridique favorable aux femmes (discrimination positive, recrutements préférentiels).
Agressif bien que dérisoire lorsque l’on rapporte l’idéologie à la réalité contemporaine, ce néoféminisme est également aveugle. Il ne voit pas - ou ne veut pas voir - certains dangers autrement plus graves pour les femmes que les résidus de domination d’un homme occidental lui-même largement féministe. Hystérique et déchainé face aux « porcs » qui sommeilleraient en chaque homme (et qui empêcheraient les femmes de vivre au quotidien), il fait montre d’un calme étonnant lorsqu’il s’agit de voiler les femmes et de les enfermer dans un carcan religieux pour le coup totalement et même grossièrement patriarcal. Récemment, comme indiqué au début de cet article, on l’a même vu beaucoup trop silencieux devant les menaces de mort proférées contre une jeune femme (et lesbienne de surcroît).
Comment expliquer ce silence ? On peut tenter cette hypothèse : le néoféminisme étant une idéologie du ressentiment, idéologie qui baigne toute notre société, il se trouve confronté à un paradoxe : soit défendre les femmes au risque de s’en prendre à d’autres idéologies du ressentiment et à leurs cohortes de « victimes » (ainsi de la crainte de « stigmatiser » les femmes voilées, et donc de verser dans l’islamophobie) ; soit conduire un combat partiel et partial afin que des défenseurs de « victimes » ne s’attaquent pas à d’autres « victimes », et dès lors abandonner certaines femmes à leur sort (celui de l’emprise d’une religion sur leur liberté personnelle). Bref, entre l’intersectionnalité des luttes et le combat féministe, il faudrait choisir...
De même, et dans un autre registre, ce néoféminisme ne montre aucune prise de recul quant à l’extension des nouvelles possibilités de procréation. Au nom de la « liberté de toutes les femmes », la procréation devient un droit individuel sans aucun questionnement philosophique sur les conséquences possibles vis à vis des enfants mais aussi vis à vis des femmes elles-mêmes (être le deuxième mère d’un enfant porté par sa compagne qui est la mère biologique, ou encore être la mère d’un enfant qui, peut-être, demain, n’aura jamais été porté grâce à des utérus artificiels). Cette façon de penser montre que le néoféminisme est un individualisme radical (constitué néanmoins en lobby ou groupe de pression) qui peut confiner au « tout-à-l’ego » (« me too » !), incapable d’intégrer la nature, les hommes, les limites de la condition humaine ou les simples conditions d’une société vivable et décente. Pourtant, cette alliance de l’individualisme radical et du progrès technique est susceptible de déboucher sur des dérives éthiques et des modifications anthropologiques qui seules auront été formulées dans les dystopies et les livres de science-fiction.
On l’aura compris, ce néoféminisme est une impasse : d’un côté il ne sert strictement à rien en ce qu’il passe à côté des vrais problèmes (même lorsqu’il traque les « porcs », il ne voit même pas que le problème central réside dans la dégradation tendancielle de la civilité, dégradation dont il n’interroge jamais les causes) ; de l’autre, il introduit la discorde dans les rapports hommes-femmes, avilie l’une des grandes beautés de ce monde (le désir) et subvertit les codes habituels de la démocratie (liberté d’expression, y compris la liberté de dire des bêtises et de se tromper, art de la conversation). Au demeurant, il est rassurant de constater que le très grande majorité des Françaises, en dehors des cercles militants, des médias dominants et du show business, ne partagent pas les idées ni les attitudes des néoféministes. Elles lui préfèrent un féminisme universaliste qui n’exclut nullement les différences et le désir entre les hommes et les femmes. Ce féminisme là ne traque pas la déviance à tous les coins de rue, mais reste intransigeant sur un point : une femme est un homme comme un autre, et la République doit lui donner la possibilité de se construire comme individu et comme citoyenne. Non pas parce qu’elle est une femme, encore moins une victime, mais parce qu’elle appartient de plein droit à notre République une et indivisible.
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