Extrême gauche : remise en question ?
(article écrit le 4 mai 2007) Lors de cette élection présidentielle de 2007, au premier tour, il fut étonnant de constater que pas moins de cinq candidats représentaient divers courants de ce qu’on appelle « l’extrême gauche » de l’échiquier politique : Marie-George Buffet pour le Parti communiste français (PCF), Arlette Laguiller pour Lutte Ouvrière (LO), Olivier Besancenot pour la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), José Bové du courant altermondialiste (indépendant de tout parti politique) et Gérard Schivardi, soutenu par le Parti des Travailleurs.
Cette « extrême gauche » regroupe évidemment plusieurs courants idéologiques, qui vont du socialisme au marxisme révolutionnaire en passant par le trotskisme, et ont essayé de s’unir sous la bannière de l’antilibéralisme, puisque finalement les aspirations de chacun avaient de nombreux points communs quant à la critique du système libéral actuellement en place. Cette alliance a finalement échoué. Ce fut un échec particulièrement décevant et dommageable vis-à-vis des nombreux citoyens désireux de créer une cinquième force politique française, digne de rivaliser avec les grands partis traditionnels tels que le Parti socialiste (PS) ou l’Union pour un mouvement populaire (UMP).
Cette désunion est même un comble quand il est de notoriété publique que le discours de l’extrême gauche s’appuie sur des valeurs d’union du peuple, de solidarité, d’égalité entre tous et de fraternité ; d’autant plus si l’on jette un œil sur le processus de constitution des quatre partis dominants de l’élection présidentielle.
En effet, ces quatre partis - le PS, l’UMP, l’UDF (Union pour la démocratie française) et le FN (Front national) - surent tous, à un moment de leurs histoires respectives, regrouper des factions politiques aux sensibilités idéologiques légèrement différentes mais suffisamment proches pour pouvoir créer un consensus. Elles purent alors mettre en place un projet, une stratégie, et progressivement avoir une influence sur la pensée socio-économique actuelle. Finalement, ils surent mettre tout simplement en pratique le vieil adage : « L’union fait la force ».
Ainsi, le PS, pour l’élection de 2007, a reçu le soutien du Mouvement républicain et citoyen (MRC) de Jean Pierre Chevènement et du Parti radical de gauche de Christine Taubira (PRG), soutiens qui étaient loin d’être acquis d’avance. Il regroupe également plusieurs mouvements qui vont du centre-gauche (social-démocrate) à quasiment l’extrême gauche (socialistes). On peut citer entre autres : Gauche socialiste de Julien Dray, Socialisme et démocratie de Dominique Strauss-Kahn, Trait d’union de Jean-Luc Mélenchon, ou encore Rénover maintenant d’Arnaud Montebourg.
L’UMP, pour sa part, est certainement le parti qui a su unir le plus de forces politiques à l’origine séparées. Le RPR de Jacques Chirac et Démocratie libérale d’Alain Madelin avaient fusionné en 2002 pour lancer ce nouvel élan, regroupant ainsi plusieurs forces de droite et du centre. Depuis, ils ont été rejoints par de nombreux autres parlementaires de l’UDF. L’UMP concentre ainsi de nombreux groupes aux idéologies suffisamment proches pour pouvoir travailler ensemble, tels que les conservateurs libéraux (Nicolas Sarkozy par exemple), les néogaullistes (Jacques Chirac, Dominique de Villepin, Alain Juppé), les libéraux réformateurs (Patrick Devedjian, Alain Madelin, Pierre Méhaignerie), les démocrates-chrétiens (Philippe Douste-Blazy), les radicaux (Jean-Louis Borloo) ou encore les souverainistes (Nicolas Dupont-Aignan).
Quant à l’UDF, dès sa création en 1978, elle unifia plusieurs partis de centre, centre-droit et droite : le Centre des Démocrates Sociaux, le Mouvement démocrate socialiste de France, la Fédération Nationale des Clubs Perspectives et Réalités, le Parti républicain et le Parti radical.
Enfin, le Front national a concentré également dès son lancement en 1972 de nombreux courants d’extrême droite, d’où son nom d’origine : Front national pour l’Unité Française. Les forces rassemblées venaient de mouvements divers tels que l’Ordre Nouveau, le Parti de l’Unité Française, Occident, le Parti Populaire Français, Groupe Union et Défense ou encore l’Organisation de l’Armée Secrète.
Tous ces partis rassembleurs ont progressivement conquis un électorat fidèle et chaque fois plus grand, pour au final monopoliser la vie politique et éclipser ou ringardiser la vraie pensée de gauche. L’union est donc visiblement force de croissance pour les partis politiques, et même si chaque parti d’extrême gauche a déjà rassemblé plusieurs entités distinctes, un grand travail de concentration des efforts, de prise de conscience de l’intérêt général, reste à faire pour prendre le pouvoir au lieu de rester simple force d’opposition. C’est d’autant plus nécessaire, au vu de l’évolution du nombre de votes pour l’extrême gauche depuis 1981 (voir graphique).
1981 : 18,76% (5 446 332 votes)
1988 : 11,23% (3 418 469 votes)
1995 : 13,94% (4 248 589 votes)
2002 : 13,81% (3 933 773 votes)
2007 : 9,00% (3 300 254 votes)
Les résultats pris en compte furent ceux de : Huguette Bouchardeau (PSU - 1981) ; Georges Marchais (PCF - 1981) ; Arlette Laguiller (LO - 1981, 1988, 1995, 2002, 2007) ; André Lajoinie (PCF - 1988) ; Pierre Juquin (PSU-LCR - 1988) ; Pierre Boussel (MPT - 1988) ; Robert Hue (PCF - 1995, 2002) ; Olivier Besancenot (LCR - 2002, 2007), Daniel Gluckstein (PT - 2002) ; Marie-Georges Buffet (PCF - 2007) ; José Bové (altermondialiste - 2007) et Gérard Schivardi (PT - 2007).
Les élections antérieures à celles de 1981 sont peu représentatives vu que l’extrême gauche était peu organisée et que François Mitterrand fut à l’occasion représentant de toute la gauche. Mais l’on voit clairement l’érosion sur ces 26 dernières années de la proportion des votes pour l’extrême gauche, comme du nombre de votes en soi, malgré un sursaut en 1995. Le nombre de votants, en dépit d’une très forte participation en 2007, a effectivement baissé de 65% en plus de deux décennies, réduisant de moitié la part en pourcentage du nombre de votants extrême gauche.
D’ailleurs, si une action de grande ampleur, et d’union autour d’un même combat antilibéral, ne se met pas en place, certains partis comme la LO et le PCF sont quasiment voués à disparaître. Mathématiquement, c’est presque déjà fait.
Le pire est que tous ces courants d’extrême gauche ont de nombreux points communs, ne serait-ce que dans les professions de foi de chaque candidat à la présidentielle de 2007. Ainsi, sur le plan social, on retrouve régulièrement l’exigence d’un Smic à 1500 € de suite et une hausse de 300 € de tous les minimas sociaux, des retraites et des salaires en général. Ils proposent tous conjointement une réduction du temps de travail à 32 heures, voire 30 heures pour certains, dans l’optique de travailler moins mais travailler tous. Pour chaque candidat, les licenciements seraient interdits, d’autant plus dans des entreprises bénéficiaires. Ces dernières devraient d’ailleurs rembourser toutes les subventions généreusement offertes par l’Etat, surtout si elles délocalisent. Tous parlent de l’abrogation de la loi Fillon sur les retraites, afin de garantir une retraite pour tous à 60 ans. Ils s’expriment également en faveur du mariage homosexuel, et de l’adoption pour les couples en question.
Sur le plan écologique revient l’idée d’un moratoire contre les OGM et d’un passage progressif d’une énergie nucléaire à des énergies renouvelables.
Tous réduiraient également le budget militaire pour l’orienter vers la culture (1% du PIB) et l’éducation (7% du PIB). Sur la question du logement, tous mettraient en oeuvre un vaste programme de construction de logements sociaux et de réquisitions des logements vides ; ainsi que le blocage par la loi de la hausse des prix et spéculation sur l’immobilier.
En politique internationale, tous sont pour une Europe plus sociale, intégrant la Turquie, et tous veulent en terminer avec la politique néocoloniale que mène la France en Afrique. Bref, la liste des points communs en est presque aberrante, au vu de la désunion régnant sur cette frange de la politique française.
Car, finalement, ce sont quelques points de détails, voire l’ambition de cadres de certains partis, ne cherchant qu’à promouvoir leur propre parti et oubliant par là-même l’intérêt général et anéantissant l’espoir de nombreux citoyens, qui provoquèrent la désunion. On peut citer facilement le soutien ou non au Parti Socialiste en cas d’accession de Ségolène Royal au second tour. Ce fut un grand gâchis puisque la plupart des partis critiquaient par exemple Mme Buffet pour son appel à voter Royal au second tour si celle-ci se qualifiait. La plupart des autres candidats ont ainsi dit qu’ils ne soutiendraient pas le PS au second tour, et au final, ils le font tous. Une nuance toutefois : Olivier Besancenot fut plus subtil en disant qu’il fallait barrer la route à Sarkozy... Sans commentaire...
Les électeurs auraient d’ailleurs voté pour l’extrême gauche en masse si celle-ci avait été unie ou si elle avait pu représenter une menace pour les partis traditionnels. Au lieu de cela, pensant que leur vote de convictions allait manquer d’impact, et effrayés par la popularité de Nicolas Sarkozy, de nombreux citoyens se sont tournés vers le vote « utile » Ségolène Royal, pour éviter un remake de 2002, c’est-à-dire un deuxième tour entre Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Le Pen. C’est du moins ce qu’un sondage TNS-Sofres-Unilog pour TF1, RTL et Le Figaro, rendu public le lendemain du premier tour, reflète : 56% des électeurs ayant voté pour Ségolène Royal affirment avoir « voté utile ». Il ne faut pas se leurrer : la majorité de ces électeurs auraient voté plus à gauche s’ils avaient pensé que leur vote puisse être utile. Ségolène Royal n’était pas leur vote de préférence. Ils voulaient simplement être sûrs qu’elle soit au second tour. L’extrême gauche, en dépit d’un potentiel de voix important, n’a donc pas su aider les électeurs à affirmer réellement leurs convictions, et a fait une croix sur un potentiel d’au moins quatre millions de voix.
Alors que faire ?
D’abord, il est urgent d’entamer des pourparlers pour que les divers partis et mouvements se mettent d’accord sur un projet commun. Evidemment, chacun devra faire des concessions. Mais c’est la base : la LO, la LCR, le PCF, les associations de citoyens, les altermondialistes et le PT doivent trouver un chemin d’entente si un jour, ils veulent avoir leur mot à dire. Ces partis et mouvements donnent d’ailleurs l’impression qu’ils se sont habitués à leur petit confort d’opposants au système, et qu’ils sont bien contents de ne pas prendre le pouvoir, malgré le soutien de nombreux militants qui y croient dur comme fer.
Ensuite, il faut se renouveler, insuffler un vent de jeunesse, à l’instar de la LCR. La communication de ces partis en général paraît à bout de souffles, et, au regard des jeunes, ceux-ci manquent de dynamisme voire sont désuets. Les leaders de ces partis semblent pâtir d’un manque de charisme ou de passion pour leur cause. En outre, le communisme est assimilé très régulièrement à l’ère stalinienne, malheureusement plus capitalisme d’Etat que socialisme...De ce fait, certaines personnes, notamment les jeunes, hésitent à voter pour ces partis et peuvent les voir d’un mauvais œil, d’où la nécessité d’une communication adéquate et dynamique.
D’ailleurs, une enquête L’Humanité hebdo - CSA Opinion, qui date de 2003, a montré que 62% des jeunes de 18 à 24 ans - 53% pour toutes les catégories d’âge, 72% pour les seuls étudiants et lycéens - pensaient que « l’idée communiste a encore un avenir à condition d’en repenser les principes », et seulement 33% avaient à l’époque une bonne opinion du PCF...Malgré cela, rien n’a été fait pour tenter d’inverser la tendance...Maintenant, si l’on étend à toutes les classes d’âge, 79% des sondés pensent que le PCF doit se transformer.
A ce sujet, Stéphane Rozès, le directeur des études politiques du CSA, avait commenté qu’il existait bien un espace idéologique pour le communisme, pour l’idée d’un autre type de société, mais qu’il fallait que le PCF sache se remettre en question, et avec lui, les autres partis et mouvements d’extrême gauche. La LCR est à l’heure actuelle le seul parti qui ait entamé un virage vers les jeunes, et qui ait un électorat relativement neuf (49% de l’électorat a moins de 35 ans - CSA). C’est pourquoi elle a pu récupérer d’ailleurs de nombreux votes dans des régions traditionnellement ancrées PCF (Auvergne, Limousin, Nord...).
Enfin, il faut construire un projet, prendre le temps de l’affiner, et construire un plan de communication, qui permette de faire connaître à tout un chacun ce qu’est l’antilibéralisme, l’altermondialisme ; promouvoir un autre type de société, plus sociale et plus humaine ; et surtout montrer que c’est réalisable. Ce n’est pas impossible, il est simplement question de penser à l’intérêt général.
Certaines personnes diront que c’est utopique. Mais il est anormal qu’avec une croissance économique, bien que faible tous les ans, le peuple ait chaque fois moins de pouvoir d’achat. Cela ne tient pas debout. Comment se fait-il que certaines personnes, au chômage, sans le sou, arrivent à voter Sarkozy, si ce n’est du fait d’un manque d’informations ? Comment est-ce possible que les entreprises du CAC 40, affichant des profits records, se permettent de licencier du personnel pour faire encore plus de bénéfices ? Comment l’un des fleurons de l’industrie française, EDF-GDF, puisse être soumis à la rentabilité et que désormais, les communes doivent attendre jusqu’à une semaine pour être dépannées, et ce sans songer aux bénéfices de cette entreprise extrêmement rentable qui ne repartent plus entièrement vers l’Etat, sinon vers quelques poches déjà bien remplies ? Comment la France se permet-elle encore de se comporter comme colonisateur en Afrique, et de ne pas libérer les pays sous sa coupe de la dette qui les étrangle ? Autant de questions qui sont l’arbre qui cache la forêt et qui restent en suspens...
Alors une exigence peut-être...
Chère vraie gauche, tu as cinq ans pour construire un nouveau projet commun, un modèle de société innovant, et montrer au peuple français qu’il est réalisable. Il n’y a pas une minute à perdre. Au travail ! Ensemble !
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