Faisant l’apologie de la vérité, François Bayrou est le maître Yoda de la politique
Après « Abus de pouvoir » en 2009 et « 2012 état d urgence » l’an dernier, François Bayrou continue de porter le fer sur les causes du mal français en publiant un essai intitulé « De la vérité en politique » aux Editions Plon.
A priori, un tel titre évoque un appel philosophique à la vertu, à une posture morale, à l’exigence d’éthique en politique, bref on pourrait s’attendre à un texte barbant et moralisateur, ou encore à une expression de langue de bois de la part d’un politique. Pourtant non, rien de tel. Avec un style enlevé et cash, loin de la langue de bois, et cependant d’une grande qualité littéraire, François Bayrou s’adresse aux citoyens d’une manière simple, démonstrative et pédagogique, sans faux-semblant, pour les convaincre que derrière les symptômes de nos crises, allant chercher la véritable cause de nos maux qui nous rongent, la vérité, dite au peuple et partagée avec lui, est la clé du redressement.
Ce livre n’est pas non plus comme l’ont parfois titrés certains articles une occasion pour François Bayrou de rebondir après ses défaites électorales, drapé de l’habit du sage affirmant ses vérités avec orgueil en démontrant qu’il avait raison contre tous (même si cela est vrai). Comme le dit le politologue Thomas Guénolé dans cet article à propos de François Bayrou : « Ce n'est pas du tout un homme politique efficace quand il est à la conquête du pouvoir mais on voit bien qu'il a un vrai talent pour comprendre la société. On ne comprend pas souvent la stratégie de François Bayrou. Mais elle devient parfaitement compréhensible quand on accepte que pour lui, il est plus important d'agir en cohérence avec ses valeurs et ses idées que de faire un grand score. Il y a une cohérence à incarner en politique une force de proposition qui ne se préoccupe pas d'électoralisme. Il y a une dimension de sacrifice volontaire dans la mystique de François Bayrou tel qu'il considère l'engagement politique. »
Ainsi François Bayrou tient son cap :« Quitte à déranger, il faut dire la vérité ». Et de citer son ami Jean Peyrelevade : « Dire la vérité, en politique, n'est pas le meilleur moyen de gagner. Mais, corrige-t-il, si on ne dit pas la vérité, on ne peut pas gouverner. »
Seule la vérité dite au peuple et partagée avec lui, est la clé de tout redressement du pays.
François Bayrou ne parle pas d’une vérité d’opinion, qui est relative, mais bien de la vérité des faits, de la vérité des chiffres, ainsi que d’une analyse sans concession des vraies causes. On peut en effet pointer des faits réels, un tableau sombre du déclin économique et social du pays, tout en pointant de fausses causes, par exemple en désignant des coupables extérieurs : La Chine, l’Allemagne, la mondialisation, l’Europe ou l’euro, la finance internationale, les banques, les riches,… Evitant ainsi de regarder nos propres faiblesses, en éludant les causes internes à notre pays. Constatant que d’autres pays d’Europe, tels que l’Allemagne, l’Autriche, les pays nordiques, certains partageant la même monnaie que nous et de même niveau de vie que nous, avec un coût du travail identique, s’en sortent beaucoup mieux que nous avec de meilleurs chiffres de croissance et d’emplois, de qualité de l’éducation, d’innovation et recherche. C’est bien que nous avons des faiblesses à corriger. Si nous n’arrivons plus à joindre des deux bouts, à créer suffisamment d’emplois, à financer notre modèle social, à rembourser notre dette, c’est parce que nous ne produisons plus assez sur notre sol et n’exportons plus assez (chute drastique des exportations depuis 2003 alors que les importations se sont maintenues), car notre compétitivité est mise à mal et que nous n’avons plus de stratégie industrielle globale, que nous avons fait de mauvais choix de positionnement de certains nos produits. Et ce n’est pas faute de compétence et de potentiel, notamment dans des domaines d’excellence technologique comme l’aéronautique, ou encore dans l’agriculture et le luxe.
La politique française a été corrompue depuis des années par les mensonges et les illusions, les fausses promesses et les divisions artificielles.
Il n’y a qu’une seule vérité des faits. Et d’ailleurs, les Français sont en train de le découvrir aujourd’hui. Songez à ce qu’on avait annoncé aux Français il y a dix mois à peine. On allait retrouver la croissance (…) c’était l’assurance et de Nicolas Sarkozy et de François Hollande et aujourd’hui tombent en cascade les nouvelles les plus inquiétantes qui sont le dévoilement de la vérité. (…) C’est parce qu’on a entretenu ces illusions auprès des Français qu’on a été incapables de prendre conscience de la nécessité des réformes"
Nicolas Sarkozy comme François Hollande savaient très bien qu’ils faisaient l’un et l’autre de fausses promesses, que leurs hypothèses de croissance étaient fausses alors qu’elles conditionnaient le chiffrage de leur programme. François Hollande avait même confié à des proches « On ne conduit pas un enfant chez le dentiste en commençant par lui dire qu’il va avoir mal » (Voir article intitulé "Déni(s) de réalité", par Laurent Neumann, dans le Marianne n°795 du 13-20 juillet 2012 page 6). C’était entretenir volontairement l’illusion pour gagner l’élection, quitte à s’exposer ensuite à des désillusions une fois l’élection passée, à la déception des Français face aux promesses non tenues, donc à une perte de confiance des citoyens, aboutissant à la désertion des urnes et à l’impuissance du gouvernement. Nous y sommes. Avec Nicolas Sarkozy s’ajoutait à l’illusion le risque mortel de la division, ce qui a fait basculer François Bayrou dans la décision de voter au second tour pour Hollande : "Un pays peut revenir de ses illusions, il ne revient pas de ses divisions, de ses détestations, de ses haines, lorsqu'elles flambent. Les illusions sont nuisibles, les haines sont mortelles."
Mais plutôt que s’en prendre à ses adversaires en les accusant de tromperie, François Bayrou s’en prend aux institutions : « Elles poussent les hommes politiques à raconter des histoires aux Français car en France, l’enjeu électoral, c’est tout ou rien ». Les institutions politiques françaises y sont présentées comme « vicieuses » et « viciées », incitant à entretenir des mensonges d’Etat, un contrat d’illusion avec les Français, en les infantilisant.
Avec un « pluralisme » qui « n'a pas droit de cité », « la vérité ne peut se faire entendre. ». C’est pour cela que la France, aujourd’hui, se trouve dans le mur.
Selon François Bayrou, le scrutin majoritaire, unique en Europe (hormis au Royaume Uni) où les courants politiques sont représentés à proportion de leurs voix, est notamment responsable de cette perversion. Car le scrutin majoritaire induit la bipolarité politique, laissant de côté les courants minoritaires, évince de fait de la représentation parlementaire 40% des citoyens (Front National + Front de Gauche+Modem). Il élude le débat, empêche les expressions nuancées et contradictoires, il évite la salutaire concertation en vue de trouver une position majoritaire réellement représentative. Ce sont pourtant souvent des partis minoritaires qui en démocratie ont le droit de se faire entendre et peuvent même faire basculer une majorité avec parfois quelque 10% des voix et qui justement obligent au débat public, participant ainsi à la conscience citoyenne. Evidemment c’est bien moins confortable pour les deux premiers partis majoritaires qui se trouvent obligés à faire des concessions, qui voient leur pouvoir mis à mal par un petit.
Mais comment faire voter une telle réforme institutionnelle par une majorité de parlementaires (3/5ème) actuellement élus grâce à ce mode de scrutin vicié ? Comme du reste le cumul des mandats, dont presque 80% bénéficient actuellement ? Evidemment à moins d’une abnégation exemplaire de la part des élus renonçant à leurs privilèges, cela ne peut se faire. Pourtant, les citoyens y sont favorables. C’est pourquoi François Bayrou prônait un référendum pour y arriver.
Retrouver l’approche coopérative, avec l’adhésion des citoyens conscients et responsables
Derrière ce constat apparaît notre difficulté à faire coexister la compétition et la coopération. Cela s’applique en politique comme en économie. L’économie libérale qui a du mal à faire coexister le marché en concurrence et l’alliance dans une entente coopérative des acteurs vers le bien commun, pour l’intérêt général de la communauté. De même l’Europe, qui devrait donner force à l’ensemble des pays de la communauté, a du mal à concilier la concurrence et l’approche coopérative, que ce soit entre pays ou entre sociétés de ces pays. Pour y arriver, il faut arriver à une certaine maturité, dépasser la vision à courte vue des intérêts particuliers à court terme. Cela passe par l’adhésion à un projet commun, à des objectifs communs, et pour obtenir l’adhésion et la confiance, il est nécessaire que chaque citoyen en prenne conscience, s’approprie la réalité des faits, l’information juste et la capacité de jugement, et qu’il s’en sente responsable. C’est la base de la démocratie selon Marc Sangnier, souvent cité par François Bayrou comme « l’organisation sociale qui porte à son maximum la conscience et la responsabilité des citoyens ».
La responsabilité de vérité, de réalité des faits, incombe aussi aux médias
La vérité des faits et de l’analyse des causes doit être portée non seulement par les politiques grâce à une exigence citoyenne, par la sanction des bonimenteurs, mais aussi exigée par la presse et les médias, et soutenues par la Toile, par le formidable réseau des internautes en quête de vérité, traquant les mensonges pour les dévoiler publiquement. J’en avais fait dans cet article le thème de mes vœux fin 2010 :
[Ce que je souhaite avant tout pour 2011, de la part du gouvernement, des personnalités politiques, de la presse et des médias, c’est LA VERITE.
Comme le disait la philosophe Hannah Arendt, « l’exigence de vérité est en elle-même une œuvre d’action politique ». Souhaitons que la presse œuvre pour l’exigence de vérité, par sa curiosité et son investigation, qu'elle ait une action pédagogique dans l’analyse comparée des faits, des opinions, des expériences des autres pays.
Aujourd’hui, la presse relaie des informations déjà pré mâchées, des dépêches et des annonces, rapidement, l’une succédant à l’autre et faisant oublier la précédente, une information plus ou moins copiée sur l’autre. Peu de temps pour l’analyse, peu de temps pour la réflexion, pour la recherche des causes et l’évaluation des conséquences, peu de motivation pour la critique et la comparaison des vérités. Or la première tâche des journalistes est de fournir de l’information sur des faits justes et pas seulement l’information délivrée par les canaux officiels.
Les journalistes ont une responsabilité immense dans l’équilibre de la démocratie, l’information et la formation du peuple, dans la formation de sa conscience et de sa responsabilité, du discernement et de son sens critique, comme dans la gestion de sa déprime et dans la confiance de la société en elle-même et dans la politique. La manière dont ils couvrent les faits, en rendent compte ou au contraire les occultent, oriente le sentiment général de défiance ou de confiance, de confusion ou de clarté, de mensonge ou de vérité, de malaise ou d’harmonie. ]
Pour résumer la réflexion de François Bayrou et son argumentation sur l’enchaînement des causes :« La vérité est le chemin vers le redressement : la vérité mène à la confiance, la confiance mène à la volonté, la volonté mène à la création, la création mène à la production, donc à nos emplois et au financement de notre modèle social ».
En cela François Bayrou me rappelle Maître Yoda (Star Wars) s’adressant à Anakin Skywalker son élève Jedi : « La peur est le chemin vers le côté obscur : la peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine mène à la souffrance ».
Article également publié sur blog Mediapart
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