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Fatalisme et développement

L’influence de la culture sur le développement n’est plus à démontrer. Or, on trouve dans la culture de certains pays en développement, qu’ils soient à dominance chrétienne ou musulmane, l’expression « si Dieu veut » ou « Inchallah », qui peut devenir problématique...

(avec Hicham El Moussaoui) L’influence de la culture sur le développement n’est plus à démontrer. Ponctualité, respect de la parole donnée, confiance sont autant de dispositions culturelles qui favorisent les échanges, notamment anonymes, et qui permettent la constitution d’une « grande société ». Il est un aspect psychologique et culturel qui est aussi crucial pour le développement : la conscience d’avoir son destin entre ses propres mains et d’être responsable - une attitude qui peut être bloquée dans certaines cultures.

Les psychologues parlent du « locus (lieu) de contrôle » interne et externe pour faire la différence entre les individus qui pensent que le « lieu de contrôle » de leur vie réside en eux-mêmes, se sentant maître de leur propre destin, et ceux qui pensent que ce lieu est extérieur, en dehors d’eux, croyant que ce sont donc des forces externes qui conditionnent leur vie. En un mot, c’est la différence entre les individus proactifs et les fatalistes. Voilà un premier niveau d’analyse pertinent pour la problématique du développement : l’esprit proactif se voit acteur du changement. Or, c’est ici une composante essentielle de l’esprit d’entreprise qui est au cœur de la dynamique du développement : l’entrepreneur, du vendeur de coin de rue à Steve Jobs, par son action, « change les choses », innove, apporte des services là où ils manquent. En bref, il crée de la valeur. Et sans esprit entrepreneurial, du fait d’une attitude fataliste, pas de développement.

La deuxième conséquence de l’attitude fataliste est toute aussi importante et se combine avec la première. C’est l’idée que n’étant pas maître de mon destin, je n’en suis donc pas responsable. Or, le concept de responsabilité est aussi fondamental pour une société d’échanges anonymes basée sur les contrats. Si, lorsqu’un contrat est passé et qu’il n’est pas respecté par l’une des parties, cette dernière arguant que « ce n’est pas sa faute », et se dégageant ainsi de manière trop facile de sa responsabilité, c’est évidemment une incitation très forte pour la partie adverse à ne plus faire confiance. Il y a un lien fort entre le fait que dans une communauté les individus soient responsables (qu’ils assument leurs erreurs et cherchent à les corriger sans se défausser sur « la faute à pas de chance ») et le fait que ces individus éprouvent un sentiment de confiance les uns envers les autres. Or, la confiance permet de tisser des réseaux au-delà de nos connaissances familiales ou amicales, un ingrédient essentiel du développement. Et le fait que l’on nous fasse confiance dans un cadre où notre responsabilité est engagée, nous pousse à être d’autant plus responsable, de sorte à ne pas éroder ce capital-confiance. Responsabilité individuelle et confiance mutuelle se renforcent donc mutuellement, et favorisent le développement.

De ce point de vue, on trouve dans la culture de certains pays en développement, qu’ils soient à dominance chrétienne ou musulmane, l’expression « si Dieu veut » ou « Inchallah », qui peut devenir problématique. A l’origine, cette expression participe d’une humilité et d’une modestie face à la volonté de Dieu. Elle signifie ainsi : « je m’engage à effectuer quelque chose, mais sachant que la volonté de Dieu est plus forte ». Ceci n’implique en aucun cas ici fatalisme ou irresponsabilité : la volonté divine au sens de validation n’exclut pas la volonté humaine, sinon Dieu n’aurait pas de raison pour juger les humains puisque tout ce qui leur arrive serait de Son œuvre. La volonté divine laisse ainsi une marge de manœuvre à la volonté humaine et à la responsabilité individuelle. Malheureusement, cette attitude d’humilité a été détournée. On a fait de l’expression un prétexte pour échapper à ses propres responsabilités, ne pas assumer ses engagements et développer une espèce de fatalisme irresponsable. Ce dernier inhibe l’esprit d’entreprise et sape, par le biais de l’absence de responsabilité, la confiance mutuelle, deux attitudes essentielles pour le développement.

Pourtant, au vu des gains (en termes de développement) qu’il y aurait pour les individus à adopter une attitude proactive et responsable, pourquoi assiste-t-on à certains endroits à ce retranchement fataliste ? La culture à elle seule peut-elle expliquer sa propre puissance ? En fait, bien souvent la prévalence d’institutions informelles (les traits culturels) peut s’expliquer en grande partie par les institutions formelles (codifiées par le politique). Ces dernières fournissent les incitations à se comporter de telle ou telle manière. Dans les sociétés dans lesquelles les incitations à l’attitude proactive (par exemple, où la liberté économique est très faible) sont réduites à néant par le pouvoir, c’est-à-dire des « sociétés sans espoir », les individus se tournent peu à peu vers le fatalisme. Les mauvaises institutions informelles et formelles se renforcent ainsi mutuellement pour tirer les populations vers le bas.

Il est alors d’autant plus difficile de réformer les institutions formelles que les institutions informelles ont été dégradées. Nul doute d’ailleurs que le pouvoir, ayant étouffé l’espace de responsabilité des individus par des politiques supprimant leurs libertés, les jetant dans les bras du fatalisme irresponsable, trouve alors dans ce dernier un prétexte pour diriger d’une main de fer toujours plus dure une population qu’il considère comme apathique. L’instrumentalisation du fatalisme à des fins politiques permet d’ailleurs un meilleur contrôle social.

Pour sortir de ce cercle vicieux il faut d’une part que les croyants retrouvent une interprétation intelligente de la Parole de Dieu qui leur commande de s’épanouir pour faire le bien, ce qui implique de se débarrasser de ce fatalisme irresponsable. D’autre part, il faut que les décideurs politiques soient mis en face de leurs responsabilités, par leurs pairs dans les pays libres comme par la société civile internationale (qui doit aussi faire pression sur ces derniers). La « société sans espoir » ne doit plus être une fatalité.

Emmanuel Martin et Hicham El Moussaoui sont analystes sur UnMondeLibre.org.

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4 réactions à cet article    


  • Massaliote 17 novembre 2010 14:00

    Si Dieu veut : ça n’a pas empêché la France de progresser.


    • Emmanuel Martin 18 novembre 2010 10:38

      Le but de l’article est de faire justement la différence entre deux attitudes relativement à cette expression.


    • easy easy 17 novembre 2010 23:17


      C’est un sujet intéressant.

      Il y a à considérer ce côté Inch’Allah.
      (« Si Dieu veut » étant davantage sa déclinaison préférée des Juifs sépharades ou des Pieds-Noirs que des Croisés)

      Mais il y a à considérer également des tas d’autres détails qui semblent différer de ce fatalisme car inviquant moins directement Dieu.
      Ca concerne plus globalement le principe de connaissance qui, dans l’absolu, va vers le « tout savoir » et de là, car il faut bien que ça serve à quelque chose, « tout maîtriser »

      Le champ sémantique de « maîtrise » recouvrant, comme par hasard, aussi bien le fait de savoir que le fait de contrôler ou piloter.
      Et la maîtrise conduit à la précision. Peut-être que les pharaons, les empereurs de Chine et les rois de France avaient parfois concu de mesurer sous la seconde. Mais il semble évident que bien d’autres peuples, parfois capables de prédire des éclipses (ce que je suis infoutu de faire) n’ont jamais pensé à mesurer ni les nanosecondes ni les picogrammes.
      Cette névrose de la maîtrise de tout et de toutes choses peut être confondue avec l’activisme dont nous parle Emmanuel Martin puisqu’on voit bien que les secteurs géographiques où règnent ces deux attitudes se superposent.

      C’est donc un ensemble de visions des choses qui font les grandes différences culturelles, pas seulement le fatalisme, sauf, à le prendre au sens très large, avec toutes ses implications.

      Autant dire tout de suite que Yann Arthus Bertrand ne mettrait pas longtemps à relever que le secteur géographique non névrosé de la maîtrise est plus économique des ressources, donc plus durable que le secteur névrosé où l’on est capable de mesurer une partie pour mille d’ozone à 30 km d’altitude.


      C’est que la maîtrise a apporté certes des émerveillements de type prométhéens mais que de casseroles !
      Sous Louis XIV, on s’appliquait à greffer des plants différents et on parvenait à produire jusqu’à 70 sortes de poires différentes. C’était bien la maîtrise qui offrait cette abondante variété n’est-ce pas ? Et bien 250 ans plus tard, on en est à ne plus cultiver qu’une poignée de variétés, toujours selon un principe de maîtrise. Sous Louis XIV on voulait maîtriser la variété, aujourd’hui on veut maîtriser la rentabilité. Même principe pour les pommes, les vaches et les haies qui ne sont plus que de thuyas.
      C’est également le souci de maîtriser la rentabilité qui provoque la chômage des temps modernes.


      On a les nerfs quand on est en Tanzanie, qu’on a pris RDV avec un marchand de langoustes et qu’il arrive...trois jours plus tard ou quand le visa attendu tel jour ne l’est pas encore une semaine après. Les boules.

      Oui mais le stress, il est ressenti par qui ?
      Par l’homme pressé, ponctuel, seulement ponctuel et précis, rectifiera-t-il. OK un point pour l’Occidental en matière de ponctualité, mais c’est lui qui se bourre d’anxiolytiques quand il manque 300€ à son objectif de CA hebdomadaire.

      Bon, je ne vais pas en rajouter au fardeau de l’homme Blanc, tant il se voit déjà dans le mur du développement.


      Je vais dériver sur autre chose.
      Ici, chacun irait vite à dire qu’on ne peut bien faire qu’en mesurant précisément, en utilisant par exemple un mètre ruban de chez Casto, un pied à coulisse, un palmer, un chronomètre. Alors que c’est loin d’être toujours le cas. 
      Un tailleur fera l’ourlet le plus précis en le préparant sur son client, directement, sans jamais rien mesurer. On peut faire un quatre quart sans jamais connaître le poids absolu de chacun des ingrédients. Un charpentier peut monter une charpente sur place en n’utilisant que deux ou trois fois son mètre. Un luthier peut fabriquer des violons sans jamais se servir d’instrument de mesure, un cordonnier, un potier, pareil. Ils font par report de tracé, par gabarit, par moulage.

      (il se pourrait qu’Einstein, Freud, Schweitzer, Gandhi, Van Gogh et Marx se soient servi d’un seul instrument de mesure au cours de leur vie, une montre)

      Ici, nous avons souvent le réflexe de croire qu’on ne peut faire ou contrôler que de façon absolue alors qu’en fait, on peut faire beaucoup de choses de manière relative tout en étant autant sinon plus précis

      Emmanuel nous parle aussi de la responsabilité plus grande du proactif. Oui, mais ça débouche aussi sur la judiciarisation à outrance. Ici, on fait désormais procès à tout propos. Il fait trop chaud, on fait procès à l’Etat qui n’a pas installé de la clim chez les ptits vieux. Une vague emporte des maisons, on accuse les édiles qui ont délivré les permis. On accouche d’un trisomique, on fait procès au gynécologue. Maman donne un petit milliard à son copain, on lui fait procès...


      • Emmanuel Martin 18 novembre 2010 10:39

        L’article n’est effectivement pas « raciste », de ma part ou de celle d’Hicham.

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