Faut-il brûler le « sarkommunautariste » Manuel Aeschlimann ?
Cette campagne présidentielle fait une part importante, peut-être même inédite, aux entourages des candidats. Les cerveaux tournent à plein régime depuis plusieurs mois. La principale difficulté, pour le petit cercle de ceux qui peuvent prétendre au second tour, réside dans la traduction pratique de théories qui, par leur originalité, risquent d’effrayer l’électorat. Royal en a fait l’expérience avec les « jurys citoyens », Bayrou avec sa « social-économie » et Sarkozy avec la « discrimination positive ». On ne les y reprendra pas. Car les idées, c’est bien. Mais les voix, c’est mieux...
Mardi 27 février, Le Figaro ouvre une grande série de reportages sur les entourages des candidats à l’élection présidentielle, en commençant par le portrait de la surprenante Sophie Bouchet-Petersen, éminence grise de Ségolène Royal. Le moindre mouvement au sein des « équipages », comme l’a récemment montré l’affaire Besson, excite l’intérêt des observateurs, prompts à y déceler la composition du futur gouvernement ou un infléchissement dans la stratégie électorale du candidat - car les positionnements importent plus que les positions.
Le marketing politique de
« niche », comme on dit chez Procter et Gamble, est plus que jamais à
l’ordre du jour. Les principaux candidats doivent compter avec des masses
électorales qui reflètent la fragmentation de la société française :
chacun cherche chez l’un ou l’autre la satisfaction de ses intérêts propres. Que
ce soit à droite ou à gauche, il faut composer avec les ruraux, les bobos, les
cosmo, les néo, les crypto, les cathos, les libéraux, les métallos,
etc...L’équilibre est subtil à atteindre. Une véritable alchimie.
Ainsi, dans le camp
sarkozyiste, certains ont assimilé l’éloignement de Nadine Morano, députée et
déléguée nationale de l’UMP, à un rejet de la ligne libérale-libertaire
(« non aux impôts, oui aux homos »). Invité également, semble-t-il, à
plus de discrétion, Manuel Aeschlimann, député-maire d’Asnières, conseiller de
Nicolas Sarkozy pour l’opinion publique, ferait quant à lui les frais
d’une approche communautaire de la politique (« communautariste »,
diront ses détracteurs) qui rebute encore une majorité de Français - c’est-à-dire
une majorité d’électeurs.
Faut-il pourtant mettre au
placard des idées novatrices, et peut-être adaptées aux problèmes actuels, sous
prétexte que les Français ne sont pas prêts à les entendre ? Gageons
qu’une fois la campagne terminée - et avec elles les beaux discours
artificiels, superficiels et simplistes - les nouveaux dirigeants
recommenceront à solliciter la créativité de ceux qui n’hésitent pas à
recommander des réformes structurelles, des réformes de régime, pour
sortir le pays de l’ornière où il se trouve.
Asnières, laboratoire de la « France
d’après » ?
Manuel Aeschlimann est, à cet égard, un profil significatif. Contesté dans son fief d’Asnières pour des raisons essentiellement politiciennes (il s’y est pourtant fait élire dès le premier tour avec l’un des meilleurs scores de France), il n’en est pas moins le maître d’œuvre d’initiatives qui pourraient faire école. Mettons de côté les querelles de clocher, les maladresses, les inévitables erreurs des uns et des autres, et intéressons-nous à la ligne générale suivie par Manuel Aeschlimann dans sa commune - laquelle constituerait un laboratoire de la « France d’après » au pays de Nicolas Sarkozy, les Hauts-de-Seine.
Manuel Aeschlimann commence
par poser un diagnostic que le politiquement correct républicaniste assimile à
un blasphème : « le sacro-saint principe de l’intégration
républicaine a échoué » (Le Monde, 8 mars 2006). Cachez ce sein que
nous ne saurions voir... Il explique ensuite qu’à Asnières, il a « laissé
l’idéologie de côté pour répondre aux attentes de [ses] administrés »
(intervention à l’Assemblée nationale, 15 janvier 2003). Coiffant la casquette
du stratège électoral, il déplore que la droite soit encore « incapable de
faire émerger des personnalités charismatiques parmi les jeunes issus de l’immigration »
alors que, par ailleurs, « il existe de plus en plus de jeunes issus de
l’immigration qui affichent clairement leur engagement à droite » (Le
Nouvel Observateur, 21 juin 2004).
L’initiative la plus
emblématique de cette Aeschlimann touch est certainement la création d’un
« Conseil des Communautés ». Le nom est à lui seul une provocation
pour les républicanistes. Créé en mars 2003, ce Conseil compte 300 membres
représentant les 50 nationalités étrangères présentes sur la commune
d’Asnières, soit 16% de la population. D’après le conseiller de Manuel
Aeschlimann chargé des relations avec les communautés religieuses et
étrangères, Luc Ristori, il se veut « un forum de dialogue et d’écoute afin
d’améliorer le quotidien des communautés et un outil de valorisation des
cultures identitaires ». Ce Conseil des Communautés a ainsi pris part à
différentes manifestations culturelles proposées par les Chinois, les Indiens,
les Algériens, les Créoles...Il a aussi apporté sa contribution aux débats de la
Commission Stasi chargée de réfléchir à la réforme de la laïcité, et initié à
travers l’un de ses membres musulmans la construction de la plus grande mosquée
des Hauts-de-Seine. La municipalité d’Asnières refuse qu’on parle de ce Conseil
comme d’un gadget. Au contraire, il symbolise une action politique de proximité
reposant sur trois piliers : la prise en compte de la nouvelle réalité
sociale, le respect des identités et la recherche du bien commun.
Manuel Aeschlimann s’en
explique : « Petit à petit, le vote idéologique est remplacé par le
vote sur enjeux (...) Je sais qu’en France on prend cela pour du cynisme et du
marketing politique. Moi je dis que c’est du pragmatisme. Il faut traiter les
problèmes des Français au plus près de leurs préoccupations » (Le
Figaro, 7 juillet 2005) Les résultats sont-ils au rendez-vous ?
« Lorsque la France a connu une flambée de violence [les émeutes des
banlieues de novembre 2005, parties de Clichy, commune voisine d’Asnières,
ndla], j’ai évidemment tenu à accompagner nos forces de police dans leurs
missions nocturnes à Asnières. Devant leur remarquable travail, et pour leur
apporter un soutien logistique, j’ai fait mettre en place le Comité Asniérois
de Veille Citoyenne. Les médias ont largement parlé de cette initiative. Les
résultats positifs sont indiscutables. » (Asnières Info n°265,
décembre 2005) De fait, aucun incident majeur n’a été enregistré à Asnières
pendant les émeutes.
Manuel Aeschlimann n’est
certainement pas un saint. Aux yeux de ses détracteurs, son péché principal est
d’avoir de l’action politique une conception réaliste : selon lui, les
autorités civiles ont pour vocation principale de donner aux citoyens les
moyens de vivre dans la liberté et la sécurité, et non de les mener vers la
cité idéale où tous les hommes se tiennent par la main. La « démocratie
participative de droite », en somme, à mille lieues du maternalisme de
Ségolène Royal.
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