Faut-il reconnaître un statut pour l’opposition en France ?
Le débat sur la réforme de la procédure parlementaire, et notamment sur l’exercice du droit d’amendement, qui a commencé ce mardi à l’Assemblée Nationale avec en off, la guerre des clips sur internet, ne devrait-il pas déboucher sur l’institutionnalisation d’un statut juridique pour l’opposition avec la reconnaissance des droits et des devoirs pour cette dernière ?
Cette institutionnalisation du statut de l’opposition revient, selon un éminent professeur d’université sénégalais El Hadj Mbodj, « à consigner dans un document unique, les droits et sujétions, les moyens et responsabilités devant permettre à l’opposition d’assumer sa fonction d’alerte, de critique et d’alternance à la majorité qui exerce le pouvoir d’Etat »[1].
La France est l’une des démocraties occidentales à refuser de reconnaître un tel statut pour son opposition au motif que « la notion d’opposition n’existe pas dans le droit positif ». En effet, la Constitution de 1958 se contente d’admettre dans son article 4 que « les partis et regroupements politiques concourent à l’expression du suffrage ».
On se rappelle qu’en juin 2006, Jean-Louis Debré, l’ancien président de l’Assemblée nationale avait tenté en vain, d’introduire dans le règlement de cette institution une telle réforme. Il a été confronté à des hostilités de la majorité UMP et du Conseil Constitutionnel qui avait censuré l’une des dispositions envisagées.
On se rappelle aussi que le président Sarkozy avait dit dans son discours d’Epinay le 12 juillet 2007 : « [il faut] ensuite et surtout doter l’opposition d’un statut qui lui garantisse les moyens politiques, juridiques et financiers de pouvoir se conduire comme un contrepouvoir réel face à la majorité. Ce statut devra comprendre notamment des droits d’information, des droits protocolaires, le droit de créer une commission d’enquête. De même, ce que nous avons fait librement, laisser la présidence de la commission des finances à l’opposition, devra être prévu dans le statut de l’opposition, car c’est une garantie d’une démocratie irréprochable. Je suis convaincu que le statut de l’opposition sera un grand progrès pour l’exemplarité de notre République ».
La reconnaissance d’un statut de l’opposition est une préoccupation très largement partagée à travers le monde. Même en Afrique, certains pays francophones bien qu’ayant copié la Constitution française ont intégré dans leur législation, le statut de l’opposition avec un leadership de l’opposition organisé autour d’un chef de file de l’opposition. Le chef de l’opposition étant le premier responsable du parti de l’opposition ayant le plus grand nombre d’élus au parlement. Au Togo, l’un des mauvais élèves en matière de reformes démocratiques sur le continent, le gouvernement vient d’adopter un projet de loi instituant un statut de l’opposition, même s’il y a lieu de craindre que cette loi soit dévoyée.
Au Ghana, le pays africain qui vient de connaitre deux alternances démocratiques successives en dix ans, que le Secrétaire Général des Nations Unies a qualifié d’ « exemple admirable », il y a au parlement un Majority Leader et un Minority Leader qui sont des personnages officiels. Le Minority Leader (le chef de l’opposition) est le chef du plus important groupe minoritaire. Ainsi lorsque plusieurs groupes forment la minorité, c’est le chef du groupe numériquement le plus important parmi la minorité, qui est le chef de l’opposition.
Ce système ghanéen s’inspire de celui de la Grande Bretagne où le leader de l’opposition parlementaire est défini par le Ministerial salaries consolidation act de 1965 comme « le député de la chambre qui est en même temps le leader du parti en opposition au gouvernement de Sa Majesté qui le plus important numériquement à la Chambre des Communes ».
En France, la reconnaissance d’un statut à l’opposition ne saurait se limiter à l’attribution de la présidence de la commission des finances, de l’économie générale et du plan de l’Assemblée nationale à l’opposition intervenue dernièrement alors que cette présidence échoit au principal parti de la minorité en Allemagne depuis 1949, ni à l’adoption d’une loi réformant le travail parlementaire.
La majorité UMP en voulant restreindre le temps de parole de l’opposition avec sa loi organique sur la réforme de la procédure parlementaire, doit s’inspirer de la pratique canadienne : l’opposition ayant vu son temps de parole limité afin d’éviter la prolongation des discussions et l’obstruction systématique, s’est vue reconnaître à l’un de ses représentants le droit de s’exprimer en premier, à la suite du ministre concerné. Elle s’est vu aussi réserver 20 jours chaque année pour mettre en débat une motion et formuler des critiques envers le gouvernement sur des thèmes relevant de « l’intérêt national »
En Italie, un temps de parole supérieur à celui dont disposent les parlementaires de la majorité lors de la discussion des projets de lois est attribué à l’opposition. En Finlande, elle a la possibilité d’exprimer une opinion divergente dans les rapports de commissions ou de publier un « rapport de la minorité ».
Dans une interview au journal le Figaro , le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, déclare que : « je proposerai, dans la réforme du règlement intérieur de l’Assemblée, un « statut de l’opposition » déclinant ses droits nouveaux, en particulier l’égalité du temps de parole entre la majorité et l’opposition lors des séances de questions au gouvernement - tel que cela avait existé entre 1974 et 1981 - et dans toutes les activités d’évaluation et de contrôle de l’action gouvernementale »
Il importe donc que le débat sur le droit d’amendement débouche sur la reconnaissance effective d’un statut de l’opposition quitte à modifier la Constitution de 1958 en s’inspirant des différents statuts de l’opposition existants (Allemagne, Grande Bretagne, Italie, Canada, Ghana…) pour faire de la France, une démocratie moderne permettant à l’opposition « de mieux jouer son rôle » comme l’avait admis le président Sarkozy dans son discours d’Epinay du 12 juillet 2007.
Me Komi TSAKADI
Lomé
[1] El Hadj Mbodj, Statut de l’opposition et financement des partis politiques, Rapport au Président de la République, Dakar, 1999, p. 28.
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