Femme enceinte tuée par des chiens : l’indécence des chasseurs
Une jeune femme partie promener son chien en forêt et qui est retrouvée morte. La présence d'une chasse à courre à proximité. Une enquête en cours. Et des chasseurs qui, en attendant, font preuve d'une indécence incroyable.
Le déroulement des faits
Samedi 16 novembre, une jeune femme de 29 ans, Elisa Pilarski, se rend en bordure de la forêt de Retz, pour y promener l'un de ses chiens, Curtis. Peu après 13 heures, elle appelle son conjoint Christophe au secours : elle affirme être attaquée par plusieurs chiens (lesquels l'ont déjà "mordu à la jambe et aux bras") et lui demande de la rejoindre au plus vite. Christophe, qui travaille à 70 kilomètres de là (à l'aéroport de Roissy), arrive sur place 3/4 d'heures plus tard, soit environ vers 14 heures. Et vers 15 heures, il découvre "dans un ravin" le corps sans vie de sa compagne, "dénudé et dévoré de partout".
Des détails troublants
Seul témoin déclaré des circonstances entourant ce drame (appel téléphonique, découverte du corps), Christophe précisera devant les médias un certain nombre d'éléments troublants. A commencer par ceux fournis par sa compagne au moment de l'agression : "Elle m'a appelé en me disant que ... qu'elle n'arrivait pas à tenir Curtis car il y avait trop de chiens autour d'elle". Puis par ceux qu'il a pu constater lui-même une fois arrivé sur place : "je l’ai cherchée partout ... j’ai croisé des chiens de chasse dans un premier temps, un cavalier aussi". Et enfin, au moment de la découverte du corps : "Quand je vais pour regarder dans le précipice, je vois une trentaine de chiens arriver sur moi, donc je m'écarte".
Une enquête en cours
En début de semaine suivante, l'autopsie établit que "le décès s'est produit entre 13 h et 13 h 30 et a pour origine une hémorragie consécutive à plusieurs morsures de chiens aux membres supérieurs et inférieurs ainsi qu’à la tête". Dans la foulée, le procureur de Soissons Frédéric Trinh annonce que "des prélèvements sont en cours sur 67 chiens (rectifiant les 93 annoncés au départ, ndr), dont 5 chiens du couple et 62 appartenant à l'association le Rallye de la Passion (la chasse à courre, ndr)". D'abord confiée à la section de gendarmerie de Soissons, l'enquête est finalement prise en charge par celle d'Amiens, la présence d'un lieutenant-colonel de gendarmerie local, Jean-Charles Métras, ayant été révélée parmi les chasseurs.
Aucune piste privilégiée ...
En milieu de semaine, le parquet de Soissons annonce l'ouverture d'une information judiciaire pour "homicide involontaire ... résultant de l'agression commise par des chiens" et confie l'enquête à un juge d'instruction. "Nous n'avons pas de piste privilégiée" explique par ailleurs le procureur Trinh. Trois hypothèses sont étudiées : une attaque de la victime par son propre chien, par ceux ayant participé à la chasse à courre, ou encore par un chien errant. Précisons que le chien d'Elisa, Curtis, a lui aussi été retrouvé avec de nombreuses blessures/morsures (à la tête notamment) et semble donc lui aussi être une victime de l'attaque. Quant à l'hypothèse d'un chien errant capable de dévorer une personne protégée par une sorte de Pit Bull (un American staffordshire) : fortiche !
Connaissez-vous la chasse à courre ?
La chasse à courre (ou vénerie) est un mode de chasse ancestral généralement pratiqué par des notables. Il consiste à utiliser une meute de chiens dits "courants" (Poitevins, Français tricolores ...) afin de poursuivre un animal sauvage (cerf, chevreuil ...) jusqu'à son épuisement ; acculé, l'animal est alors tué (à l'arme blanche ou au fusil) par un membre de l'équipage ou déchiqueté par les chiens. Parmi le champs lexical de la chasse à courre, "l'hallali", qui désigne les derniers moments de l'animal (lorsqu'il ne peut plus fuir et commence alors à être attaqué par les chiens) et "la curée", qui désigne le fait de nourrir les chiens avec des morceaux de viande découpés sur place.
Des accidents rares ...
Malgré ces scènes d'une grande violence, on doit à l'honnêteté de reconnaître que les attaques sur humains sont particulièrement rares. Les chiens courants sont habitués à chasser un animal précis et la réussite de leur mission dépend en grande partie de cette particularité. Pour autant, les situations exceptionnelles existent toujours, et avec elles leurs lots "d'accidents". Le monde de la chasse regorge d'ailleurs d'histoires en tout genre : des chasseurs confondant leur collègue avec un animal sauvage (sanglier, renard ...), des chiens de chasse s'en prenant à un animal domestique (teckel, chat ...), des chiens courants sautant du haut d'un ravin ...
... mais possibles
Les chiens du Rallye de la passion étaient-ils bien traités ? Dans quelles conditions étaient-ils hébergés ? Etaient-ils bien nourris ? Bref, quelque chose pouvait-il justifier d'une quelconque agressivité ? Par ailleurs, même si un chien est habituellement calme, il peut devenir agressif dans certaines conditions ; à fortiori s'il s'agit d'un animal conditionné et qu'il est placé en meute. Les chiens auraient-ils pu confondre Elisa avec une proie ? Cette dernière aurait-elle adopté un comportement de fuite (et ainsi pu déclencher un comportement de prédation) ? Aurait-elle déclenché l'agressivité de la meute en tentant de défendre son chien ? De simples hypothèses, qui ne sont pas plus absurdes (et en tout cas moins odieuses) que celles qui vont suivre ...
Les arguments fallacieux de la société de vénerie
Antoine Gallon, directeur de la communication de la société de vénerie : "Elisa Pilarski promenait ... un chien de combat ..., dont on ne peut imaginer qu'il ait laissé sa maîtresse se faire dévorer sans la défendre ! Or, des vétérinaires mandatés par les gendarmes ont inspecté les 62 chiens de l'équipage et aucun ne présentait de traces de morsure". Un argument péremptoire autant qu'hasardeux. Un chien attaqué par une meute est-il forcément apte à se battre ? A mutiler ses assaillants ? Et puis, n'a t-on pas pu planquer des chiens ? Au fait, de quelle gendarmerie s'agit-il ? Celle du gendarme-chasseur Métras ? Etrange argumentaire en tout cas que celui qui entérine l'idée d'une attaque massive, tout en dédouanant la seule meute dont la présence est attestée sur place.
Un témoignage douteux
Autre propos hallucinant, le témoignage d'un participant de la chasse, Jean-Michel Camus. Ce dernier rapporte avoir croisé le compagnon d'Elisa ce jour-là et avoir eu avec lui l'échange suivant : "'je (christophe, ndr) cherche mon chien, faites attention à vos chiens car le mien est très dangereux' ... je lui ai répondu que nos chiens n'étaient pas méchants, mais lui m'a répété que ses chiens étaient 'très très méchants' et qu'il fallait faire attention ; 'il était avec ma femme et je la cherche'" aurait alors conclu Christophe. Etrange description que voilà : un conjoint appelé au secours par sa femme, mais qui s'inquiète pour la sécurité des gens qu'il croise ...
Entre raccourcis et mauvaise foi
Et enfin, les arguments de Pierre de Roualle, le président de la société de vénerie. Globalement une reprise des arguments précédents (l'absence de blessures sur les chiens de chasse, contrairement à celui d'Elisa "très largement blessé et euthanasié" ; ou encore l'insistance de Christophe, ah tiens ! auprès du maître d'équipage Sébastien Van den Berghe cette fois-ci, sur la dangerosité de son chien) ; mais avec une pépite en plus : l'heure de l'accident, qui serait maintenant en décalage "de presque une heure" avec le passage des chasseurs (d'ailleurs, à quelle heure Christophe les a-t-il croisé hein ?).
Les chasseurs se serrent les coudes
On passera rapidement sur "les chiens répondant parfaitement aux ordres" mais que l'on retrouve parfois sur des routes ou au milieu des habitations ; sur "les chiens ne se détournant pas de la piste de l'animal" mais que des militants anti-chasse déconcentrent parfois avec un simple sachet de croquettes ; ou encore sur "les chiens suivis de près par le maître d'équipage" ... à l'exception du moment où celui-ci croise quelqu'un (Christophe en l'occurrence) ... ; pour conclure sur l'extraordinaire "solidarité" des chasseurs, leur arrogance aussi, au mépris de l'enquête en cours et de la douleur de la famille. Dernier exemple en date, le président de la fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, affirmant catégoriquement (dans Valeurs actuelles) : "les chiens de chasse à courre ne sont pas impliqués".
Prêts à peser dans la balance
Depuis le début de cette affaire, les chasseurs n'ont de cesse d'occuper l'espace médiatique avec une indécence et un cynisme incroyable. "C'est pas nous, c'est pas nos chiens" claironnent-ils en coeur (certains n'étant même pas présents sur les lieux le jour du drame). D'où vient cette impudence ? De leur proximité avec le président Macron ? Du soutien sans faille apporté par ce dernier depuis le début de sa présidence ? En attendant qu'un jugement ne soit rendu, les chasseurs semblent en tout cas bien décidé à peser dans la balance. Avec toutes leurs incohérences ...
Quelques liens
L'ouverture d'une enquête pour homicide involontaire
La déclaration de la société de vénerie
L'interview de Pierre de Roualle, président de la société de vénerie
Les arguments d'Antoine Gallon, directeur de la communication de la société de vénerie
L'interview de Jean-Michel Camus, porte-parole de l'équipage de chasse à courre
L'interview de Willy Schraen, président de la fédération nationale des chasseurs
Chasse à courre : des chiens s'attaquant à l'arrière-train d'un cerf
Un cerf abattu dans un jardin lors d'une chasse à courre
Une chasse à courre qui s'achève dans une cuisine
Des chiens courants qui sautent du haut d'un ravin
Des chiens de chasse qui attaquent un teckel se promenant avec ses maîtres
Une chasse à courre perturbée avec des croquettes
Macron, les chasseurs et le pacte de Chambord
Thierry Coste, conseiller de Macron et des chasseurs
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