Fin du monde, cataclysmes, troisième guerre mondiale : la mystique bourrue du ça-va-pétisme
Dans cet article, dont le brouillon fut écrit il y a quelques semaines, inspiré d'une scène de Secret Story, nous essayons de montrer les bons et les mauvais côtés de ce qu'on appelle la « dissidence ». Il nous semble que la « dissidence » doit continuer à faire valoir ses positions, mais en conservant à l'esprit qu'elle n'est pas si influente qu'elle veut bien le croire. La « dissidence » gagnera en crédibilité si elle abandonne l'un de ses travers principaux : le triomphalisme facile du « super-tout-va-péter-grâce-à-nous ! ». Entre le triomphalisme et le découragement, une petite place est faite pour le réalisme militant.
Au moment où j'écris ces lignes, je surprends sur mon téléviseur allumé une scène de Secret story, téléréalité « française », où l'on voit des jeunes gens évoluer sur une piste enneigée... à Dubaï ! Que cette station de sport d'hiver, apprend-on, soit totalement artificielle et nichée en plein cœur d'un centre commercial géant ne fait que rajouter à l'incongru. Le mot télé-réalité est lui-même incongru : un oxymore. Nous évoquions la superposition des universalismes, nous y voilà ! Cela, inévitablement, me rappelle certains propos de nos nouveaux lycéens, qui, plus forts qu'au Lycée Papillon, n'hésitent pas à écrire au baccalauréat que le grand philosophe français du XX° siècle, Descartes, était très ami avec Socrate et Voltaire. Et après tout, chacun sait que nos ancêtres les Poilus cachaient beaucoup de juifs dans les tranchées, en collaborant avec Hitler sous l'ancien Régime, dirigé par le Maréchal Pétain. Heureusement que la Révolution Française a mis bon ordre à tout cela... C'est le déracinement : il n'y a plus ni espace ni temps, ni chronologie ni géographie. On plane dans un cauchemar sans GPS.
Mais brisons-là. Ces considérations amères, et finalement triviales, pourrait nous faire tomber dans un manichéisme facile, assez présent chez les patriotes, revisitant l'opposition d'un Camp du Bien et d'un Axe du Mal en mode inversé, avec d'un côté les individus-système lobotomisés, zombifiés, et de l'autre, les fractionnaires, les dissidents, quel joli mot, bourrés de testostérone, de clairvoyance et de culture. La réalité n'est pas si simple. En réalité, le mondial-système imprègne suffisamment la dissidence pour qu'une très grande partie de celle-ci soit également constituée d'hommes-masse. Si j'osais mathématiser la chose, je dirais qu'il y a peut-être sur terre 90% de pauvres types à genoux devant la méphitique beauté du Système et 10% de réfractaires, mais encore faudrait-il préciser que sur ces 10% qui forment la dissidence, il subsiste probablement encore 90% de lourdauds qui s'abandonnent au système en croyant le combattre. La dissidence n'est pas une élite touchée par la grâce... La dissidence est un petit milieu, une petite chapelle, une petite mare aux canards pas très propre, dans laquelle, comme partout, le meilleur côtoie le pire. S'il existe sur terre une élite authentique, des sages, des justes, des saints, ils sont peut-être tous dans la dissidence, admettons, mais ils ne sont certainement pas toute la dissidence.
Lorsqu'on vit au milieu des bien-pensants, surtout les gauchistes-bisounours, on perçoit rapidement l'étendue de leur bêtise ; toutefois, il en est de sympathiques, de supérieurs, finalement assez proches de nos convictions. Lorsqu'on a l'expérience des petits milieux patriotiques, identitaires, nationalistes, soraliens, complotistes, etc., bref, ce qu'on appelle la dissidence (ce que le système appelle « l'extrême-droite » pour en discréditer les positions), on comprend également assez vite qu'il y a en beaucoup d'infréquentables. On pourrait poser comme théorème qu'un bien-pensant nuancé, cultivé, lucide malgré tout, reste très au dessus, intellectuellement et moralement, d'un « dissident » manichéen, sectaire et borné.
Par exemple, ces anecdotes qui placent Bouddha en enfer, bien-fait-pour-sa-tronche ; ces propos racistes où les hindous ne sont plus que des adorateurs d'éléphants..., on ne les trouve guère, malheureusement, que dans les blogs de la dissidence. De même pour le contre-révisionnisme historique qui nous peint l'Ancien Régime ou le Moyen-Âge comme des paradis perdus. Idem encore pour ces complotistes qui se figurent Darwin comme un juif athée, rabaissant l'homme au singe (l'expression « singe de Dieu » désignant d'ailleurs le diable). Et ne parlons pas de Freud ! Idem pour ceux qui voient des symboles illuminati dans la moindre configuration plastique. Idem pour les acharnés de la bipédie initiale1, les inconditionnels du récentisme2, pour les mystiques de l'Atlantide ou les ravis de l'édification des pyramides par les extra-terrestres. Idem encore pour ces dissidents à peine plus raisonnables de la bonne bourgeoisie catholique à beaux salons et belles cheminées de marbre, incapables de s'intéresser à la question sociale, très remontés contre les syndicats, payant mal le personnel (ce qui est pourtant contraire aux commandements de l’Église si j'en crois le Catéchisme de Saint Pie X), Marx n'étant plus qu'un juif internationaliste ourdissant la fin de la Chrétienté...
Il subsiste ainsi clairement une véritable extrême-droite à l'intérieur de ce que le système appelle faussement l'extrême-droite. Pour le reste, il subsistera toujours aussi des crétins... et des psychopathes. Le système engendre les siens, la dissidence aussi. Une dissidence ridicule, affichant des positions grotesques, est de toute manière le meilleur instrument du système : celui-ci a beau jeu de la présenter comme un repaire de dingues. On murmure d'ailleurs que le système finance des blogs conspirationnistes risibles afin de discréditer toute théorie du complot ; l'entourloupe est bien connue des conspirationnistes les plus fins. Il est probable qu'une grande partie des groupes dissidents les plus ineptes soient en réalité organisés, infiltrés du moins, par nos services spéciaux, par « l’État profond ». Le dissident n'a pas la vie facile ; il s'expose à la répression officielle, et par ailleurs il doit se méfier de ses petits camarades, dont certains sont des taupes. Et par dessus tout, il doit se méfier de lui-même. A fréquenter de petit milieux qui grouillent de taupes, d'illuminés et d'imbéciles, on peut rapidement en perdre une bonne partie de ses forces intellectuelles, voire physiques. A cet égard, il y a quelques signes qui ne trompent jamais, et qui doivent prévenir le dissident de base :
Premier défaut : le manichéisme
Premièrement. Une approche purement mystique et manichéenne des phénomènes humains : tout se réduirait au fond à un combat entre Dieu et Satan, entre le Bien et le Mal ; cette manière de voir est très présente chez les catholiques et les musulmans ; on se perd dans des considérations religieuses, théologiques, et on en oublie l'analyse politique, économique, sociale, géostratégique ; on voit des signes partout, notamment de fin du monde, mais on plane au dessus des faits. On part sur un débat à propos de la commission européenne, du printemps arabe, ou encore du conflit ukrainien, et l'on se retrouve à disserter sur la prophétie de Saint Malachie, l'arrivée du Mahdi accompagné d'Issa (Jésus), ou l’éventuelle crypto-judéité maçonnique du pape François. Chaque année des blogs échevelés nous prédisent la fin du monde... pour l'année prochaine. A la longue, c'est lassant. Une pensée dissidente crédible n'est pas une astrologie ni une théosophie, il s'agit de s'enraciner dans des phénomènes aisément perceptibles, des situations facilement observables, et dans une certaine mesure déjà commentées par le discours officiel. On a certes le droit d'évoquer une conjonction de planètes ou la fréquence d'apparition des lunes rousses, mais il reste plus judicieux de lire la presse la plus banale, et d'en tirer ce qui nous intéresse. Le site Fdesouche, comme simple revue de presse sans production de contenu autonome, et tous les blogs qui utilisent cette méthode, illustrent parfaitement ce paradoxe : le système laisse toujours filtrer des informations cruciales, alors même qu'il cherche à nous les cacher. C'est normal : avec toute l'omnipotence et l'omniprésence dont dispose le discours officiel, il ne peut répéter à l'envi que les oranges sont bleues ou que les brebis ont des ailes. Le parfait sophiste est bien obligé, à un moment ou un autre, de lâcher une vérité forte sous peine de disparaître. Les « dérapages » politiquement incorrects de nos organes officiels, très contrôlés par ailleurs, sont la condition même de leur crédibilité.
Un spécialiste de la réinformation dissidente, Lucien Cerise, a parfaitement résumé la chose dans une récente conférence donnée à Dijon : qu'on prenne Le Monde, Le Figaro, Libération, ou tout autre média officiel, qu'il soit national, local, écrit, audiovisuel, on trouve suffisamment d'éléments dans ces organes pour réfuter... ces mêmes organes ! On n'imagine pas la profondeur de ce paradoxe : le système se trahit systématiquement lui-même, il est même contraint de se trahir pour subsister. Et il est ainsi nettement plus judicieux, au lieu de perdre son temps à faire un blog sur les sabbatéo-frankistes, de relever, dans le discours le plus officiel, tout ce qui ruine le discours officiel, et d'intervenir dans les forums les plus triviaux en linkant les références http les plus officielles. Selon Lucien Cerise, les grands organes médiatiques salarient d'ailleurs des équipes entières de modérateurs, qui passent leur temps à effacer des commentaires dissidents... pointant vers leurs propres articles ! Mais enfin, ils n'ont pas les moyens de tout effacer en temps réel. Réinformer l'homme-masse en recyclant l'information-système, voilà sans doute une approche de la dissidence un peu plus efficace que la mystique éthérée du titanesque combat entre Bien et Mal, laquelle convient probablement davantage à des soirées fumigatoires ou fortement alcoolisées.
Deuxième défaut : le sexualisme
La sublimité s'aigrit souvent en bassesse, et un deuxième signe doit alerter le dissident de base : ce sont les conversations très en dessous de la ceinture. Ce sont souvent les mêmes petites âmes, qui, après s'être élevées sur les ailes des anges, retombent lourdement pour se vautrer dans la boue. Dans la dissidence, comme partout probablement, on passe plutôt facilement du sublime à l'obscène, de l'aérien au turpide, y compris chez les plus bégueules des chrétiens catholiques. Nos dissidents nous refond alors un peu le même coup que pour les méchants hindous adorateurs d'éléphants, mais en mode zézette. L'autre, celui d'en face, représentant du système ou dissident lui-même, mais d'une autre école de pensée, se voit réduit à ses affaires de mœurs réelles ou fantasmées. Untel trompe sa femme, un autre est gay, le troisième échangiste, le quatrième a une tête de pédophile, ou de zoophile, au choix, et le cinquième, horreur, est resté célibataire sans embrasser le sacerdoce. Inutile de préciser que, fréquemment, ces arguments ne dépassent guère le simple impressionnisme. En tout cas, pour ces « dissidents » lubriques, le sexe explique tout, du moins les déviances sexuelles seraient à l'origine des déviances intellectuelles, et voilà nos « dissidents », souvent très anti-freudiens, qui barbotent en plein pansexualisme, défaut qu'ils reprochent pourtant au fondateur de la psychanalyse. Dans ce hit-parade de la déviance sexuelle, la sodomie occupe, chez bon nombre de nos amis très religieux, la première place ; j'ai connu quelque vieille fille catholique néo-convertie ou reconvertie, pourtant dévergondée dans sa jeunesse, mais aujourd'hui ménopausée jusqu'au trognon, très remontée contre la débauche sexuelle, et, tout particulièrement, contre la sodomie... N'importe quel observateur indépendant, sans même avoir lu Freud, pourrait finir par trouver la chose un peu suspecte ! Passons...
Troisième défaut : le triomphalisme
Plus dangereuse que la gigantomachie abstraite du bien et du mal, plus retorse que les grésillements équivoques du refoulement sexuel, une troisième difficulté guette la dissidence : le triomphalisme, ou, plus exactement, une attitude militante assez lourde et stupide qu'on pourrait appeler le « révélationnisme ». La plupart de nos chers dissidents s'imaginent qu'en diffusant de fracassantes révélations sur Internet, ils parviendront, presque sans efforts, à « faire exploser le système ». C'est la mystique du « tout va péter », encore une mystique, une eschatologie, qui, chez certains, tourne à l'obsession, d'autant plus tenace qu'elle est toujours déçue. Régulièrement, sur n'importe quel sujet d'actualité, ou n'importe quel thème historique, la dissidence produit des révélations fracassantes : sur le rapport Kinsey, sur les arcanes de la Seconde Guerre Mondiale, sur la théorie du genre, sur Adolf Hitler, sur les illuminati, sur le sionisme, sur tel ou tel homme politique, sur Christiane Taubira, sur la magistrature, sur Daniel Cohn-Bendit, sur Pierre Bergé, sur le siècle des Lumières, sur la Petite Lulu, sur le communisme, sur l'affaire d'Outreau, sur les francs-maçons, sur le capitalisme, sur Jack Lang, sur le pape François, sur les sabbatéo-frankistes, sur une foule de choses, sur Manuel Valls, et même sur le Front National... Il nous faut, certes, saluer la remarquable qualité de ces révélations, il s'agit fort souvent de travaux pointus, fouillés, d'un très grand intérêt. Sont d'ailleurs notoires les investigations patientes d'Emmanuel Ratier, aujourd'hui décédé et regretté, dont le journalisme dissident rigoureux sert de modèle à une foule de jeunes gens désireux de s'engager dans le militantisme intellectuel. Mais... Il y a un « mais ».
Les investigations les plus rigoureuses, les plus irréfutables, portées par des intellectuels capables de braver la répression judiciaire et le silence assourdissant des médias de masse, trouvent sur internet leur terrain d'exposition le plus propice. Certains articles, certaines vidéos affichent de très confortables chiffres de visites, qui vont jusqu'au million lorsque les idées sont relayées par des artistes populaires entrés en dissidence, comme Dieudonné. La plupart de ces « révélations », cependant, totalisent quelques milliers, quelques dizaines de milliers de visites, rarement davantage, ce qui est déjà réjouissant. Mais il faut savoir rester à sa place et demeurer modeste. Les articles, les vidéos les plus populaires ne sont pas grand-chose à côté des chiffres faramineux, démesurés, qu'alignent les médias de masse, surtout lorsque les programmes sont d'une stupidité, voire d'une abjection qui dépasse l'entendement. L'émission TV la moins populaire écrase déjà de loin la plus notoire des interventions dissidentes. L'homme-masse reste abreuvé d'inepties, et non d'investigations de premier plan. La dissidence produit de grands personnages, mais ils ne sont célèbres qu'à la manière des bons auteurs, c'est-à-dire connus d'un public somme toute confidentiel. Il n'y a pas de vedette, pas de people en dissidence. Qu'une star du sport ou du show-business, même la plus débile, vienne à se casser la jambe, ou à montrer ses fesses, la France tout entière en est informée au J.T. de 20 heures ou dans Touche Pas à Mon Poste. La mort d'Emmanuel Ratier n'intéresse que ceux qui le lisent ou l'écoutent, et ceux-là, quoi qu'on en pense, ne sont qu'une minorité. Qu'Aznavour ou Deneuve appellent à héberger des migrants (en se gardant bien de les accueillir dans leurs villas), leurs interventions chauffent à blanc la presse, la télévision, les radios, et aussi les pages « actu » d'internet. Du grand buzz ! Qu'un militant identitaire soit placé en garde à vue pour avoir collé une affiche anti-immigrationniste, cette information, même relayée sur Fdesouche, ne touche qu'une infime partie de la population. Le Français moyen rentré du travail (s'il travaille encore) rigole devant les pitreries d'un Cyril Hanouna, ou les singeries d'un Arthur, il n'étudie ni Charles Maurras ni le prince Kropotkine, il ne commente guère Julien Freund ou Simone Weil, il n'écoute ni l'immense Alain Soral ni les brillants Abauzit, Le Lay ou Rougeyron (et pardon pour tous ceux que j'oublie)... La France entière communie devant les crétins immatures de la télé-réalité, elle est assez rarement branchée sur une allocution du Sheikh Imran Hosein ou sur un entretien de Bernard Lugan. Il est inutile, je crois, de multiplier les exemples. La dissidence, combien de divisions ? Celles de David face à Goliath.
Bref : restons modestes !
1Théorie contre-évolutionniste, selon laquelle nous descendrions d'une curieux animal marin, flottant debout grâce à des sortes de poches d'air dans le crâne.
2Théorie révisionniste selon laquelle l'humanité serait passée directement de l'antiquité au temps modernes sans connaître le moyen-âge, les chronologies officielles étant considérées par ses partisans comme fausses.
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