Fire and Fury : l’aveu de Michael Wolff
Jour après jour, le Trump bashing va son bonhomme de chemin. On fait grand bruit, ces temps-ci, autour du livre de Michael Wolff, Fire and Fury. En omettant, côté français, de préciser que l’auteur lui-même met en garde… contre le contenu de son ouvrage.
C’est Jean-Patrick Grumberg, du site Dreuz.info, qui le premier en France, et peut-être bien le seul, a évoqué cette incongruité, à l’appui de sa décision de ne pas parler du best-seller dont, par ailleurs, tout le monde parlait.
Au début du livre, on peut lire une note rédigée par Michael Wolff lui-même, un texte réellement étonnant, à tout le moins pour un esprit « Vieux Monde » :
Wikipedia en donne la traduction suivante : « Bon nombre de récits de ce qui s'est passé à la Maison-Blanche sous Trump se contredisent ; beaucoup, à l'image de ceux de Trump, sont tout bonnement faux. Ces conflits, et ce flou avec la vérité, sinon avec la réalité elle-même, sont un fil conducteur élémentaire du livre. Parfois, j'ai laissé les acteurs offrir leurs versions, à tour de rôle, permettant au lecteur de les juger. Dans d'autres cas, grâce à la cohérence des récits et aux sources auxquelles j'ai fait confiance, je suis parvenu à une version des faits que je crois vraie. »
Pour faire court, « J’ai écrit un peu n’importe quoi, au lecteur de se débrouiller pour démêler le vrai du faux ». Tel est l’approximatif publiciste, que Perrine Signoret, de L’Express, ose gratifier du titre d’historien.
Aux Etats-Unis, manifestement, cette franchise en forme de parapluie, ne surprend pas. Le Washington Post observe sobrement : « Dans une note située au début de Fire and Fury, Wolff dit que dans de nombreux cas, il a permis à ses sources de présenter des versions contradictoires de la vérité et qu’il espère que le lecteur pourra juger de leur véracité… » America on line (AOL) titre un l’un de ses articles « Michael Wolff dit qu'il ne peut pas être sûr que certaines parties de l’explosif ouvrage sur Trump sont vraies ».
Après avoir relevé que Wolff « écrit comme s'il était l’auteur omniscient d'un roman, lançant des affirmations provocatrices mais souvent conjecturales. », Barton Swain souligne, dans le Wall Street Journal du 8 janvier, que « peut-être le passage le plus important du livre apparaît-il dans la note de l'auteur avant le récit lui-même. », avant de se montrer particulièrement sévère avec son confrère :
« Michael Wolff s’est heurté au problème le plus banal que l’on rencontre dans le reportage : que faire lorsque deux sources fournissent des informations contradictoires ? Un journaliste responsable, ou plus scrupuleux que M. Wolff, cherche des preuves corroborantes, ou approfondit ses investigations. M. Wolff choisit simplement la version qu’il préfère. »
« Une grande partie de son écriture est purement déclarative - il ne rapporte pas de faits, il ne fournit pas de preuves, il se contente de mettre ensemble des affirmations invérifiables (...) Si M.Wolff avait estimé que son travail consistait à nous raconter ce qui s'était passé, et non à donner une interprétation astucieuse de ce qui s'était passé, il n'aurait peut-être pas été obligé de répéter tous les cancans qu'il a pu glaner auprès des employés de la Maison Blanche. Mais alors, il ne se serait pas enrichi. »
Et il n'aurait pas été obligé de prendre ses précautions en annonçant que tout ce qu'il rapporte n'est pas forcément vrai, sachant très bien par ailleurs - et son éditeur avec lui - que, le suivisme aidant, son aveu ne porterait pas préjudice au succès de librairie escompté.
Le rôle déterminant de Steve Bannon
Si Steve Bannon apparaît, en tant que victime collatérale, dans la presque totalité des articles français consacrés à Fire and Fury, son rôle dans l’opération, a été déterminant, pour la plupart des commentateurs américains. C’est grâce à Bannon que Wolff a pu occuper, selon ses dires rapportés par la BBC « quelque chose comme un siège semi-permanent sur un canapé dans l'aile ouest » de la Maison Blanche (05.01). A ce propos, Aaron Blake du Washington Post parlait, le 3 janvier d’un « accès sans précédent ».
Pour Barton Swain, « Bannon était évidemment la source la plus stupéfiante des révélations, si « révélations » est le mot juste pour le genre de croustillants ragots de bureau, que M. Wolff rapporte comme des faits. » Une dépêche de l’AFP du 10 janvier, parle de Bannon comme « d’une source majeure pour l’auteur ».
Ce qui conduit à s’interroger sur la nature du jeu mené par Stephen Kevin Bannon. Des indices concordants indiquent qu’il aurait envisagé de présenter sa candidature pour la prochaine élection présidentielle, et que le livre de Wolff était l’une des étapes de sa marche vers la convention républicaine de 2020.
La phase suivante, selon Libération, aurait consister à « faire imploser (le parti républicain) et à dupliquer à l’échelle locale la victoire de Donald Trump : faire élire des personnalités « de la base », sulfureuses et souvent sans expérience politique, face à des républicains traditionnels. Notamment lors des élections de mi-mandat qui se tiendront en novembre prochain. »
S’acoquinant avec un journaliste plus réputé pour ses scandales que pour ses investigations, Bannon se serait alors fait doubler par un « complice » ayant estimé juteux de divulguer des confidences que l’ancien stratège de Donald Trump ne destinait pas à la publication. Le caractère tardif, partiel et embarrassé de ses excuses, suivi de sa tentative de rapprochement avec le président, sont d’un homme seul, qui se sait politiquement fini. Son éviction ultérieure du site Breitbach News et le lâchage de ses principaux soutiens financiers vont dans ce sens.
Il faudra maintenant attendre un certain temps pour mesurer le poids réel de Fire and Fury, sur l’opinion publique américaine, qui ne se mesurera pas au nombre d’exemplaires vendus, qu’on ne s’y trompe pas. Et les jours qui viennent nous diront si Trump a réussi dans sa tentative de planter un clou « pays de merde » pour chasser le clou « Fire and Fury » ...
Trump remonte dans les sondages
Sur le Huffington Post, Jean-Eric Branaa, spécialiste des questions relatives à la société et à la politique aux Etats-Unis, maître de conférences à l’université de Paris II Assas, écrivait le 10 janvier :
« Les Américains regardent tout cela comme un spectacle. J'étais pendant quelques jours en Alabama et je suis actuellement dans le Tennessee : les gens que je rencontre ne me semblent pas très troublés par toute cette histoire. On me parle de "Fake news", encore et toujours ; on me dit que c'est beaucoup de bruit à Washington, mais que les vrais gens sont loin de tout ça. Et on me parle d'emploi, de réussite du président, d'économie qui va bien, de croissance. »
Auparavant, il avait précisé que « les choses ne vont pas si bien qu'on pourrait le croire pour le Parti démocrate : en un mois, Donald Trump vient de regagner entre 7% et 9% dans tous les sondages. Il fait même une percée incroyable d'après Gallup, institut d'après lequel il regagne 14% ! (il était à 62% de mauvaises opinions et 33% de bonnes au 1er décembre 2017 et il est aujourd'hui à 55% de mauvaises opinions et 40% de favorables). »
Et c’est à mettre en parallèle avec ce que Marc-Olivier Fogiel déclarait dans l’édition du 2 janvier de C’ à vous, sur France 5 :
« Je vois beaucoup de gens là-bas – en dehors de New York, puisqu’à New York, c’est évidemment les anti-Trump. Dans la réalité de l’Amérique pas si profonde que ça, par exemple en Floride, c’est un héros. Je suis halluciné, à juste raison je crois, de ce qu’on dit ici, et la façon dont il est perçu par des Américains qui réfléchissent et qui trouvent qu’aujourd’hui, il fait beaucoup de bien à leur pays et qui sont fiers d’avoir un président tel que lui. »
Si on ajoute à cela qu’en face de Trump, il n’y a rien, que les démocrates sont désunis et sans plus de leader potentiel que de programme, hormis « tous contre Trump », on se dit que le magnat de l’immobilier peut considérer l’avenir avec optimisme, alors que sa réforme fiscale ne déploiera tous ses sur le pouvoir d’achat des Américains qu’à partir du mois prochain, et cela malgré Michael Wolff, le New York Times, le Washington Post et les copieurs-colleurs du Monde, de Libération et de L’Express.
P.S.- Que faut-il penser d'un système médiatique dont l'un des fleurons, USA Today, consacrait, le 10 janvier, près de 10 000 signes, espaces compris – l’équivalent d’une double page de tabloïd -, à une controverse agitant les milieux féministes, pour déterminer s'il faut continuer, ou non, d'arborer le foufoune-bonnet(pussyhat) rose, inspiré par les « propos de vestiaires » de Donald Trump ?
Des activistes viennent de s’aviser que ce symbole de la résistance anti-machiste exclut les femmes transgenre, les personnes de genre non binaire, les femmes qui n'ont pas des organes génitaux typiques et les femmes de couleur dont les organes génitaux sont plus susceptibles d'être bruns que roses, toutes catégories pour lesquelles l'innocent bonnet est considéré comme offensant ?
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