On disait « monsieur », tout bas, quant il rentrait, claquant la porte du café !
Soi disant un écrivain.
Mais elle aurait été bien incapable de dire ce qu’il écrivait.
A cette époque, quantité de gens assez énigmatiques, prétendaient écrire.Mais ils se livraient en fait à des choses moins reluisantes.
Elle se rappelait aussi de ce drôle de type fumant cigarette sur cigarette, faisant de grands gestes d’agité, comme un poisson rouge manquant d’air dans un bocal.
Elle préférait garder bien sûr ses pensées pour elle et préférait sourire, quant on lui demandait à quoi elle pensait.
Le nom de cet homme lui revenait tout à coup. Enfoui depuis longtemps dans les méandres de sa mémoire. C’était comme si la trace de ses pas remontait dans l’asphalte du trottoir.
« Monsieur Malraux ! »
Mais était ce vraiment son vrai nom ?
Certains aussi, portant des blousons d’aviateur, l’appelaient « Dédé, en lui tapant sur l’épaule.
Des types louches, mais en qui elle avait tout de même confiance, quant ils disaient qu’ils voulaient bien l’aider »pour sa carrière« , en la prenant par la taille, d’une façon paternelle.
Monsieur Malraux à cette époque revenait d’Indochine, et semblait atteint parfois d’une langueur un peu tropicale. Il parlait sans cesse d’un certain général avec lequel il était »en affaire« » !
Mais de quelles affaires s’agissait-il ?
Ce type était il vraiment général ?
Parfois, plus qu’à un poisson rouge, monsieur Malraux ressemblait plutôt à une sorte d’antiquaire, voulant vous vendre des objets les plus improbables.
Elle avait entendu dire qu’il avait fait du marché noir pendant la guerre.
Mais on ne savait que croire à cette époque.
En tout cas elle se rappelait bien cette première, fois, où elle l’ avait aperçu dans ce café qu’elle fréquenterait ensuite, avec « la petite bande », comme ils avaient appris à se nommer entre eux.
Beaucoup de jeunes gens toujours autour de monsieur Malraux, subjugué par sa présence, ses propos parfois cruels, mais toujours « brillants » !
« Brillant », comme« la condition humaine », une expression qui revenait en boucle !
Cela évoquait plutôt pour elle la brillantine « fortvil » dont les publicités géantes couvraient à cette époque les murs d’un paris un peu sale, un peu gris.
Il était là, très affable, payant tournée sur tournée, et s’était tourné brusquement vers elle :
« Et pour la jeune fille ? Vous n’allez pas me dire que vous voulez un thé ? »
Elle n’avait su que répondre, s’était senti bête.
« Vous verrez, lui avait-il dit, en la regardant fixement ; nous finirons tous deux ministres de la culture. C’est un métier où l’on ne vous demande que de faire »tapisserie« !
Ils avaient tous ri !
Elle n’avait fait que rougir.
Monsieur Malraux adorait »chambrer les nouveaux« »
C’était son expression.
Au café de Flore on trouvait d’autres habitués, en particulier ce monsieur Jean Jacques, accompagnée d’une certaine Simone, à l’élégance aristocratique, mais que l’on disait pourtant « de gauche » !
« Le troisième sexe » était sorti. Un nom improbable pour un titre de roman. Elle avait beau compter et recompter. Elle n’en trouvait toujours que deux, mais préférait garder ça pour elle, de peur qu’on la trouve « cruche » !
De toute façon, elle ne l’avait pas lui encore, et aurait été bien embêtée si on lui avait demandé ce qu’elle en pensait.
Elle aurait bien demandé à monsieur Malraux, si elle avait osé.
Mais il l’intimidait bien trop.
Pourquoi ne parlaient ils pas de « la princesse de Clèves », un livre qu’elle avait lu pour le bac, et dont elle avait partagé les tourments de l’héroïne.
Simone se faisait aussi appelé « le castor », par le premier cercle d’amis, les plus proches, ceux de « la rive gauche », précisément
Elle l’avait vu au bras de son amant américain, un type roulant en aronde décapotable rouge, et mâchant sans cesse un chewing-gum !
Elle s’était senti très sotte, à l’arrière de la voiture, alors que ses cheveux volaient au vent, après qu’ils l’aient invité à monter avec eux.
« Allez, ne soyez pas timide ! »
Ils roulaient maintenant à vive allure vers l’arc de triomphe, la place de l’étoile .
Il s’était retourné vers elle, et lui avait demandé brusquement :
« How are you, miss ? »
« Ca va, avait-elle dit.
» Savez vous que vous êtes intéressante ?«
Elle s’était senti bête, comme il la regardait, de façon un peu appuyé, dans le rétroviseur.
»Tiens, c’est drôle, vous vous appelez vous aussi Flore, comme ce café, c’est marrant comme concordance, non ?
Vous venez de chine, vous aussi, comme Marguerite Duras ? «
.....Bien sûr, elle n’avait pas osé demandé qui était cette Marguerite Duras.....Une écrivain, une artiste, ou bien pire....Elle sentait vaguement qu’on se moquait d’elle, et aurait voulu être ailleurs, peut être en mer de chine.
»Moi, j’aime bien les chinoises, je les trouve « intelligentes, pas comme les parisiennes... ! »
« Le castor » a coté de lui, s’était contenté de hausser les épaules....
Elle avait rougi, et n’avait su que répondre.
Une fois de plus.
Elle aurait voulu disparaître, comme un castor dans son trou.
Heureusement, elle n’était pas ministre de la culture.