Flexibilités - compétitivités. Et l’Etat de droit ?

Il faut être flexible chérie, répond instinctivement à sa femme, le mari pris en flagrant délit d’adultère. Et si sa femme insiste sur la notion même de fidélité et parle de trahison, le mari, inflexible, répond : tu vis dans un autre temps, tes valeurs sont aussi surannées que tes certitudes, lâche moi du lest, soit adulte… C’est à peu près ce que l’on dit aux peuples européens en ce moment : soyez cocus dans la dignité, acceptez l’inacceptable, appauvrissez-vous dans la bonne humeur, cessez d’être exigeants dans la maladie, oubliez l’école pour tous, ne jouez pas aux étonnés si votre pension ou votre salaire s’effrite, cessez d’espérer ou de faire semblant de croire que votre progéniture vivra mieux que vous : vos efforts, vos peines, vos sacrifices ne doivent viser qu’une seule chose : survivre. Travailler plus pour gagner plus fut le dernier avatar volontariste d’un monde moribond, le dernier mensonge d’une longue série qui n’avaient qu’un seul objectif : faire payer aux pauvres les libertés que prennent les riches avec les règles élémentaires d’équité, de justice et de droit. Au moment même où il était prononcé, les banques, championnes toute catégorie de théories fumeuses sur la compétitivité et la flexibilité, égéries d’un laissez - faire qui en découle, chantres d’une dérégulation pure et dure, euphémisme - comme tant d’autres -, visant à masquer la réalité, jetaient aux Tartares des milliers de milliards de dollars qui ne leur appartenaient pas.
Travailler plus devint ainsi l’alternative de ce mensonge que les peuples du monde entier doivent désormais assumer pour permettre à leurs gouvernants d’emprunter plus. Pour les gouvernants, la seule politique qui vaille étant celle d’être responsables et conséquents vis-à-vis, uniquement, des mécanismes qui ont permis cette dérive financière. Imaginez donc un flic, qui trime, qui se dépense, qui passe des nuits blanches pour attraper un voleur, et, une fois ce dernier pris en flagrant délit on lui dit : rendez à l’escroc ce qu’il a volé car sans lui, notre vie serait invivable. Sous un emballage sémantique pervers, c’est bien ce que l’on voit, jour et nuit à la télé, ce qu’on entend à la radio, ce que nos vénérables politiques nous répètent sans cesse : de la rigueur, plus de rigueur, encore de la rigueur. Sauf que cette rigueur exigée exclut de son champ opérationnel la finance qui, elle doit, rester dérégulée, le coût du travail qui se doit de se solder au moins offrant (on appelle cela compétitivité), et aux mécanismes de crédit qui, par un tour de prestidigitation inique sont capables de perpétuer une dette à l’infini, quelles que soient les sommes remboursées. Sauf, bien sûr pour les citoyens, qui perdent leur maison, qui font faillite, qui plongent de les limbes du chômage ou suivent les Sirènes du crime organisé, seule alternative à leur déchéance programmée.
Car ne nous trompons pas : le modèle qui nous est proposé sous le costume cravate de la rigueur existe déjà et depuis longtemps. C’est celui des pays où la majorité de la population est déclassée, vit dans un chaos institutionnel, se débrouille comme elle peut. Des pays où la police est submergée, la justice dépassée, l’Etat de droit ne gardant qu’une apparence symbolique, et où le pouvoir se concentre à faire du business et utilise ses nervis officiels ou supplétifs pour contrer le désespoir des peuples. Certes, nous n’en sommes pas là. Mais nous y allons à pas de géants. Et surtout, nos gouvernants, nos entreprises, nos banques et nos experts ne trouvent rien à redire. Rien à redire sur le pouvoir en place dans ces pays, rien à redire sur la déchéance humaine côtoyant des ressources faramineuses, rien à redire sur les tricheries institutionnelles et les exceptions fiscales.
Que le Nigéria soit une mine d’or (pour nos entreprises pétrolières, entre autres) tandis que les deux tiers de sa population crève de faim, n’est pas un problème. Il ne le devient que sous la forme des « trafiquants nigérians », c’est-à-dire de ceux qui, privés des richesses de leur propre pays internationalisent leurs pratiques trafiquantes.
Que la Chine institutionnalise le droit du plus fort en expropriant les plus démunis pour construire nos usines et nos services, rien à dire non plus. Tout au plus, entendons-nous, comme un écho lointain, la rengaine d’un besoin d’effort de compétitivité adressé à nos salariés. Mais nos hommes d’affaires ne se privent pas de l’aubaine, ferment les yeux sur un mécanisme géant de fabrication de faux, faux moyennement puisque nos entreprises sacrifient et bradent leur recherche au profit du profit le plus immédiat.
Dans ce monde merveilleux, le pauvre doit rester pauvre, car c’est lui qui fait désormais marcher nos entreprises de téléphonie, nos banques, nos services dématérialisés installés en Tunisie, au Maroc ou en Egypte. Si course il y a, c’est à celui qui acceptera le plus de sacrifices, de salaires de misère, le moins de couverture sociale, quitte à ce que le patron de Microsoft dépense une partie de sa fortune à distribuer des vaccins aux mourants. Si au moins, ces montagnes d’argent fabriquées par les plus exploités servaient à quelque chose. Non, il sera perdu à la prochaine « crise » financière que nous serons appelés à combler, sous accusation d’être des irresponsables, des enfants gâtés, pire, des nostalgiques d’un capitalisme qui, lui au moins, promettait que nos enfants vivront mieux que nous-mêmes.
On vous parle de pains au chocolat confisqués tandis que c’est votre vie que l’on est en train de voler. On vous parle d’étrangers, tandis que les seuls qui vous menacent sont les maîtres d’une économie globalisée. On stigmatise des religions tandis que le seul dogme qui nous régit est celui de l’argent. On vous fustige le laxisme des uns et des autres quand la fin des règles, sous le nom de dérégulation, devient le but ultime.
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