Foutez la paix à Babeth !
Ou comment reprocher à une journaliste de faire son travail correctement et honnêtement.
Dans le dernier numéro de Causeur, du mois de février 2014, Élisabeth Lévy donne la parole à la bête immonde, j’ai nommé Dieudonné M’Bala M’Bala. Dans cette longue interview, elle lui permet de clarifier ses positions sur l’interdiction récente de son spectacle, la liberté d’expression, les juifs, le sionisme, ses rapports avec le Front National, Alain Soral, le négationnisme, l’Iran, la quenelle, et la Shoah.
Dès le lendemain, la polémique enfle, et les gardiens de la « morale républicaine » s’indignent de cet acte d’insoumission à la politique de blocus mise en place par les médias « respectables ».
L’objet de cette tribune est d’examiner chacune de ces critiques et d’y répondre une par une.
Frédéric Haziza dans La Chaine Parlementaire
- Dieudonné dans Causeur, çà vous inspire quel commentaire ?
- Un commentaire de dégoût. C’est une interview complaisante d’Élisabeth Lévy dans Causeur de Dieudonné, et ce dont je parle d’ailleurs dans ce livre aussi, c’est : il y a les militants, les fans de ces gourous, parce que ce sont des gourous, et il y a aussi les complaisants. Et donc Élisabeth Lévy en fait partie. Il y a un autre personnage qui en fait partie, c’est Eric Zemmour, qu’on entend sur RTL, qui reprend à son compte, par exemple, c’était en fin janvier sur itélé, la théorie du genre qui avait été défendue, lancée par Alain Soral. Donc ce sont les complaisants, Naulleau, Élisabeth Lévy, Zemmour, et il y a aussi, je parle aussi dans ce livre d’une personne qui s’appelle Marion Sigaut, qui a été à la direction très longtemps et jusqu’il y a quelques semaines de « Debout la République » de Nicolas Dupont-Aignan, et en même temps, aux côtés d’Alain Soral dans Egalité et Réconciliation.
Tout d’abord, à propos de la complaisance supposée d’Élisabeth Lévy, voici quelques extraits de cet entretien avec le préambule :
Dieudonné n’est certainement pas un imbécile, mais un antisémite qui ignore ce qu’est un juif ou un anti-sioniste, qui n’a pas une traitre idée de ce qu’est le sionisme. […]
Aucune attirance (en parlant de la réponse de Dieudonné à propos des juifs), peut-être, mais un intérêt qui vire à l’obsession ! Vous voyez des juifs derrière tous les problèmes du monde. Et vous avez déjà été condamné pour des propos jugés antisémites… […] Dans ce cas, que signifient vos élucubrations assimilant judaïsme, juifs et sionisme ? Vous pensez que les juifs jouent un rôle néfaste dans le monde et en France, ou on vous a mal compris ? […] Quoi qu’il en soit, derrière un banquier noir, arabe ou asiatique, vous voyez un banquier. Derrière un banquier juif, vous voyez un juif. Autrement dit, pour vous, certains juifs jouent un rôle néfastes en tant que juifs. […] Pas besoin d’être parano pour observer que vous ne compatissez pas à la douleur des victimes du génocide juif. Vous auriez même arraché les pages consacrées à la Shoah dans le livre d’histoire de l’un de vos enfants.
Je pense que cela se passe de commentaires, mais si vous avez encore des doutes, je vous renvoie à la précédente interview de Dieudonné par Mme Lévy, d’une « complaisance » au moins équivalente.
Ensuite je tiens à dénoncer les méthodes de Frédéric Haziza, consistant à jeter en pâture les noms de Naulleau, Zemmour et Lévy, qui ont pour seul point commun d’avoir dialogué avec les deux bêtes noires du système médiatique et politique, à savoir Alain Soral et Dieudonné M’Bala M’Bala. Pêché mortel selon ce journaliste, connu pour son ouverture d’esprit, son amabilité, sa bienveillance et son objectivité.
Et je finirai en informant Monsieur Haziza que la théorie du genre, ou plutôt la polémique autour de celle-ci, n’a pas été lancée par Alain Soral mais par Farida Belghoul, qu’il a oublié d’inclure dans sa liste noire. Et à propos Marion Sigaut, quelque part antisémite ou facho, puisque liée à Alain Soral je vous renvoie à ceci, où elle raconte son expérience dans les kibboutz. A chacun de se faire sa propre opinion en jugeant sur pièces.
Dieudonné se confie à Élisabeth Lévy dans « Causeur » : une opération perverse et dangereuse (Le Nouvel Obs – Plus)
« Une interview qui interpelle notre chroniqueur Bruno Roger-Petit, qui y voit la rencontre de deux personnalités hostiles aux valeurs républicaines se nourrissant l’une de l’autre pour se faire de la publicité. »
L’incipit de cet article donne tout de suite le ton. Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Alors comme çà Élisabeth Lévy est hostile aux valeurs républicaines ? Mais de quelles valeurs parle-t-on ?
Dans l’article 1er de la Constitution de 1958, la France est qualifiée de « République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
- Indivisible dans son unité territoriale et politique.
- Laïque veut dire que l’État et ses fonctionnaires respectent toutes les religions, mais sans en privilégier aucune.
- Démocratique signifie que la souveraineté appartient au peuple et qu’elle ne peut être que déléguée aux représentants du peuple.
- Sociale signifie l’attachement de la République à la protection des plus humbles.
Et ces valeurs se doivent d’être complétées par la devise de la République française « Liberté, égalité, fraternité ».
- La liberté est la valeur fondamentale qui fait passer l’homme de la position de sujet au statut de citoyen.
- L’égalité est celle de tous devant la loi.
- La fraternité affirme l’existence de droits économiques et sociaux (aide à ceux qui ne peuvent vivre décemment, droit au travail et à l’action syndicale, droit de grève).
Je mets au défi Monsieur Bruno Roger-Petit de me citer une phrase, ou une action de Mme Lévy, qui irait à l’encontre de ces valeurs. Personnellement, je n’ai pu en trouver aucune, ni chez elle, ni chez Dieudonné, quoi que l’on puisse penser de lui.
Pour un journaliste, connaître le sens des mots que l’on emploie est aussi important que la connaissance des essences de bois pour un luthier. Je laisse donc au lecteur le soin de juger, quant à la rigueur et à l’honnêteté intellectuelle de ce monsieur.
« Le lecteur qui parcourt cet entretien complaisant, connivent, émaillé de « NDLR » censés marquer la distance entre Dieudonné et ses intervieweurs, éprouve assez vite un sentiment de déjà vu. »
Pour ce qui est de la « connivence » et de la « complaisance », d’Élisabeth Lévy à l’égard de Dieudonné, je vous renvoie à l’analyse de la vidéo de Frédéric Haziza. Je ne vais donc pas me répéter.
« Comment peut-on inscrire dans un journal, qui se veut à la pointe de l’engagement intellectuel, cette saillie absolument sidérante : Merah est un sioniste car il a commis des actes violents. »
On peut l’inscrire parce que Dieudonné a prononcé ces mots. Et je suis d’accord avec lui sur le caractère délirant de cette déclaration (car c’est donner une définition du sionisme tellement large -en gros, le sionisme c’est le mal-, que çà décrédibilise son discours sur le sujet). Si donc Élisabeth Lévy était s’est rendue coupable de connivence et complaisance à son égard, pourquoi n’a t-elle pas retiré ces lignes ?
« Il ne vaut rien l’alibi de « Causeur », « en donnant la parole à Dieudonné, nous cherchons à « éclairer ses admirateurs ». Il ne vaut rien parce que les admirateurs de Dieudonné sont éclairés sur ce que dit et professe leur idole. Et c’est bien parce qu’ils sont parfaitement éclairés qu’ils l’aiment.
Donc, loin de délégitimer Dieudonné, Élisabeth Lévy le légitime, le fonde, l’ancre dans le dialogue démocratique alors qu’en conscience, un journaliste digne de ce nom devrait l’en exclure, par principe. »
Tout d’abord, la plupart des admirateurs de Dieudonné le sont grâce à ses spectacles, mais je doute fort que beaucoup aient pris le temps et la peine d’écouter et d’analyser ses interviews à la télévision iranienne, ou à la BBC. Il suffit pour le vérifier de regarder la différence du nombre de vues de ses interviews par rapport aux spectacles, ou aux vidéos de son compte Youtube (ou il parle seul, avec un montage et une mise en scène).
Ensuite, pouvez-vous me donner les critères pour être légitimés, fondés et ancrés dans le dialogue démocratique ? Et qu’est-ce que serait un dialogue non démocratique ? On discute avec Bertrand Cantat, responsable de la mort de son amante. Marc Dutroux a eu droit à une interview par une chaîne de la télévision belge. Donc au nom de quels principes quelqu’un perd il le droit à la parole ?
« Cet entretien dans « Causeur », c’est la rencontre de deux perversités dangereuses qui se nourrissent l’une de l’autre. L’une et l’autre s’instrumentalisent pour exister parce qu’en dépit des apparences, elles ont une même cible : la République du « politiquement correct ». Sauf que l’un est plus fort que l’autre. »
Pourriez vous m’expliquer, à moi pauvre mortel, le sens de « la République du politiquement correct » ? J’ai beau me creuser les méninges, je ne vois pas ce que signifie cette expression. Là encore des termes creux, flous, non définis, mais néanmoins assénés avec force contre la coupable. De quoi déjà ?
Ce genre d’article illustre parfaitement l’idéologie de la gauche bobo, dominante dans la presse française : un mélange improbable de dogmatisme extérieur et de vacuité intérieure, une non-pensée qui ne se soucie plus du vrai et du faux, mais du vrai et du mal. Avec une argumentation basée sur des raisonnements circulaires ou tautologiques, quand on a la chance de bénéficier d’une argumentation. Car la plupart du temps, on a affaire à une série de mots fourre-tout, à connotations positives (tolérant, ouvert, moderne, progressiste etc.), qui est employée contre l’ennemi, désigné par une autre série de mots tout aussi fourre-tout, mais à connotations négatives (réactionnaire, complotiste, facho, antisémite, extrémiste etc.). Une pensée binaire est une pensée qui ne pense pas.
En résumé, Élisabeth Lévy est aussi hostile aux valeurs républicaines, pour s’être entretenue avec Dieudonné, que Dmitri Chostakovitch était « ennemi du peuple », pour avoir écrit la quatrième symphonie, celle qui avait eu le malheur de déplaire à Staline.
Lettre ouverte à Élisabeth Lévy (Par Jacques Tarnero, publié sur le site du CRIF)
« Causeur rend service à Dieudonné et consorts, les promeut, les respectabilise. »
Encore une fois, je note l’absence totale d’arguments. Rien que de fausses évidences assénées avec la force, de quoi ? De l’évidence. J’avoue avoir du mal à répondre à un non-argumentaire par un argumentaire, mais je vais quand même tenter le coup.
Parler avec quelqu’un que l’on n’estime pas respectable ne le rend pas respectable. Si je condamne le terrorisme islamique et que je cherche à comprendre les motivations d’un djihadiste en le questionnant, je ne vois pas en quoi cela pourrait légitimer, ou respectabiliser ses positions. Comprendre n’est pas approuver. Les psychologues qui cherchent à comprendre les processus émotionnels et mentaux, qui amènent un psychopathe à assassiner des gens, ne légitiment ou n’excusent en rien ses actions. Pour résoudre un problème, la démarche la plus sensée consiste à rechercher les causes de ce problème, ce qu’a fait Élisabeth Lévy. Un docteur ne risque pas de guérir une maladie en excommuniant le virus.
« Causeur a fait du refus du politiquement correct sa marque de fabrique et c’est ce que je trouvais particulièrement savoureux, mais ça n’est pas à cette ligne de conduite qu’obéit un entretien avec Dieudonné. Il y a des personnes avec lesquelles une conversation est indigne. C’est le cas. »
Là encore, pourquoi, et en fonction de quels critères objectifs peut on qualifier une conversation d’indigne ? J’ai souvent discuté avec des cons, sans que cela ait aggravé ma propre connerie, bien au contraire. On approfondit sa conscience du vrai en se confrontant au faux, et sa conscience morale en contemplant l’immoral. Je ne suis pas plus devenu nazi en lisant Mein Kampf que je n’ai trouvé l’illumination en lisant les enseignements de Bouddha.
« À quand un entretien avec Nabe et Soral pour vérifier leur talent littéraire ou la puissance de leur pensée ? »
Exactement. À quand ? Si Marc-Édouard et Alain peuvent être considérés comme des « cerveaux malades », quoi de mieux pour les exposer et les décrédibiliser qu’un entretien sans confession ? Le refus du débat conforte leur audience dans la croyance en la validité de leurs thèses, puisque personne ne vient les combattre. C’est un principe psychologique plutôt élémentaire selon moi.
« Abonder dans la corruption médiatique du moment présent n’aide ni la réflexion ni l’intelligence, il y a déjà Taddeï pour ça. Sauf à imaginer que ce que Causeur recherche, c’est faire du buzz médiatique comme on dit, pour vendre plus. »
Je vais prendre le risque d’interpréter ces quelques lignes. Qu’est-ce qui est corrompu ? Qu’est-ce qui était donc pur avant ? Je pense que monsieur Tarnero fait référence à l’impossibilité récente pour les médias dominants d’ignorer le phénomène Dieudonné, à cause du succès de ses vidéos et spectacles et des actions de Manuel Valls. La pureté fait selon moi référence au monde des médias, corrompu par l’irruption récente de l’affreux monde réel (Dieudonné et son immense popularité).
Et Frédéric Taddeï s’est rendu coupable de faire écho à cette réalité, en invitant, il y a plusieurs années de cela Dieudonné. Et de plus, il a récemment eu l’outrecuidance d’organiser un débat équilibré, où sept personnes sur huit condamnaient Dieudonné, pendant que le huitième, Jean Bricmont, tentait timidement de le défendre, lui et son droit à se produire sur scène. Pour tous les autres intervenants, la culpabilité de l’ex-humoriste (qui ne fait plus rire personne, excepté les quelques millions d’esprits faibles qui assistent à ses spectacles et regardent ses vidéos) relevait de l’axiome, et le débat se portait uniquement, sur le bien fondé ou non d’interdire ses spectacles.
Pour ce qui est de l’accusation de vouloir faire du buzz médiatique, je ne vois pas en quoi c’est condamnable si çà ne se fait pas au dépend de la qualité du magazine. Pour un mensuel « racoleur », je constate que Causeur ne comporte quasiment aucune publicité, que la part du texte par rapport aux images est très forte, que chaque article est très bien écrit, qu’un dossier est abordé de multiples points de vue, même contradictoires, et qu’il vise à expliquer, à mettre en perspective, et non à dispenser des leçons de morale.
J’ai eu la chance de pouvoir parler au téléphone vingt minutes avec Élisabeth Lévy, et ce court entretien m’a définitivement convaincu qu’elle n’avait aucune estime pour Dieudonné, même de loin, mais malgré cela elle est resté intellectuellement honnête, et a accepté d’entendre et de considérer des opinions qu’elle détestait. Ce qui constitue à mes yeux la preuve de son intelligence (la faculté de voir au-dessus de son propre point de vue).
Ce mois ci, j’ai acheté pour la première fois « Causeur », et je songe déjà à m’abonner. Non parce que je suis en accord avec la ligne éditoriale, mais parce qu’il n’y en a pas qu’une. Ce magazine part du principe que je suis suffisamment intelligent pour voir les choses de multiples points de vue, et ne cherche pas à m’imposer le sien, mais à me pousser à une véritable réflexion.
Personnellement, j’apprécie Élisabeth Lévy ET Dieudonné et je suis critique envers Élisabeth Lévy ET Dieudonné. Et je refuse de choisir mon camp, chose que j’ai cessé de faire quand j’ai terminé mon ultime bataille de boules de neige. Parce que je suis lassé de cet abrutissement collectif qui consiste à n’envisager le débat qu’en tant que pro ou anti. La réalité ne se réduit pas à nos catégories de pensée.
51 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON