France 2022, élection présidentielle. Une spécialité bien française. La comédie du premier tour
Suivie évidemment par la comédie du second tour. Cela devient difficile d’y échapper. Serions-nous en train de nous habituer au point de baisser nos défenses et d’oublier que c’est l’élection centrale de nos institutions qui donne aux élus et aux états-majors des partis les clefs de notre représentation à l’UE et son système politique.

Où sommes-nous, nous pauvres citoyens ?
Celui-ci s’impose non seulement à 70 % de notre réglementation juridique actuelle mais aussi décide de l'avenir des réformes politiques, sociales et économiques qui structurent le cadre de nos vies en réduisant pas à pas l’expression et le débat démocratique national. Devons-nous finir par penser que cette débandade organisée cache en réalité une aspiration et une volonté d’affaiblissement des structures politiques nationales au profit de celles de l’UE ? Au moment même où les états-majors des partis sont obligés d’organiser des primaires pour départager les ambitions de leurs champions (à quoi sert un parti s’il a besoin d’un calendrier de l’Avent pour se réveiller) alors qu’ils évitent toute réflexion de fond sur l’abstention qui est un désaveu de l’ensemble du fonctionnement politique actuel par son ampleur. Où sommes-nous, nous pauvres citoyens maintenant sommés de nous situer par rapport à un candidat propulsé dans l’arène par une catapulte médiatique ?
Pas de faux-semblants, notre classe dirigeante n’aime pas la démocratie et elle a de bonnes raison de s’en méfier. Elle se maintient politiquement au pouvoir à travers différents avatars (LR-UMPS/LREM/MODEM/UDI) dont les véritables intentions ne se révèlent qu’après la remise des clefs, sans changement possible avant 5 ans ni du conducteur ni de la destination qui se découvre dorénavant au grattage post-électoral. Elle ne semble pas pressée de changer d’institutions au national et on comprend pourquoi. Elles ne semblent fonctionner en l’état que trop bien pour certains.
Les filets des éléments de langage des états-majors politiques.
En témoignent quelques cadavres dans le placard à la présence insinuante comme le refus du résultat d’un référendum (qui n’était pas le refus du développement d’institutions européennes) fondé sur le suffrage universel par l’entente entre les états-majors de partis nommés plus haut coalisés pour y substituer un traité approuvé sans aucun mandat politique obtenu à cet effet (pour mémoire, le candidat écologiste du moment apporta aussi sa contribution à l’époque indispensable sûrement à une certaine conception de l’écologie).
Elle pratique aussi l’esquive permanente d’une réflexion publique à propos de l’abstention, à propos du fonctionnement des médias alors que nous bénéficions du record européen de défiance confirmé chaque année. Esquive à propos du non-sujet politique que serait la concentration en très peu de temps des médias et de la presse dans les mains de quelques milliardaires ce qui leur donne entre autres la capacité d’imposer leur agenda dans une campagne présidentielle en suscitant une diversion en forme de bouffonnerie. Elle impose aussi un traitement très particulier au dialogue social qui ne peut plus se passer du recours à la rue pour se faire entendre voire à la violence pour être pris au sérieux. Elle impose sans fin le pilotage vertical d’une pandémie dont on a du mal à voir en quoi les dispositifs de contrôles imposés seraient proportionnés aux buts poursuivis si tentés que ceux-ci soient toujours clairement explicités.
Elle recourt de manière compulsive aux sondages et enquêtes d’opinion. En l’occurrence en ce domaine elle est championne du monde (cf mon article, « Sondages, le far-west médiatique »). Et pas n’importe quels sondages. Chez nous par exemple est mesuré publiquement le score de qui n’est pas candidat. En oubliant dans les calculs de pourcentage la part d’abstentions. Pour lancer le schmilblick ? Et si on y regarde de près en nous confrontant élections après élections aux mêmes types de thématiques de la même façon. En nous plongeant gaillardement ainsi dans les manœuvres et les filets des éléments de langage des états-majors politiques.
Ces moments qui devraient être de haute intensité démocratique.
Alors, comment avec de tels outils, puisque nous sommes officiellement partisans d’une démocratie éclairée, pouvons-nos passer à côté de thématiques comme : " Les raisons systématiques de l’abstention, du local au national ", " Avantages et limites de notre système de santé, système éducatif, de transports, de notre système fiscal etc… " Quels statuts pour nos élus sans oublier les conditions d’éligibilité ?", "Le financement des partis politiques", "Les financements et fonctionnements de la presse et des médias"," Les effets sociaux et économiques des politiques migratoires", "Rôles et fonctionnement de la Justice et de la Police ", " Les avantages et limites de la sécurité routière " etc….Y aurait-il des tabous démocratiques ? Ceux de qui ? Rappelons qui commande ce type de sondages. Ce sont les états-majors des partis et les responsables de presse. Qui paient la réalisation de ces enquêtes ? Directement ou indirectement par l’impôt, c’est nous.
Il existe pourtant des expériences intéressantes pour aller bien plus loin que cette construction de l’opinion publique au rabais que l’on nous impose à chaque fois dans ces moments qui devraient être de haute intensité démocratique. Une vie démocratique en amont par exemple. L’expérience de la Convention citoyenne sur le climat ouvre des perspectives même si bien sûr elle fut instrumentalisée comme nous pouvions nous y attendre. Qu’à cela ne tienne, en attendant nous sommes bien capables de nous en passer dans la mesure où nous prendrons du recul par rapport à tous ces dispositifs de fabrication et contrôle de l’opinion publique et de tous les commentaires qui les propagent.
Le débat démocratique une fois de plus repoussé.
C’est Eric Zemmour qui est cette foi-ci le candidat de premier tour au centre de la comédie. Pour le moment car comme disait le regretté Pierre Dac, « Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu'elles concernent l'avenir ». On dirait que jusqu’à présent les choses se passent comme prévues et souhaitées. Chacun est dans son rôle. La grande ombre tutélaire et souveraine du milliardaire Bolloré qui a fait que tout cela soit possible, bien caché derrière son rideau médiatique. Qui en douce cependant à sa façon, participe à la confiscation d’une partie de la campagne de l’élection centrale de nos institutions, rappelant à notre mémoire la perversité d’un avertissement destiné à nous séduire puis nous tromper.
« Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. Sous nos yeux, en vingt ans, la finance a pris le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies. Désormais, il est possible en une fraction de seconde de déplacer des sommes d’argent vertigineuses, de menacer des Etats… » (extraits discours du Bourget, 22/01/2012)
Eric qui fait tout ce qu’il faut avec tout son cœur pour se faire diaboliser. Les médias eux font tout ce qu’il faut aussi pour la meilleure exposition médiatique possible en relayant et suscitant les réactions attendues et espérées, les critiques, les soutiens, les polémiques, les indignations et bientôt sûrement les débats sur mesure. Vieille méthode éprouvée. En son temps un jeune chanteur fit modestement la même chose sur le même registre d’extrême-droite pour lancer sa carrière et cela avait très bien marché. Il s’appelait Michel Sardou. Un vrai saltimbanque celui-là. Plus fin qu’il donnait à paraître le plus souvent avec un vrai talent quand il voulait.
Gain essentiel de cette opération, elle détourne de ce qui devait être au centre de la campagne électorale et de la réflexion de nos concitoyens ainsi que de l’interpellation faite aux candidats. Il s’agit bien sûr des objectifs assignés aux politiques publiques, leurs effets et les résultats obtenus ainsi que les évolutions souhaitées et les moyens et méthodes y contribuant. Calmement, sans le ressort de la polémique ou de l’outrance ni l’hystérisation des arguments, mobilisées sans fin maintenant afin de biaiser le débat démocratique de nouveau repoussé.
Le temps pour un mandat de pouvoir continuer à décider sans contre-pouvoirs effectifs.
Cette opération permet d’éviter aussi de passer en revue ce qui fait la structure et le fonctionnement d’un pays qui ont quelque chose à voir avec de grands choix démocratiques en toute connaissance et liberté. Le pilotage de l’économie et le partage des richesses produites, les choix fiscaux, le droit du travail y compris la retraite, le logement, la gestion et le développement de nos infrastructures, déplacements et transports, la gestion de l’énergie, de l’eau et de la terre, la prise en compte des contraintes écologiques et climatiques, le fonctionnement et l’avenir des services publics, système de santé, sécurité sociale, système éducatif et de formation professionnelle, système judicaire, le fonctionnement de nos institutions, notre politique étrangère, notre intégration au sein de l’UE. Tout ce qui est incontournable pour comprendre et piloter un pays. Tout ce qui est soigneusement tenu à distance de la curiosité et de la compréhension des citoyens présumés ignorants et consentants qu’il s’agit de convenablement représenter pour leur bien en toute bonne conscience et apparence démocratique. Pour tranquillement le temps d’un mandat pouvoir continuer de décider sans contre-pouvoirs effectifs et légiférer à sa guise non sans suite dans les idées ni désintéressement.
La ligne de fracture droite/gauche.
Il s’agit d’éviter surtout de faire apparaître au jour ce que tant d’efforts rhétoriques, tant d’éléments de langage travaillent depuis si longtemps maintenant à enterrer sans succès, la ligne de fracture droite/gauche qui est la clef de compréhension de toutes les politiques publiques citées précédemment et de leurs effets.
Par le bluff et le culot en prétendant que ceux qui font une politique de droite en portant un maillot socialiste (certains disent aussi maintenant social-démocrate lorsqu’ils veulent impressionner un auditoire ou dissimuler leur renoncement) représentent la gauche ce qui prouverait bien son obsolescence. Et donc sa nécessaire renaissance comme composante de l’arc-en-ciel libéral, réunissant la droite de gauche, la droite conservatrice et son centre de gravité le centre bien droit au centre. C’est plus subtil que cela en réalité, le mot centre se substitue au mot droite et le tour est joué. Comme pour une nouvelle religion politique tentant de s’imposer à une population contre ses intérêts par un pari osé sur l’amnésie, l’ignorance, l’incompréhension, la résignation et la naïveté de ceux qui s’imaginent ou voudraient encore être les concitoyens d’une république dans un état-nation.
Qui doivent bien commencer à être mûrs et à point étant donné tout le travail accompli aux heures de meilleures écoutes dans les médias. En exorcisant comme extrêmes ou radicaux ceux qui ne renoncent pas à réclamer une véritable démocratie sociale et laïque. Nous aimerions pouvoir régler cela à la loyale selon de véritables voies et processus démocratiques et non juste être informés de ce qui est bien pour nous un matin par France Inter, France info ou France Culture là où la publicité pour l’instant ne rythme pas encore tout à fait le temps médiatique.
La manœuvre.
La manœuvre consiste donc à permettre au champion que l’on a préparé et promu d’emmener les pigeons qu’il a apprivoisés ou de remettre le flambeau à un de la famille élargie pour, dans un parcours sacrificiel, perdre devant le candidat dont les copains d’hier du champion, qui font semblant de faire la fine bouche devant ses provocations, ont assuré au 1er tour comme d’habitude avec une discipline remarquable (pas un vote ne manque. Jamais. Au moins 20% garantis) la mise en lice pour le second tour. Chacun en déduira qui a intérêt à bien comprendre avant. Après, ce serait cruel, comme la vie sait l’être.
Et bien sûr ensuite solder au plus vite ce mauvais moment à passer. L’élection pliée, mettre à la poubelle les grandes promesses faites avec les éléments de langage de circonstance, pour reprendre ses véritables objectifs mis de côté ou relookés le temps d’une campagne si on regarde bien le parcours de présumés opposants qui luttent pour un fauteuil tout en étant d’accord sur le fond et qui avaient déjà si bien joué cette comédie avec Sarkozy. Dont les seules promesses tenues furent celles pour les milliardaires comme Bolloré déjà qui bien entendu à l’époque le soutenait et qui bien entendu au moment décisif en 2017 a soutenu Macron aussi. La fuite en avant dans une UE supranationale noyant dans le juridisme toutes les velléités d’une authentique démocratie de peuples souverains réunis dans une confédération.
A la recherche d’une cohérence.
Maintenant, pratiquons un jeu de l’esprit et prenons au sérieux un instant l’enflure théorique (en prenant aux mots ses écrits) dont Zemmour enrobe l’échafaudage baroque de ce qu’il affiche comme une pensée politique.
Ce qu’il y a de remarquable avec cet assemblage hétéroclite de références qui serait redoutable si l’objectif était réellement d’exercer le pouvoir, ce serait sa dangerosité politique et celui du venin semé distillant progressivement son poison. Ce n’est heureusement qu’un coup fourré destiné à détourner dans une impasse le mécontentement et le malaise social légitime présent quasiment à tous les niveaux de la société (laissés pour compte, étudiants, chômeurs, ouvriers, employés mais aussi cadres, ingénieurs, enseignants, travailleurs du soin et du social, chercheurs, indépendants, artisans, dirigeants de PME etc…), notamment par la précarisation et la perte de sens au travail et ses conséquences, afin de sauver la mise à une classe dirigeante et la nouvelle emprise qu’elle a réussie à imposer à nos sociétés. Celle d’un groupe hyper minoritaire renforcé par ceux qui pensent lui devoir quelque chose ou en être ses éternels protégés ou dépendants.
Faire croire aux gens qu’il existe des identités irréductibles en filiation avec des identités culturelles à la source des problèmes économiques et sociaux quand ceux-ci ont leurs véritables racines dans le partage inégal des richesses produites par le travail et dans l’appropriation exclusive des ressources naturelles. Ces deux dimensions induisant un accès inégal et hiérarchisé aux lieux de savoirs et de formation ainsi qu’aux leviers de décisions et d’organisations des sociétés. Ce serait vouloir alors revenir aux sociétés pyramidales d’ordres et de terreur pour qui faisait un pas de côté. Qui ont donné les anciens empires qui n’ont eu de cesse que de se détruire.
Comme un cousinage.
Bravo, c’est tout ce dont nous avons besoin pour faire fasse à la coopération mondiale que nous allons devoir sérieusement mettre en œuvre concernant la gestion des richesses naturelles et technologiques, la prudence écologique et climatique qu’il faudra bien partager si nous ne voulons pas partager une forme inédite d’apocalypse humaine et naturelle dont les prémisses sont déjà là. Le chacun pour soi qui nécessite des bunkers plutôt que l’intelligence collective, la responsabilité et la solidarité collective démocratiquement régulées qui n’écrasent pas l’individu.
Maintenant difficile aussi de dire qu’il n’y a pas un cousinage entre cette bêtise et irresponsabilité et celle de la classe qu’elle cherche à protéger.
Nous avons déjà perdu beaucoup de temps.
Repères :
● L'intégralité du discours de François Hollande, dit "Discours du Bourget" du 22/01/2012. Un beau discours, stimulant et instructif s’il avait été sincère. La démonstration par l’exemple que sans processus démocratiques associant les citoyens nous serons éternellement des pigeons votant.
● Hypermarchés, la chute de l'empire (Rémi Delescluse Stp Productions 2021 87 mn)
Rien de mieux qu’un exemple pour mieux comprendre le fonctionnement d’un système économique qui tourne sur lui-même en générant un développement où les acteurs économiques concentrent les richesses à un niveau inouï en s’entredévorant et se disputant le pouvoir sur la maîtrise de nos données et de nos comportements en imposant leurs lois dans le Far West qu’ils se créent. Ici, ce n’est pas la littérature d’Orwell, c’est la réalité. Le réacteur nucléaire de notre système économique.
La poursuite d’une concentration de richesses débouchant sur un pouvoir inouï sur la société qui dénie toute possibilité d’expression et de fonctionnements réellement démocratiques.
https://www.arte.tv/fr/videos/095178-000-A/hypermarches-la-chute-de-l-empire
● La fortune des 500 Français les plus riches multipliée par sept en 20 ans, par Aubin Laratte (Source : Le Parisien, Aubin Laratte, 27-06-2017).
● Convention citoyenne pour le climat. Expérience intéressante par ce qu’elle démontre et bien sûr aussi par ses limites à propos desquelles des leçons ont déjà été tirées.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Convention_citoyenne_pour_le_climat
● Dans le plus grand silence, la dissolution du statut des fonctionnaires. Et pendant ce temps là, des médias occupés aux zemmourades.
http://bernard-gensane.over-blog.com/2021/12/dissolution-du-statut-des-fonctionnaires.html
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON