François Bayrou, l’UDF et internet : sincérité ou opportunisme ?
A l’heure où François Bayrou cherche à s’ériger en arbitre du second tour et porteur de vertu politique, il est intéressant d’essayer, à la lumière des faits, de regarder plus loin que l’image qu’il veut nous donner de lui et de ses convictions. Internet, sur lequel il a rencontré un succès incontestable, nous en offre la possibilité. Lecture.
Acte 1. Le 7 septembre 2005, la directrice de campagne de François Bayrou, vice-présidente exécutive de l’UDF, Marielle de Sarnez, propose dans un projet de résolution législative au Parlement européen un certain nombre de mesures destinées à protéger les utilisateurs d’Internet contre les contenus préjudiciables.
Elle préconise la distribution de kits d’information sur les risques d’Internet, l’institution de permanences téléphoniques pour recueillir les signalements ou plaintes des utilisateurs quant aux contenus des sites, la systématisation des outils de filtrage lors de la souscription d’un abonnement à un service d’accès, l’instauration de bandeaux d’avertissement sur tous les moteurs de recherche signalant les dangers éventuels, une obligation de description des contenus proposés qui soit imposée à tous les fournisseurs, producteurs ou diffuseurs de sites Internet.
Elle affirme haut et fort dans son intervention : « Aujourd’hui l’autorégulation ne suffit plus », « l’existence de chartes, de codes de conduite, de démarches de qualité ne suffit plus », exprimant une vision conservatrice d’Internet, perçu avant tout comme une menace pour ses utilisateurs. Parmi les (très) nombreux amendements du texte original proposés par la commission dont elle est rapporteur, on trouve ainsi :
• l’adoption d’un label de qualité des fournisseurs de service (amendement 26),
• la mise en place d’un système de responsabilité en cascade pour les délits relatifs à l’internet (amendement 26),
• l’étude de la possibilité de créer des filtres qui empêchent le passage sur Internet d’informations de type pédopornographique ou portant atteinte à la dignité humaine (amendement 30),
• etc...
Cette avalanche de mesures de contrainte et de surveillance participe d’une démarche de défiance vis-à-vis d’Internet, perçu comme une menace à endiguer, et reflète une volonté claire de contrôle de cet « espace de libertés ».
Acte 2. Le 21 février 2007, en pleine campagne électorale, Quitterie Delmas, membre du bureau politique de l’UDF, parlant au nom de François Bayrou sur les sujets Internet pendant la campagne, publie sur AgoraVox un article titré « notre gouvernement fait planer de nouvelles menaces sur notre liberté d’expression » où elle critique férocement plusieurs initiatives du gouvernement. Elle n’a pas de mots assez durs pour dénoncer « de graves dérives potentielles », un « contrôle sur les médias citoyens » exercé par l’Etat, des politiques qui « s’inquiètent de la grande transparence, de la puissance et de l’impossibilité de contrôler Internet », des « tentatives de verrouillage [...] dignes des pays les plus totalitaires ». De quoi s’agit-il ?
• d’un rapport proposant l’adoption d’un label de qualité susceptible d’être attribué aux sites d’information respectant certaines règles (rapport Tessier) ;
• de la création d’une commission destinée à labelliser les sites dans la perspective de protéger les mineurs (même si l’auteur de cet article ne nie pas, loin s’en faut, toutes les réserves qu’on peut avoir sur l’absence de clarté et l’opportunité même de cette dernière) ;
• d’un article de loi mettant en place la responsabilité de ceux se rendant coupables de filmer des scènes d’extrême violence dans le seul but de les diffuser (loi sur la prévention de la délinquance).
Entracte. Ce que Quitterie Delmas dénonce aussi vivement, n’est-ce pas presque mot pour mot ce que Marielle de Sarnez proposait avec autant de vivacité deux ans plus tôt au Parlement européen ? Que pense Quitterie Delmas des propositions de « généralisation des bandeaux d’avertissement » ou « d’obligation généralisée de description des contenus » promues par Marielle de Sarnez. Et, la directrice de campagne de François Bayrou est-elle donc une « menace pour la liberté d’expression » « digne des pays les plus totalitaires » ?
Acte 3. Face à cette relative confusion, le béotien du Web a bien du mal à distinguer l’orientation de l’UDF : liberticide ou libertarien ? Quelle est la position de l’UDF ? Celle de sa vice-présidente exécutive ou celle d’une conseillère nationale membre du bureau politique ? Le président, ex-candidat, aurait pu nous apporter une réponse. Comme il le dit lui-même, « cet affrontement de deux visions du monde mérite que les responsables publics s’engagent ». Certes. Le seul problème, c’est qu’il ne l’a pas fait.
Final. Chacun tirera les conclusions qu’il souhaite des faits énoncés ci-dessus. La mienne est faite : entre les positions défendues depuis longtemps par une « ultraproche » de François Bayrou et les positions séduisantes d’une récente étoile montante de la campagne, je n’ai personnellement aucune confiance dans la conversion miraculeuse de l’ex-candidat aux beautés de l’Internet, que je crois tout à fait opportunistes et calculatrices. C’est dommage pour Quitterie Delmas dont la sincérité n’est pas mise en doute. C’est dommage pour l’Internet qui mérite mieux. C’est dommage pour la politique tout simplement.
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