François Hollande, fossoyeur de la Vème République
S’il espérait qu’un changement de premier ministre l’aiderait à remonter dans l’estime des Français, le Président de la République s’est manifestement trompé. En moins de deux ans, François Hollande n’a pas seulement démontré son incapacité manifeste à assumer la fonction pour laquelle il a été élu, il a également démontré par l’absurde l’impasse institutionnelle dans laquelle la France est désormais enfermée.
Jusqu’où descendra-t-il ? Après la déculottée des élections municipales, François Hollande espérait sans doute que la nomination d’un nouveau premier ministre l’aiderait à donner un second souffle à son quinquennat et à enfin redresser sa cote de popularité. Las, les dernières enquêtes d’opinion confirment sa descente aux enfers, avec désormais moins de 20% de bonnes opinions. Non content d’enfoncer encore le record d’impopularité d’un Président sous la Vème République, François Hollande explose également le record d’écart de popularité entre les deux têtes de l’exécutif avec pas moins de 40 points concédés au nouveau premier ministre Manuel Valls au lendemain de sa nomination. Pire encore : une autre enquête récente indique que le chef de l'État ne passerait même pas le cap du premier tour si l’élection présidentielle de 2012 était à refaire… Voilà qui augure bien mal de ses chances de réélection en 2017, si bien que des voix commencent à s’élever au parti socialiste pour réclamer des primaires et tenter ainsi d’échapper à la débâcle annoncée…
Rien de tout ceci ne devrait étonner. Dès l’élection de François Hollande en mai 2012, l’échec du quinquennat était programmé. Candidat du PS par défaut suite à l’empêchement de Dominique Strauss-Kahn, élu président par défaut suite au rejet de Nicolas Sarkozy, François Hollande est entré au Palais de l’Elysée par erreur. Ne disposant d’aucune marge de manœuvre financière suite à l’acceptation du pacte budgétaire européen négocié par son prédécesseur, et ayant de surcroit établi un diagnostic manifestement erroné de la situation pays, le chef de l’Etat a semblé depuis lors naviguer au gré des flots et des écueils, sans direction ni cohérence politique manifeste. Alors même que le parti socialiste avait eu dix ans pour préparer l’alternance et qu’il disposait en 2012 de quasiment tous les pouvoirs, et ce pour la première fois sous la Vème République, l’exécutif a depuis lors accumulé les renoncements et retournements, de « chocs » de ceci en « pactes » de cela. Les ministres et hiérarques du PS ont eu beau répéter qu’ils œuvraient au « redressement » du pays, ils n’ont manifestement pas convaincu les Français, bien au contraire. D’où la claque des élections municipales de mars, et le désastre annoncé des européennes en mai.
François Hollande espère peut-être encore que le récent remaniement permettra de contenir la défaite des européennes et de remonter la pente avant les présidentielles de 2017. Les premières semaines du gouvernement Valls ne sont pas forcément rassurantes pour lui. Ayant essuyé un refus de Bruxelles – et surtout de Berlin – concernant un nouveau report de l’objectif de réduction du déficit public à 3% du produit intérieur brut (PIB), le nouveau premier ministre est désormais contraint de faire des coupes drastiques. Le plan d’économies de 50 milliards d’euros, approuvé le 29 avril par l’Assemblée nationale malgré l’abstention de 41 députés socialistes, n’est sans doute qu’un début. La grogne de la gauche du parti socialiste n’est donc pas prête de s’arrêter. Ayant déjà liquidé le « socialisme municipal », François Hollande s’apprête à perdre le contrôle du Sénat à l’automne et pourrait rapidement voir la majorité socialiste s’étioler à l’Assemblée… Pendant ce temps, le décrochage économique du pays s’accélère, les groupes industriels stratégiques passent sous contrôle étranger, la courbe du chômage n’en finit plus de ne pas s’inverser...
Il serait aisé de ne voir dans cette débâcle que le résultat de l’incompétence manifeste d’un homme, désormais hué et conspué partout où il passe… Une partie de Français attend ainsi la prochaine élection présidentielle pour réparer « l’erreur » de 2012 et remettre le pays sur le droit chemin… Mais même si François Hollande ne peut évidemment pas être exonéré de ses (ir)responsabilités, une partie grandissante de l’opinion publique semble désormais consciente que les changements de locataires à l’Elysée, passés ou à venir, n’altèrent en fait le cours des choses qu’à la marge. Le mal dont est atteint le corps politique français est en effet bien plus profond ; il n’est réductible ni à une personnalité ni même à un parti car il résulte du mode de fonctionnement – ou plutôt de dysfonctionnement – d’un système politique qui empêche le pays de prendre en main son destin et de faire vivre sa démocratie. Même un observateur aussi bien ancré dans ce système que Jacques Attali conseille désormais aux Français de n’attendre « que le pire du gouvernement à venir. Et pire encore des suivants », et voit poindre la crise de régime, peut-être « avant la fin du mandat de l’actuel Président »…
Un « absolutisme inefficace » aux effets cumulatifs
En réalité, la France vit une crise de régime latente et permanente depuis plusieurs décennies. Une crise qui n’est pas de nature conjoncturelle mais structurelle et même « systémique », car résultant des défaillances d’un système politique obsolète, en situation d’échec patent. Ce système, c’est le régime « semi-présidentiel » de la Vème République, qui confère des pouvoirs extravagants à un homme dont elle institutionnalise l’irresponsabilité politique, et qui paradoxalement condamne le pouvoir politique à l’impuissance alors même qu’il atrophie la démocratie et étouffe la société civile. Le constat n’est pas nouveau, et il est largement documenté. Le philosophe et académicien Jean-François Revel (1924-2006), par exemple, avait dès 1992 décrit en détail comment le présidentialisme à la française débouchait ainsi sur un « absolutisme inefficace ». La surpuissance présidentielle, expliquait-il, à la fois omnipotente et irresponsable, a paradoxalement débouché sur le contraire de ce qu’elle était censée apporter, à savoir l’efficacité de l’action publique.
Le régime politique de la Vème République réduit le pouvoir politique à l’impuissance du fait de son inadéquation aux exigences de la gouvernance démocratique moderne, tout en entretenant le peuple français dans l’illusion que le changement ne peut venir que d’un homme providentiel qu’il faudrait accepter de rendre omnipotent. En faisant procéder l’ensemble du pouvoir politique du président de la République, il transforme l’élection présidentielle, la seule qui compte vraiment, en véritable concours de démagogie qui tronque les choix proposés aux citoyens et divise profondément la nation. Ce système politique détériore les rapports politiques et sociaux et nourrit le désenchantement et le ressentiment, voire la violence latente qui parcoure et mine le corps politique et social français depuis plusieurs années.
Le quinquennat de Nicolas Sarkozy, « absolutisme inefficace confus et agité », avait mis en lumière de manière quasiment caricaturale les failles systémiques de la Vème République. La présidence Hollande, « absolutisme inefficace mou et flou », les démontre par l’absurde. L’inconsistance de sa politique et son irrésolution doctrinale l’ont condamné à incarner, plus encore que ses prédécesseurs, une impuissance politique qui contraste de plus en plus violemment avec l’omnipotence théorique de sa fonction. Ce faisant, il s’est mis lui même politiquement hors jeu, alors même qu’il reste institutionnellement au centre du jeu. La décision du nouveau premier ministre d’organiser chaque quinze jours à Matignon un « conseil des ministres bis », sans le Président de la République, illustre cette mise en touche du chef de l’Etat, qui reste malgré tout au sommet de la pyramide institutionnelle.
Il est probablement vain d’espérer que l’élection d’un nouveau Président, en 2017 ou bien avant, puisse changer significativement les choses. Car l’absolutisme inefficace de la Vème République a des effets cumulatifs : ne permettant pas de gérer les affaires du pays de manière cohérente, efficace et démocratique, il entraîne une succession de blocages qui mènent à l’inaction et dont les effets se conjuguent pour rendre la tâche des gouvernants suivants encore plus difficile – et leur action encore plus inefficace.
Au final, le récent remaniement gouvernemental pourra peut-être donner un peu d’air au Président de la République, lui permettant de s’effacer quelques temps en espérant que la tempête se calme. Il ne changera en revanche probablement rien au sort d’un régime politique obsolète et en état d’échec, que François Hollande amène chaque jour un peu plus près du point de rupture.
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