Gaza, pierre blanche d’un jeu de Go planétaire
Pendant que notre couple princier non héréditaire accueillait Sara et Benjamin Netanyahu à l'Elysée ce 11 novembre 2018, rien ne se passait comme prévu à Gaza.
C’était pourtant une belle opération secrète bien préparée comme Ian Fleming savait si bien les écrire, et les services spéciaux qui n’existent pas, si bien les mener. Les agents israéliens devaient s’infiltrer en "territoire ennemi", mener à bien leur mission et repartir incognito. La routine ! Ces derniers mois, ils avaient mené à bien deux opérations secrètes de grande envergure : l’élimination en décembre 2016 de Mohamed al Zouari, expert en drones du Hamas et l’assassinat de l’ingénieur et universitaire Fadi al Batsh en Malaisie, en avril 2018.
Mais le 11 Novembre, à Gaza, quelque chose a foiré ! Le Hamas a intercepté les commandos israéliens dès le départ et les a poursuivis alors qu'ils tentaient de quitter la bande de Gaza sous le couvert d'un tir nourri des avions de chasse israéliens qui passaient par là. Le commandant en chef des brigades al-Qassam, et un lieutenant-colonel israélien ont été tués dans cette opération calamiteuse.
Le Hamas a riposté par des tirs d’artillerie qui ont tué un civil israélien et blessé des dizaines de personnes, ce qui a entrainé des échanges de tirs pendant plusieurs jours et tué cinq Palestiniens.
Face à cette réalité, Netanyahu avait peu de marge de manœuvre et il a conclu un cessez-le-feu avec les groupes armés de Gaza, ce qui a provoqué la démission du ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, et destabilisé son gouvernement. Or, il n’était possible de déclencher un nouveau conflit sur Gaza pour détourner l'attention du clivage politique interne. Pour tenter de calmer le jeu, le gouvernement israélien a indiqué que l'opération du 11 novembre n'était pas censée être une mission d'assassinat : il se serait agi d'une opération de collecte de renseignements qui ne visait pas à "déclencher une nouvelle guerre".
Quel que soit l’objectif visé par Netanyahu, le résultat de l'opération se traduit par une victoire pour le Hamas en montrant d’une part l’efficacité de ses propres services de renseignement qui avaient détecté le complot, et d’autre part en consolidant ses positions aux niveaux national et international.
Manifestement, le blocus de Gaza imposé par Israël depuis dix ans n'a affaibli ni le Hamas ni la résistance du peuple palestinien et garder deux millions de personnes dans "la plus grande prison à ciel ouvert" du monde pendant plus de 10 ans ne semble pas constituer un outil efficace de "pacification".
Dans ces conditions, sur le plan intérieur, une nouvelle guerre à Gaza serait un désastre encore plus grand pour le gouvernement israélien et Netanyahu en est bien conscient, et c'est la première raison pour laquelle, après quelques jours de combats, il a demandé un cessez-le-feu.
Mais un autre enjeu explique la détermination de Netanyahu à tenter de maintenir coûte que coûte le calme à Gaza, au risque d’une rupture dans sa coalition gouvernementale, et cet enjeu, c’est l’Iran. Il veut consolider le front anti-Iran établi à travers un pacte conclu avec l'alliance Arabie-Emirats et les États-Unis, et en recherchant ce que Kushner (le genre de Trump qui gère ce dossier en sous-main) appelle "l'accord ultime".
Le dernier cessez-le-feu à Gaza est un élément déterminant de cette combinaison. Cet "accord" est la clé d’un stratagème qui vise à imposer aux dirigeants palestiniens une solution territoriale sur la question palestinienne et à finaliser les relations avec les États arabes, dans le but d’accentuer l’isolement de l'Iran dans la région. Le mois dernier, Netanyahu s’est rendu à Oman, qui entretenait traditionnellement de bonnes relations avec l'Iran pour conforter cette position.
Alors que le rétablissement des sanctions sur l'Iran par les Etats-Unis lui avait donné un avantage, le meurtredu journaliste saoudien Jamal Khashoggi met en difficulté Netanyahu qui s'inquiète maintenant de l'incertitude entourant le destin de Mohammed bin Salman, un des artisans de la « normalisation » avec Israël. Ce coup de Trafalgar n'est pas étranger à la recherche d'une trêve avec le Hamas.
Il est probable que ce répit se prolongera aussi longtemps que le projet de confrontation directe avec l'Iran restera dans sa phase préparatoire, celle qui consiste actuellement pour les deux adversaires à poser leurs pierres noires et blanches sur un plateau de jeu de Go planétaire. Dans cette phase de construction des territoires Gaza occupe une position cruciale. Un nouvel affrontement à Gaza dans un avenir proche est peu probable, c'est déjà ça !
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