Génie civil : la construction d’immeubles de grande hauteur
Lundi 24 décembre 2018, trois mille occupants de l'Opal Tower ont dû être évacués après un « fort craquement au niveau 10 et l'apparition d'une fissure de 2 millimètres » dans cette tour de 38 étages située dans l'ouest de Sydney (Australie). Selon la chaîne de télévision ABC, la tour qui comprend 392 appartements avait été livrée cette année...
Le premier « gratte-ciel » apparaît à Chicago après l'incendie de 1871 qui a ravagé une partie de la ville. Le mythique Empire State Bulding construit en 1931 en seulement 18 mois grâce à des éléments standardisés ; hauteur de 387 m (102 étages) rehaussé à 449 m par l'ajout d'une tour de télévision le 1 mai 1951, fut longtemps le plus haut du monde. Il perdra ce titre qu'il récupérera après le destruction du World Trade Center le 11 septembre 2001. La ville de Hong Kong totalise plus de 6.000 gratte-ciels d'une hauteur supérieure à 152 mètres, la Bionic Tower, à Shanghaï (capacité d'accueil de 100.000 personnes, 300 étages et 368 ascenseurs) devrait atteindre mille mètres !
Ces immeubles ont été érigés au XIX° siècle pour répondre aux besoins d'une population sans cesse croissante, d'une activité commerciale et professionnelle en plein essor, compenser la raréfaction des terrains disponibles en centre ville et la répartition du foncier. Les immeubles de grande hauteur peuvent proposer des centaines d'appartements, des bureaux, des commerces sur un terrain de superficie relativement réduite. L'arrivée de l'ascenseur sécurisé (Elisha Otis 1854) et les progrès du BTP sont venus amplifier le phénomène avec des tours toujours de plus en plus hautes faisant d'elles un élément symbolique de puissance et du dynamisme d'une ville.
Avant le 19° siècle, les immeubles ne comptaient qu'une demi-douzaine d'étages, leur poids reposait exclusivement sur d'épais murs porteurs, les planchers/plafonds de grandes portées (cinémas, auditorium, hall, etc.) sur des colonnes en fonte prenant appui sur les murs. Un immeuble en brique d'une soixantaine d'étages devrait avoir une épaisseur (élancement) telle, qu'il ne resterait quasiment plus de place à l'intérieur de ses niveaux inférieurs ! L'apparition des charpentes métalliques et du béton a permis l'édification d'immeubles de grande hauteur ; c'est l'ossature en acier ou en béton qui supporte le poids de la construction, les murs n'ayant qu'un rôle de protection contre les intempéries, leur épaisseur reste identique sur toute la hauteur de la tour. Vers la fin du XIX° siècle, les immeubles à armature d'acier comportent une vingtaine de niveaux et apparait le vocable sky-scraper.
Le choix du projet, de l'architecte et du maitre d'œuvre revêt un aspect important : l'intégration dans l'environnement, l'urbanisme environnant, rationalisation de l'espace intérieur pour la circulation et une rentabilité optimum, les nombreuses règles de sécurité draconiennes et se singulariser sur le plan esthétique. Les ingénieurs calculent la masse de chacune des parties, murs, planchers, piliers, toiture, installations etc., dont l'addition donne le poids mort (charges permanentes) du bâtiment auquel vient s'ajouter le poids vif (charges d'exploitation) couche de neige , nombre d'occupants, machines, végétalisation, et les forces dues au vent. La face exposée au vent peut recevoir une pression frontale de 30 à 100 kg (300 à 1000 N/m2), et la face sous le vent une « aspiration » de 15 à 50 kg/m2.
La répartition des charges et l'assise de l'édifice reposent sur ses fondations. Toute couche de terrain n'est pas nécessairement bonne pour y établir des fondations robustes. La portance du sol est définie par la charge sous laquelle le tassement des matériaux cesse d'augmenter ; l'inégalité du tassement peut entraîner la rupture de la semelle. Lorsqu'il est impossible d'atteindre le bed roc, les constructions reposent sur des pieux ou des profilés métalliques battus dans le sous-sol et qui transmettent les charges de l'ouvrage sur le sol résistant. L'assise peut se trouver à une profondeur d'une centaine de mètres. Autre difficulté, prévenir l'énorme poussée que les bâtiments environnants transmettent aux fondations de la nouvelle construction qui peut comprendre plusieurs niveaux en sous-sol. Une ossature métallique formant un « grillage » est placée dans l'excavation afin de maintenir les parois et contenir l'énorme masse (millions de tonnes) de la tour. Les forces en présence sont énormes. Le creusement des fondations de la Hong Kong & Shanghai Bank, un bâtiment de 47 étages situé à une dizaine de mètres de deux immeubles de 20 étages, entraina un affaissement de treize millimètres de ces deux derniers et leur inclination vers l'excavation malgré les précautions prises !
Les fondations achevées, les colonnes de soutènement de l'édifice formant son ossature sont dressées. Chaque section standardisée d'une longueur d'environ 8 mètres, protégée de la corrosion et du feu (revêtement en fibres de céramique), assemblée à la section suivante, est pourvue de goussets d'assemblage à leurs extrémités et au milieu. Un grutier dirige chaque pièce de charpente afin de permettre aux charpentiers de l'assembler à l'extrémité de la précédente (arbre de Noël). La paire de goussets servira à l'assemblage des membrures horizontales des étages. Le déplacement du chantier va se poursuivre en hauteur avec l'assemblage de pièces dont certaines peuvent peser plusieurs dizaines de tonnes ! Les poutrelles métalliques serviront de coffrage pour le béton des planchers dans lesquels on place des gaines qui permettront le passage des canalisations et des câblages électriques (alimentation électrique, téléphonie, alarmes, etc.). Des panneaux préfabriqués en béton, en verre, maintenus en place par des pièces métalliques constitueront le revêtement extérieur
Le béton (2.5 t/m3) plus léger que l'acier (7.9 t/m3) et moins onéreux, allait permettre la conception de la structure avec un noyau central. Au centre de l'édifice se trouve : les escaliers et les ascenseurs groupés par batteries, chacun étant affecté à la desserte d'un certain nombre d'étages (s'ils tous s'arrêtaient à tous les étages, la course durerait trop longtemps), les gaines techniques, les conduites, etc., qui desservent les locaux disposés tout autour de manière à ce que tous bénéficient de fenêtres. Sur les édifices de très grande hauteur, les fenêtres ne s'ouvrent pas, cela risquerait de nuire au bon fonctionnement de la climatisation. Dans certaines régions, la façade exposée au soleil peut nécessiter la climatisation, tandis que la façade à l'ombre le chauffage ! Les bâtiments de très grande hauteur ne possèdent pas de noyau central, le béton armé manque d'« élasticité » (se reporter à l'article sur les ponts) et ne permet pas à la structure d'absorber les vibrations sismiques.
Le japon qui érige des bâtiments parasismiques depuis bientôt six décennies, a acquis une expertise internationale. La tour Roppongi Hills haute de 250 mètres située à 480 kilomètres de l'épicentre du séisme de magnitude 9 qui a touché le Japon et la centrale de Fukushima le 11 mars 2011 (18.000 morts et disparus), n'a subi que peu de dégâts. Le bâtiment monté sur des vérins à huile couplés à des amortisseurs en silicone (isolateurs parasismiques) a été étudié pour se fissurer afin de libérer l'énergie sans effondrement.
Les prochains défis du génie civil ? des villes souterraines, villages sous-marins et villes flottantes.
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