Génocide et Négationnisme
Le 4 mai dernier, le Sénat a rejeté, par 196 voix contre 74, une proposition de loi qui prévoyait que toute personne niant la réalité du génocide arménien serait punie d'un an de prison et d'une amende de 45 000 euros.
A propos du négationnisme du génocide arménien
Le vote, qui devait être avalisé par le Sénat, avait à l’époque provoqué de très vives réactions et un débat passionné «
Il faut croir que cette campagne avait donné des résultats car le 4 mai dernier, le Sénat a rejeté, par 196 voix contre 74, cette proposition de loi qui prévoyait que toute personne niant la réalité de ce génocide serait punie d'un an de prison et d'une amende de 45 000 euros.
Je voudrais donc ici analyser et de réfuter les arguments des personnes hostiles à cette loi.
Mais les craintes de Mme Lagarde ne sont même pas fondées. Après la reconnaissance du génocide arménien par
2 – Il ne faut pas « ajouter de nouvelles conditions » à l’entrée de
Ah cette Europe qui veut absolument imposer une Turquie aux Européens n’en veulent pas : 58 % sont contre 39 % pour[6] !
Or cette « nouvelle condition » aurait dû toujours figurer. Imagine-t-on l’Allemagne d’aujourd’hui niant les horreurs de 1941-45 et menaçant de prison toute personne qui nierait cette négation ? Pourrait-elle faire partie de
Ce que nos élites européennes ne comprennent pas c’est que tout est lié : le négationnisme, le refus d’Ankara d’abroger l’article 301 du code pénal sanctionnant les « offenses à l’identité turque », son refus d’ouvrir ses ports et aéroports aux navires et avions chypriotes, laquelle a finalement provoqué la suspension partielle des négociations entre Ankara et Bruxelles.
Cela ne sert à rien, finalement, de dispenser
Sans oublier tous les autres reproches de Bruxelles à Ankara : tortures et mauvais traitements encore signalés envers des détenus, droits syndicaux et droits des minorités encore largement insuffisants ; absence de répression contre les crimes d’honneur et les suicides sous la pression de la famille ; faible indépendance du système judiciaire ; lutte insuffisante contre la corruption. Lorsque
Une triste anecdote résume bien à elle seule la mentalité turque actuelle et sa position aux antipodes de celle des Européens. Le 1er Novembre 2006, la doyenne des archéologues turcs, âgée de 92 ans, a été jugée pour avoir écrit, dans un article scientifique, que des femmes sumériennes portaient déjà le voile vers 4000 av. J.-C. Elle était passible de trois ans de prison en vertu des articles 125 et 216 du code pénal qui punit l’ « insulte et les provocations à la haine raciale ou religieuse ». Elle a finalement été acquittée mais le seul fait qu’un tel procès ait eu lieu en dit long sur le gouffre qui sépare
3 – L’argument électoraliste
Si l’Assemblée a voté cette loi c’est pour des raisons électoralistes, les Arméniens représentant un nombre non négligeable d’électeurs. Telle était à nouveau la position de notre ex-ministre du Commerce : « pour cause électoraliste circonstancielle »[8]. Et je suppose que ceux qui disent cela pensent que la loi Gayssot a été votée pour les mêmes raisons, les israélites étant encore plus nombreux dans l’Hexagone que les Arméniens. Et un membre de l’Institut, de préciser : « Pourquoi cette démarche particulière au sujet de l’Arménie ? Et le génocide ukrainien de Staline ? Et le génocide cambodgien de Polpot »[9]. « Pourquoi ne pas sanctionner aussi la négation des génocides cambodgien ou rwandais[10] ? » Pour ces auteurs il s’agit d’arguments contre la reconnaissance du génocide arménien. En réalité, que l’on doive ce vote à des arrière-pensées électorales ne fait aucun doute. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas l’approuver. Il y a bien eu génocide, et il y a bien négationnisme d’État. Ces auteurs devraient au contraire protester contre la non-reconnaissance des autres génocides (y compris le plus grand d’entre eux, celui des Amérindiens, de l’Argentine jusqu’au Canada). C’est un peu comme si on n’avait attrapé, après un hold-up, que 2 des 10 assaillants, et qu’il faille les relâcher, au prétexte que les 8 autres sont toujours en cavale !
Ce qui est sûr c’est qu’une loi condamnant la négation de tous les génocides plutôt qu’autant de lois que de génocides aurait été plus simple.
4 – Ce vote « ne ferait qu’opposer une vérité officielle à une autre ».
5 – Cette loi empêcherait le dialogue entre Turcs et Arméniens.
6 – Cette loi est une boîte de Pandore.
Cet argument non plus n’est pas sérieux. Il s’agit de génocide, et uniquement de génocide. Une fois de plus une seule loi condamnant globalement la négation de tous les génocides aurait été plus simple.
7 – C’est une affaire entre Turcs et Arméniens.
Alors pourquoi a-t-on créé un tribunal pénal international pour
Et n’oublions pas que le crime en question n’est pas le génocide, mais sa négation, négation qui continue aujourd’hui, presque 100 ans après les faits.
L’ancien ministre britannique des Affaires Européennes, Denis Macshane écrit[13], à propos du voyage de J. Chirac à Érévan, et de la prise de position de ce dernier en faveur d’une reconnaissance du génocide par
8 – Maintenir la loi Gayssot uniquement.
On ne comprend pas très bien. La négation du génocide des juifs est une variante d’antisémitisme, soit[14] ! Et comme toutes les formes de racisme fait l’objet de sanctions dans le droit français ». Soit ! Mais que veut dire l’éditorialiste lorsqu’il écrit que la question du génocide arménien est d’ « une autre nature ». Nier l’évidence est du racisme dans un cas « et ne relève pas du code pénal dans l’autre ». On croit rêver.
Si j’ai bien compris la négation de
En réalité Le Monde ne veut pas de cette nouvelle loi mais veut sauver la loi Gayssot, ce qui oblige l’éditorialiste à des contorsions intellectuelles : il lui faut faire un distingo, pour qu’un négationnisme relève du droit pénal et pas l’autre. C’est deux poids deux mesures et, en dehors d’un parti pris, on n’en voit pas très bien les raisons.
J’ai toujours été étonné de cette distinction établie entre une certaine forme de racisme et d’autres. Ainsi une association s’intitule-t-elle « Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix ». « Mouvement contre le racisme et pour la paix » n’aurait-il pas suffit ? (idem pour la LICRA, etc.). Il y aurait donc le racisme d’un côté, l’antisémitisme de l’autre. C’est inacceptable. Même Bernard-Henry Lévy, qui avait pourtant pris énergiquement position pour la nouvelle loi, écrit : « Il est vrai que ce n’est pas pareil. Il est vrai que, et le nombre de morts, et le degré d’irrationalité atteint par les assassins, et le type très particulier de rapport à la technique qu’implique l’invention de la chambre à gaz (…) confère à
Michel Wieviorka[16] développe la même argumentation, mais de façon un peu plus explicite. « Il n’y a pas de continuité entre la blessure historique et une haine dont pâtiraient les Arméniens de la part de leurs concitoyens dans
Et voilà que les choses se prolongent en France. En avril 2006 le mémorial dédié aux victimes du génocide arménien était taggé. Le 17 juin une exposition de photos à Valentigney (Doubs) consacrée au génocide arménien était décrochée, sous la pression de la communauté turque[17].
De toute façon on ne voit pas en quoi l’absence de persécutions aujourd’hui autoriserait la négation d’une vérité historique.
Plusieurs personnes, dont moi, ont protesté auprès du médiateur du « Monde », mais il n’y a pas eu la moindre réponse. Le médiateur « médiatise » que ce qu’il a envie de médiatiser : les problèmes de coquilles, d’orthographe, de sémantique, d’anglicismes où la place que Johnny Hallyday doit tenir dans le journal. Mais surtout pas des prises de position très graves comme celle-là.
9 – Le manifeste des historiens.
Ainsi Jack Lang présente notre loi comme liberticide. Mais il oublie qu’en démocratie la liberté a des limites et qu’on n’a pas le droit de dire n’importe quoi. La loi réprime les injures, la diffamation, l’incitation à la haine, etc.
« Il n’appartient pas au parlement d’écrire l’histoire » ont déclaré nombre d’historiens relayés par les politiques comme le président de
Autrement dit, il s’agit de protéger le travail des historiens et non pas l’empêcher. Le parlement n’écrit pas l’histoire. La loi ne fait qu’en tirer les conséquences. L’existence du génocide arménien a été largement prouvée par les historiens eux-mêmes. Il existe des milliers de livres et d’articles sur la question.
Risquons une comparaison. Un meurtre a eu lieu. La police enquête : mobiles, alibis, empreintes digitales, etc. Le meurtrier est arrêté. Peut-être n’avoue-t-il pas, mais il y a suffisamment de preuves pour le confondre. Mais ce n’est pas à la police de décider s’il doit en prendre pour 5 ans ou pour 30 ans, s’il mérite les circonstances atténuantes ou pas, etc. ? Non ! C’est à la justice. Les historiens ont transmis leur dossier au parlement : à ce dernier, non de le réécrire, mais d’en tirer des conséquences.
Jérôme Hemptine[21] écrit : « La sanction légale risque de ruiner la recherche (…). Peut-on parler de négation coupable lorsqu’un chercheur, après avoir porté un regard critique sur un génocide (…) en vient à remettre en question son existence ? ». Mais est-il vraisemblable que, les faits étant bien établis, une découverte vienne à les remettre en question ? La loi Gayssot n’a jamais empêché la poursuite des recherches sur
À la mi-janvier 2007, à propos de la négation de l’Holocauste, Mr Bruno Gollnish, membre du FN, déclarait : « Je me range du côté des historiens comme Pierre Vidal-Naquet et Madeleine Rébérioux, qui contestent au législateur le soin d’écrire l’histoire ». Et voilà nos historiens qui apportent de l’eau au moulin de l’extrême droite. Beau travail !
[1] Le Monde du 12 octobre 2006, page 8, sur 5 colonnes).
[2] Libération du 13 octobre 2006.
[3] Le Monde du 14 octobre 2006.
[4] Déclaration de Patrick Dévédjian à Nouvelles d’Arménie Magazine N°120, Juin 2006, page 15.
[5] Le Monde du 14 octobre 2006.
[6] Selon une enquête Eurobaromètre menée au printemps 2006 pour
[7] Le Monde du 2 novembre 2006, Nouvelles d’Arménie Magazine novembre 2006, www.armennews.com.
[8] Le Monde du 14 octobre 2006.
[9] François Terré, Le Figaro du 13 octobre 2006.
[10] Jérôme de Hemptine, juriste au TPI, dans Libération du 25 octobre 2006.
[11] Vérité officielle qui scandalise Le Monde, voir le numéro du mercredi 13 décembre, lequel journal ne veut pas, par contre de la loi condamnant le génocide arménien.
[12] Sociologue, directeur d’études à l’EHESS, Le Monde du 17 octobre 2006.
[13] Dans Libération du 17 octobre 2006.
[14] Soit dit en passant ce mot « antisémitisme » est étymologiquement une absurdité.
[15] Le Monde du 2 février 2007.
[16] Le Monde du 17 octobre 2006
[17] Le Monde du 29 juin 2006.
[18] Jean-Philippe Feldman, professeur agrégé de droit, dans Le Monde du 18 octobre 2006 : « Il faut abolir la loi Gayssot ».
[19] Le Monde du 14 octobre 2006.
[20] B.-H. Lévy, Le Monde du 2 février 2007.
[21] Article déjà cité en note 10.
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