Gilets jaunes : séparer le bon grain de l’ivraie
Bernard-Henri Lévy le dit si bien, c'est à lire ici. Il y a la colère qui élève, l‘indignation noble, et la colère qui abaisse, noire et gratuite, nihiliste. De la même façon il n’y a pas LE peuple qui a forcément raison mais plutôt deux. Celui qui est le cœur de la démocratie et, son pendant, sa version noire, celui que l’on peut qualifier de populace, violent, incontrôlé et incontrôlable, ouvert à tous les excès. Sur ces deux points, après les incidents du 1erdécembre à Paris, nous en sommes arrivés à cette ligne de partage des eaux. Ce moment si particulier où l’on sent que la situation peut basculer dans un sens ou dans l’autre sans que l’on puisse encore savoir lequel.
Il faut dire les choses sans langue de bois. Ce 1erdécembre restera dans les mémoires comme une journée inédite d’émeutes voir de quasi-guerre civile dans les rues de la capitale française pendant laquelle les forces de l’ordre ont été dépassées par les événements. Une situation qui n’est pas de leur fait mais qui doit marquer un tournant dans la façon d’assurer le maintien de l’ordre. Arrêtons cette approche ubuesque où l’objectif premier assigné aux CRS est d’éviter tout blessé chez les manifestants, comme s’il fallait les protéger contre eux-mêmes et les éléments infiltrés venus pour le larcin, en découdre ou simplement casser. Cette infantilisation n’a plus lieu d’être. Manifester est un droit mais un droit encadré qui ne doit pas aller à l’encontre d’autres droits ( de propriété, d'aller et venir ou d'être en sécurité). Dans ce contexte, les forces qui sont en charge de l’ordre public doivent pouvoir s’appuyer sur des moyens adaptés, dans une réponse graduée, à la violence qu’ils affrontent. Et tant pis pour ceux qui par leur présence, plus ou moins passive, offrent un nid douillet aux délinquants et donc de fait permettent et cautionnent les débordements. Par la suite, la réponse judiciaire doit être à la fois ferme et dissuasive ce qui n'est pas le cas aujourd'hui avec un système judiciaire lui aussi à bout de souffle.
Dès lors, il ne s’agit pas comme le déclare Emmanuel Macron de ne jamais accepter la violence, elle adresse rarement un carton d’invitation, mais, et c’est tout l’art de la politique, de trouver un moyen de séparer le bon grain de l’ivraie. Pour faire preuve de tempérance et de prise en compte des doléances autant que possible à l’égard des éléments modérés mais, dans le même temps, de châtier sans trembler ceux qui foulent au pied les lois de la république et de la vie en société.
Pour autant, rien ne serait pire que de voir demain les gilets jaunes rentrer dans le rang par contrainte ou résignation, sans que rien n'ait été réglé. C’est là que la politique au sens noble doit intervenir. Là où elle a échoué depuis 30 ans : dessiner un avenir désirable aux Français et réparer un ascenseur social resté bloqué au rez-de-chaussée. Le déclassement, la déchéance perçus comme inexorables ne peuvent constituer un horizon, les gilets jaunes le rappellent.
Reste donc la question de la méthode. Cela nous ramène à cette citation de Saint-Exupéry : « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose… Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer. » C'est bien avec ce "désir d'avenir" pressenti par Ségolène Royal qu'il nous faut renouer au plus vite.
Mais le dire ne suffira pas. Nous ne ferons pas l'économie d'une refondation de la république parce qu'au-delà des histoires et trajectoires personnelles, c'est de l'avenir de la France dans un monde totalement chamboulé par la globalisation qu'il s'agit. Or aujourd'hui, l'Etat dans la forme que nous connaissons depuis 1945 est arrivé à ses limites. Devenu impécunieux et inefficace, il craque par toutes les coutures car à force d'être partout, il n'est plus nulle part. Il faut donc redéfinir collectivement son périmètre et ses priorités. Mais attention, ce ne sera pas sans quelques grincements de dents car de bien mauvaises habitudes ont été prises.
Crédit photo : Jean-Paul Corlin
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