Godwin vs Malthus : le bien contre le mâle
Il suffit de feuilleter n’importe quel magazine, de lire n’importe quel journal, de voir une des innombrables émissions télévisées, d’écouter une quelconque diffusion radiophonique, d’entendre un discours politique de gauche ou de droite… pour déterminer les lignes de force proposées par les pouvoirs actuels pour transcender les sociétés occidentales : le féminisme, la défense des minorités en particulier sexuelles, les droits de l’Homme. Chacun est prié de se déterminer en fonction de critères précis : est-on pour ou contre les femmes, les homosexuels, les autocrates, les gens de couleur, les blancs, les musulmans… ? Mais sont-ce les bonnes questions ?
L’article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 est explicite : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » Doit-on obligatoirement associer un genre, une couleur, une habitude sexuelle à l’utilité commune ? Si on quitte ce cadre, quel autre propose-t-on ?
William Godwin est né le 3 mars 1756, il décédera en 1836 à Londres. Il représentera pour l’éternité le Bien. Thomas Malthus (1766-1834) lui est contemporain et il deviendra jusqu’à la fin des temps une incarnation du Mal. L’un comme l’autre sont britanniques. Malthus prône l'arrêt de toute aide aux nécessiteux tandis que Godwin souhaite augmenter l'assistance aux pauvres. Cet irrémédiable antagonisme va sous-tendre toutes les luttes, tous les combats, qui suivront au cours des siècles.
Le pasteur Malthus est chargé de l’aide aux pauvres dans sa commune et il fut tout d’abord un fervent lecteur de Godwin qui décrivait dans ses ouvrages une société future faite de sagesse et d’harmonie, dans laquelle la prospérité accompagne l’accroissement de population. Il change ensuite du tout-au-tout sa pensée en dénonçant les idéalistes emplis d’une morale irresponsable qui se contentent d’accuser les gouvernements de tous les maux de la terre alors que ces maux découlent de lois naturelles et inéluctables.
Malthus décrit ‘mathématiquement’ que les populations s’accroissent exponentiellement comme 1, 2, 4, 8, 16… tandis que les ressources ne peuvent augmenter qu’arithmétiquement tel 1, 2, 3, 4, 5…. Ce refuge dans les sciences est fréquent lorsqu’on veut affirmer des certitudes approximatives. Il en conclut le caractère inévitable des catastrophes dues à l’impossibilité de subvenir aux besoins d’une population ne maîtrisant pas sa fécondité. Malthus préconise en conséquence une régulation volontaire des naissances en retardant l'âge du mariage et en pratiquant, autant que faire se peut, la chasteté jusqu'à l’union. Il constate également que les plus pauvres sont les plus prolifiques et qu’il faut donc impérativement cesser toute aide à ceux-ci afin de ralentir l’accroissement de population. Cette approche ouvre la voie aux idées de Francis Galton (1822-1911) qui élabore sa théorie sur les caractères hérités et qui souhaite décourager la reproduction des inférieurs en déclarant que « L’humanité doit être représentée par les races les plus aptes », races classées selon leur aptitude à engendrer des juges, des chefs militaires, des scientifiques, des artistes… et il précise « qu’il est rare d’entendre un voyageur blanc relater une rencontre avec un chef noir qu’il juge meilleur que lui. »
Godwin après avoir cru, ne croit plus en Dieu. En 1793 il décrit un monde où il y aurait une « éclipse du désir sexuel, remplacé par le développement de plaisirs intellectuels ». Ce serait la fin des naissances. Le monde deviendrait « un monde d’hommes et non plus d’enfants. Les générations ne succéderaient plus aux générations. Il n’y aurait ni guerre, ni crime, ni organisation judiciaire, ni gouvernement. Chacun rechercherait le bien de tous avec une indicible ardeur. »
Godwin est marié avec Mary Wollstonecraft, une maîtresse d'école, femme de lettres et surtout féministe. Elle ‘se révélera frustrée par les limitations imposées aux femmes de bonne famille mais pauvres qui souhaitent travailler’. Avant de mourir précocement, elle aura une fille Mary Shelley, autrice de Frankenstein. Celle-ci, comme sa mère, croit que l’homme peut améliorer la société à travers l’exercice responsable du pouvoir politique.
Ainsi à travers Malthus et Godwin s’affrontent le masculin, réaliste, impitoyable, dominateur contre le féminin utopiste, plein d’empathie et séducteur. En quelque sorte, dieu contre le diable, le bien contre le mâle, le réel contre le souhaitable. Mais que devint la démographie à partir du XVIIIe siècle ?
En 1789, la population française était de l’ordre de 28,6 millions d’habitants. Elle atteignit 40 millions en 1900 puis 58 millions en 2000. La France comptait, avant la révolution, la troisième population au monde derrière la Chine et l'Inde. Pourtant dès les années 1800, le nombre d’enfants par femme ne cessa de décroître : 4,4 en 1800, 2,9 en 1900, 1,89 de nos jours, ce qui n’assure pas le renouvellement de la population actuelle. Les inquiétudes de Malthus ne se confirmèrent donc pas en France, tout comme en Europe et dans tous les autres pays occidentaux. Sans politique forcenée de limitation des naissances, l’ensemble des nations dites développées freinèrent considérablement leur accroissement démographique. Cependant, il faut remarquer que cette limitation volontaire des naissances correspond chronologiquement avec l’essor industriel impulsé par ces mêmes nations. Sont-ce les combustibles fossiles qui ont permis le bien-être, l’émancipation plus ou moins réelle des femmes et la maîtrise de la natalité ?
En 2019, la population mondiale a atteint 7,7 milliards d’habitants, elle devrait s’élever à 9,7 milliards en 2050 et environ 11 milliards vers 2100. C’est donc à l’échelle du monde que l’on retrouve les préoccupations de Malthus. Les taux de fécondités les plus élevés se trouvent dans les pays qui sont les moins consommateurs d’énergies fossiles et qui ont en conséquence les Produits Intérieurs Bruts (PIB) les plus bas, ou parmi les plus bas : Niger (7,2 enfants par femme), Somalie (6,3 enfants), République du Congo (6,1), Mali (6,1). Le Nigeria à lui seul compte 201 millions d’habitants et les habitantes en âge de procréer ont en moyenne 5,4 enfants. Le Nigeria atteindra à n’en pas douter 400 millions d’habitants dès 2050.
Il est tout à fait raisonnable de penser que l’élévation du niveau de vie au sein des pays africains, défini selon les critères occidentaux, permettrait aux populations de s’aligner sur le taux de natalité des pays dits développés. Mais où trouvera-t-on les énergies, fossiles (ou pas d’ailleurs), pour ce faire ?
Existe-t-il un cadre commun qui permettrait à tous et toutes de trouver des solutions aux questions essentielles qui se posent ? Ou alors préférera-t-on stigmatiser les uns pour diviniser les autres ? Préférera-t-on favoriser des communautés liées à l’ethnie, la religion, les habitudes sexuelles pour permettre à leurs membres d’accéder à une place au soleil ? Dans les milieux dirigeants, ce processus est plus noblement appelé l’entregent et il est implacablement efficace pour s’emparer du pouvoir. La lutte est éternelle entre ceux qui s’accommodent du réel et ceux qui veulent le façonner. Toutes les idéologies, toutes les religions, ont toujours voulu tordre le réel et la vérité qui va avec pour qu’ils s’adaptent à leurs dogmes. On a le choix entre un collectivisme chrétien (virtuellement) égalitaire, les élus vont au paradis, ils sont choisis par Dieu, ou le collectivisme inégalitaire, les plus riches ont le pouvoir de diriger les plus pauvres, ils sont choisis par les marchés. Le collectivisme numérique peut bien entendu étendre encore les domaines d’action d’un pouvoir central : un réseau social en ligne envahissant peut bannir l’un, censurer l’autre, permettre une avalanche de calomnies sur un troisième jusqu’à ce que l’Homme unique, asexué, apolitique incapable de penser par lui-même seul subsiste sur la planète entière.
Il existerait bien une possibilité, basée sur les réseaux de neurones, de libérer les individus sans se fier à un quelconque algorithme suprême… mais qui y a intérêt parmi les puissants.
30 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON