Gouvernement Valls : Grande liquidation des valeurs de gauche avant faillite
En septembre 2014, j'écrivais déjà sur l'entreprise de démolition de l’État social mise en branle par ce gouvernement Valls II et son décomplexé Ministre de l'économie Emmanuel Macron. (relire "Le gouvernement Valls II : dernière étape avant la catastrophe ?"). Aujourd'hui en mettant sciemment à contribution le chaos mondial, l'émotion créée par les attentats de novembre et la crise des réfugiés, le gouvernement n'hésite plus à mettre en oeuvre "la stratégie du choc" dénoncée par Naomi Klein qui consiste à utiliser les crises et les désastres avec le choc émotionnel qu'ils suscitent pour "substituer aux valeurs démocratiques et aux acquis sociaux la seule loi du marché et la barbarie de la spéculation".(1)
Manuel Valls le 23 août 2014 à Caen -afp.com/Charly Triballeau
Dans cet état de guerre qui nous est imposé, l'état d'urgence devient un état permanent et au nom de la compétition internationale, la réforme des 35 heures doit être rangée au musée des horreurs. Avec la récente démission de Christiane Taubira, l'équipe au pouvoir tombe définitivement le masque et n'hésite plus à abandonner le terrain de bataille de la lutte pour une société plus démocratique et plus sociale, en laissant à découvert les bataillons d'électeurs de gauche qui , en 2012, ont contribué à la victoire de François Hollande.
VALLS : SURVEILLANT GÉNÉRAL EN CHEF DANS LA RÉPUBLIQUE.
Réforme constitutionnelle, état d’urgence, déchéance de la nationalité, mais aussi future loi pénale, loi sur la surveillance, la France s’installe dans un régime d’exception attentatoire aux libertés individuelles, avec, c'est inédit, depuis ce 27 janvier, un gouvernement constitué de pas moins de trois ministres de l'intérieur : Valls, Cazeneuve et le nouveau " monsieur sécurité" Urvoas à la Justice. On triture, on maquille pour faire passer cette loi scélérate sur la déchéance de nationalité qui désormais serait étendue aux délits les plus graves comme Sarkozy voulait le faire en 2010. La binationalité n'est certes plus mentionnée explicitement mais on réaffirme parallèlement qu'on ne fera jamais d'apatride. Autrement dit cette mesure ne concernera bien en pratique que les seuls binationaux...on prend vraiment les citoyens pour des débiles profonds.
Mais au nom d'une opinion qui nous conduit nulle part, que l'on suit comme son ombre sous un soleil crépusculaire à coup de sondages quotidiens , le gouvernement est prêt à jeter sa boussole, à oublier ses idéaux et les principes républicains et à sacrifier le droit sur l'autel d'un État sécuritaire.
Depuis sa nomination comme premier Ministre par François Hollande, Manuel Valls , désavoué à la primaire organisée par le Parti Socialiste en 2011, érige sa fonction à celle de surveillant général en chef du peuple de France tout en offrant le pays à la voracité insatiable de la compétitivité internationale et en frustrant les électeurs qui ont porté François Hollande au pouvoir de toute alternative idéologique à la politique de la droite libérale.
VALLS : GRAND DÉMOLISSEUR DU DROIT SOCIAL
Outre les atteintes aux libertés individuelles et aux principes fondateurs de notre République, le Président François Hollande dans son obstination pour inverser la courbe du chômage, n'a pas cessé depuis trois ans de déréguler le droit du travail , de s'attaquer aux acquis sociaux tout en subventionnant largement le patronat et ses actionnaires. Lundi 18 janvier il a annoncé son énième plan de "création d'emplois" ou plus précisément son plan de camouflage des demandeurs d'emplois de la catégorie A des statistiques, en envoyant 500 000 d'entre eux en formation, quitte à gonfler la catégorie D moins étudiée par les médias. A ce plan de transformation des chômeurs en stagiaires s'ajoute une nouvelle prime de 2000€ sur deux ans pour chaque création d'emploi dans les PME et la pérennisation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi ( C.I.C.E.) en allègement de charges. C.I.C.E. qui était censé créer des centaines de milliers d'emplois et qui n'a servi en fin de compte qu'à subventionner les dividendes, faute de pouvoir augmenter la production dans des usines en surcapacité face à une demande anémiée.
Trois ans après, en 2015, le chômage continue inéluctablement son ascension : 90 000 chômeurs supplémentaires sont venus grossir les rangs des fichiers de l’agence pour l’emploi,( lien ) pour totaliser à la fin décembre à 6 510 300 personnes privées d'emploi et travailleurs occasionnels officieux, toutes catégories confondues, auxquels il faut ajouter 4 000 000 d' invisibles qui n'entrent pas ou plus dans les statistiques. ( lien )
Le bilan de la politique de l'emploi de ce gouvernement est sévère. Pour la seule année 2015, un peu plus de 1 million d’entreprises ont déclaré une créance fiscale totalisant 17,5 milliards d’euros au titre du C.I.C.E. ( lien ) pour un total de 46 000 créations nettes d'emplois. Ainsi le coût unitaire du C.I.C.E. pour chaque création d'emploi s'élève en moyenne pour le contribuable à 380 000 euros ! A cela s'ajoute tout un ensemble d'aide et de régime d'indemnisation qui totalise plus de 80 milliards d'euros par an. Politique de l'offre particulièrement coûteuse pour une efficacité quasiment nulle dans un marché qui, à cause des politiques d'austérité, de l'augmentation du chômage, du blocage des salaires, de la précarisation des emplois, n'a plus les capacités d'absorber une augmentation de la production de biens et de services. La montée des inégalités avec la concentration des richesses et la paupérisation croissante d'une frange de plus en plus grande de la société ne fait qu'accentuer cette stagnation de l'économie. Subventionner une hypothétique création d'emplois et poursuivre l’œuvre de destruction des acquis sociaux pour accroitre la compétitivité des entreprises, dans un environnement en surcapacité de production, est une funeste erreur . Le fameux "alignement des planètes" avec la baisse concomitante des coûts de l'énergie et des matières premières, la baisse de l'euro et l'argent gratuit, n'a eu jusqu'à présent aucun effet sur la relance de l'économie. Tous ces éléments de baisse des coûts n'ont pas encouragé , faute de marché solvable, l'augmentation des investissements dans l'appareil de production ; ils n'ont conduit qu'à l'augmentation des dividendes distribués aux actionnaires.
Mais on ne change pas une politique qui perd. Fidèles à leurs grands principes de "libéralisation" de l'économie, de réduction des "charges" et de "flexibilisation du marché du travail " MM. François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron ont refusé, le 14 décembre 2015, de donner un coup de pouce au salaire minimum. Ce sera en tout et pour tout 6 centimes de l’heure, comme le prévoit la loi.
A ce choix de brider les salaires s’ajoute la volonté de détricoter le code du travail, fruit de plus d'un siècle de luttes sociales. Avant la fin du septennat il faut ainsi vite ranger les 35 heures au musée des antiquités. "Erreur historique" d'une gauche sociale d'un autre temps, ces 35 heures qui "salissent" l'image de la France à l'étranger ne font qu' augmenter le "coût du travail". Il faut aussi imposer le travail du dimanche pour créer des emplois dans la grande distribution en omettant de dire que l'on en supprimera deux fois plus dans le petit commerce de proximité. Mais comme certains syndicats "rétrogrades", à la FNAC par exemple, s'acharnent à défendre ces acquis sociaux d'un "autre temps", pour contourner tout opposition, on va changer les règles de validation des accords d'entreprise en privilégiant la consultation de l'ensemble des employés comme ce fut le cas à l'usine Smart où les cadres ont imposé aux ouvriers la semaine de 39 heures. ( Sur les quelque 800 votants, 56% s'étaient prononcés pour. Un chiffre qui montait à 74% pour les cadres, employés, techniciens et agents de maîtrise, mais tombait à 39% pour les ouvriers. - lien -)
« J’aime l’entreprise ! », s’était exclamé le Premier ministre lors de l’université d’été du Medef, quelques mois après son entrée en fonction. Son amour fou pour le patronat lui fait oublier que pour que la valeur soit réalisée il faut aussi que toute production trouve un acquéreur et c'est bien parce que la demande est atone que la déflation et la récession menace une économie botoxée par la dette et les "quantitative easing" des banquiers centraux.
En 2016, après quatre décennies de libéralisation des marchés, de mondialisation des échanges et de destruction de l’État social, nos sociétés sont en miettes, épuisées, divisées entre ceux qui s'accrochent encore à un emploi stable et toutes les victimes de cette compétition absurde. La grande majorité ne profite plus à la hauteur de son investissement en temps et en compétences de l'accroissement des richesses. Des salaires trop bas et une augmentation de la charge de travail pour les uns , la marginalisation et la pauvreté pour les autres, tout contribue pour que la majorité de la population voit sa participation dans l'économie réelle diminuer. Exclus de la société, devant l'impossibilité par la gauche de gouvernement de proposer une alternative au monde tel qu'il est, que reste-t-il à tous ceux à qui on vole tout espoir d'évolution et de progrès social ?
IMPOSSIBLE ALTERNATIVE ?
Devant des États qui se réduisent à ce que Marx appelait déjà des "fondés du pouvoir du capitalisme", devant ces forces invisibles qui annihilent toute volonté aux responsables politiques de tout bord d'imposer une alternative à une société profondément inégalitaire et injuste, la vie peut vite devenir intolérable pour tous ceux qui ne trouvent pas une place conforme aux critères du moment fondés sur l'argent, le confort et les modes de consommation.
Faute de pouvoir choisir leur vie et faute de pouvoir investir dans l'espérance d'un autre monde, il ne faut pas s'étonner que certains n'aient plus comme avenir que celui de choisir la politique du pire et/ou de mettre en scène leur mort pour pouvoir exister. Devant cette désespérance, il est à craindre que la déchéance de nationalité ne dissuadera pas de l'irréparable ceux qui ont été déchus de leur place dans notre société. En 2017, il n'y aura plus rien à attendre de cette gauche de gouvernement gagnée par les forces du marché et grande liquidatrice de l’État social. Au vue du bilan de la primaire de 2011, avec la trahison des militants, il n'y a aussi peu de chose à espérer d'une primaire à gauche pour le choix d'un candidat à la Présidence de la République capable de porter les valeurs sociales.
Il nous faut, avant qu'il ne soit trop tard, réapprendre à rêver, à imaginer une société alternative à cette société mortifère gouvernée par les seuls instincts de peur et de défiance, dans une guerre permanente de tous contre tous. Avec quelques principes et valeurs partagées nous pouvons faire bouger les lignes. Le défi est énorme face au matraquage ambiant, mais c'est à chacun de nous d'oser, de trouver les moyens de se faire entendre, de partager les idées, d'expérimenter et de prendre les initiatives qui s'imposent pour esquisser une alternative viable à ce monde finissant.
« Il est des époques où, parce que l'ordre se disloque, ne laissant subsister que ses contraintes vides de sens, le réalisme ne consiste plus à vouloir gérer ce qui existe mais à imaginer, anticiper, amorcer les transformations fondamentales dont la possibilité est inscrite dans les mutations en cours. » André Gorz - « Les Chemins du paradis-L'agonie du capital »
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(1) " La stratégie du choc - La montée d'un capitalisme du désastre " Naomi Klein- LEMEAC-ACTES SUD -2008
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