Guadeloupe : la vie au temps de la violence (IV)
Pour ce 4ème épisode de la chronique d’une vie quotidienne dans une Guadeloupe en crise, le titre a été un peu modifié. Aujourd’hui, la violence a remplacé les restrictions. La situation se dégrade de jour en jour. L’Etat a beau tenter de rattraper ses bévues du début de crise, le LKP s’est engagé dans une fuite en avant, demandant sans cesse plus, sans qu’on arrive à imaginer où tout ça va bien pouvoir s’arrêter
Vous pouvez lire ci-dessous les trois premiers épisodes de cette chronique, commencée le 29 janvier, 10 jours après le début des grèves :
Du 29 janvier au 7 février
Du 8 au 12 février
Du 13 au 17 février
Mardi 7 février après midi
La situation se dégrade. Beaucoup de barrages aujourd’hui, gênant de manière très importante la circulation. Saint Claude est calme, mais les entrées de Basse Terre sont bloquées. Une amie est très inquiète car sa mère arrive de métropole ce soir. Elle sait que l’avion est parti, mais son mari qui doit la récupérer est bloqué à un barrage près de Capesterre. J’apprends le lendemain matin qu’il n’a pas pu atteindre l’aéroport. La maman a réussi à trouver quelqu’un pour l’héberger cette nuit.
Au boulot, l’ambiance est lourde. Jusqu’à présent on évitait d’évoquer la situation sociale avec les collègues guadeloupéens. Aujourd’hui ce sont eux qui l’abordent spontanément. Ils expriment leur exaspération devant la tournure des événements. Leurs mots sont parfois très violents contre le LKP : « si un jour ils ont l’indépendance je vends ma maison et je pars en métropole »… Discours sans doute hâtifs et excessifs… mais qui témoignent du ras-le-bol qui envahit la population guadeloupéenne, surtout celle qui n’est jamais interrogée par les médias…
Mercredi 8 février
Ça y est, Domota a eu son mort ! Un syndicaliste de la CGTG qui s’est fait canarder à un barrage dans un quartier difficile. Le LKP a tout fait pour que ça arrive depuis quelques jours et a agi délibérément pour qu’on en soit là. Je ne connais pas la personnalité de Domota, mais je souhaite qu’il ait suffisamment de lucidité pour porter la responsabilité de cette vie perdue jusqu’à la fin de ses jours. On ne doit pas mourir pour 200 euros. Ça n’en vaut pas la chandelle. Pas plus d’ailleurs qu’on ne détruit l’économie d’un pays ou qu’on attise les antagonismes raciaux comme il le fait depuis 1 mois maintenant.
A la radio à midi, quelques réactions. Domota, figé dans sa rigidité et son discours répétitif : « c’est la faute de l’Etat qui est parti de la table de négociations, il faut appliquer le protocole promis le 8 février ». Pas l’ombre d’une autocritique dans son discours. Celui de certains politiques par contre commence à bouger, Victorien Lurel (président PS du CR) parait sincèrement effondré. C’est un politicien retors, mais pour la première fois on sent une véritable émotion dans sa voix. Il appelle à cesser les blocages et la violence que le LKP utilise depuis le début des troubles. Il reprend presque mot pour mot ce que je pensais ce matin : « on ne doit pas mourir pour 200 euros ». Jacques Gillot (président PS du CG), moins ému, mais qui tient un peu le même discours : on doit négocier, mais négocier ça ne veut pas dire qu’une des parties cède tout et l’autre rien. Tant que le LKP restera arc-bouté sur sa revendication de 200 euros rien n’avancera. Et appeler à utiliser des moyens illégaux pour soutenir sa revendication, c’est la porte ouverte à tous les excès, ce qu’on voit bien aujourd’hui.
La mère de ma collègue a finalement réussi à joindre Basse Terre. Avec un groupe d’autres passagers à la dérive, ils ont loué un petit avion privé dont ils se sont partagé les frais et ont pu atterrir à l’aérodrome de Baillif. Pour la première fois depuis longtemps je n’ai pas passé la journée de travail à Ste Rose comme je le fais d’habitude le mercredi.
Cet après midi, petite balade à Basse Terre. La quasi-totalité des barrages a disparu, sauf devant le conseil général où veille un piquet de grève LKP. Pas trace de forces de l’ordre. La plupart des objets encombrant les rues ont été nettoyés, mais il reste quelques traces sur les côtés. Dans une petite rue, je passe devant trois jeunes, l’un tente de se pencher à la portière de la voiture pour réclamer « làjan » (de l’argent). J’accélère un peu et on en reste là. Ils n’avaient de toute façon pas l’air trop convaincus. Les rues sont désertes, tous les magasins fermés. La ville donne l’impression de s’être réveillée avec la gueule de bois. Si le LKP n’a pas donné formellement l’ordre de lever les barrages, on sent une baisse très nette de la motivation des militants. Beaucoup ont sans doute écouté (et peut-être un peu entendu) Victorien Lurel à midi.
Un barrage de poubelles finit de se consumer à l’entrée de Basse terre. Quelques dizaines de mètres plus loin, je suis interpelé par trois jeunes qui veulent de l’argent.
La dernière blague qui circule par ici : « La Guadeloupe c’est comme Koh Lantah, y a deux tribus : les Tannou et les Patayo » (allusion au slogan du LKP « Gwadloup sé tannou, Gwadloup sé pa ta yo » la Guadeloupe c’est à nous, la Guadeloupe c’est pas à eux) Vivement la réunification… !
Une amie est venue passer l’après midi à la maison. Elle est martiniquaise et noire de peau, son mari breton et blanc comme un cachet d’aspirine. Elle vit tout ça très mal. Elle a l’impression que les gens la regardent de travers parce qu’elle est avec un blanc, et enceinte en plus. Une amie à elle dans la même situation s’est fait traiter de « sale pute »… Son mari est prof. Il est parti passer l’après midi à Basse Terre où dans un local privé il donne des cours à des élèves motivés contactés par Internet. Une collègue m’avait parlé de ça également. Ces cours clandestins paraissent se multiplier au fur et à mesure que le blocage dure et que les gens s’organisent. Ça me rappelle une comptine qui parle de l’école en grec et du catéchisme que les popes donnaient en cachette la nuit aux enfants à l’époque de l’occupation turque.
Fengaraki mou lampro
fegge mou na perpato
na pigaino sto scholio
na matheno grammata
grammata spoudasmata
tou theou ta pragmata.
Ma petite lune brillante
Eclaire mon chemin
Pour que j’aille à l’école
Apprendre les lettres
Les lettres et la littérature
Et les choses de Dieu
Jeudi 9 février
Ils ont brûlé l’Orangerie ! Un restaurant de Basse Terre où travaillait comme cuisinier notre jeune voisin. Heureusement pour lui, il avait trouvé un autre emploi depuis quelques semaines… Ses 5 anciens collègues n’ont pas cette chance. La perte du bâtiment par contre est irréparable. On peut toujours reconstruire un magasin de pneus ou un supermarché, mais pas la seule plantation du XVIII° siècle qui avait survécu dans le Sud-Basse Terre.
La terrasse de l’orangerie, un soir de novembre 2008
On ne se déplace quasiment plus, les récits se multiplient d’exactions et de menaces contre des touristes ou même des antillais. Le tarif pour passer un barrage tenu par des jeunes c’est 5 euros. Pour le LKP ça dépend. Des fois ils laissent passer, d’autres fois… Hier sur 13 patients attendus en chimiothérapie dans une clinique de Basse Terre, seuls deux ont pu venir. Les autres n’ont pas franchi les barrages. Dans le journal ce matin, un appel des présidents de commissions médicales des hôpitaux de la Guadeloupe au LKP pour laisser au moins passer les véhicules sanitaires. Pour le moment, pas de réponse de Domota.
Il parait qu’ils nous envoient Bové et Besancenot...Warff. Là au moins on est sûr que ça va calmer les esprits...
Cet après midi, discours de Sarkozy où il lache du lest financièrement et promet des "Etats-Généraux" pour l’Outre-mer. Est-ce que ça sera suffisant pour apaiser les tensions ? Plus le temps passe plus on a l’impression que rien ne permettra un retour à la vie normale, tellement Domota a besoin de cette ambiance de troubles pour exister politiquement...
La suite dans les jours qui viennent
29 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON