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Accueil du site > Tribune Libre > Guerre d’Algérie : la mémoire et les tombes

Guerre d’Algérie : la mémoire et les tombes

Un colloque inopportun à Nîmes

 Les faits

 Ce week-end a eu lieu à Nîmes, auditorium du Conseil général (voir ci-dessous), un colloque consacré à "l'histoire de la fédération de France du F.L.N. (Front de Libération Nationale) 1954-1962". M. Bernard Deschamps était le coordonnateur de ce colloque. Ancien député communiste (1978-1981, deuxième circonscription du Gard, et 1986-1988, élu à la proportionnelle), il est aussi président d'honneur de l'association France - El Djazaïr ou France - Algérie.

Á travers ce colloque il s'agissait pour les organisateurs (un collectif de neuf associations*), je cite : de "faire mieux connaître au grand public la présence et l'action en France, pendant la guerre d'Algérie, de l'organisation clandestine du F.L.N. algérien".

* Amicale des Algériens en Europe (Gard) ; Association des Algériens du Languedoc-Roussillon et de l’Aveyron (A.L.R.) ; Association Républicaine des Anciens Combattants (A.R.A.C.) ; Coup de Soleil Languedoc-Roussillon (France-Maghreb) ; France-El Djazaïr ; France Palestine Solidarité (Nîmes) ; Institut d’Histoire Sociale, CGT-Gard ; Mouvement de la Paix (Nîmes) ; Solidaires 30

La problématique et les points qui posent problème

 → Bernard Deschamps a présenté cette manifestation comme une rencontre entre historiens, universitaires, chercheurs, auteurs, ayant pour objet de relater de manière impartiale l'histoire du F.L.N. en France. L'absence d'invitation aux associations de rapatriés dans une ville, une région, où ils constituent une importante communauté, et à une semaine à peine du cinquantième anniversaire des accords d'Évian, le 18 mars 1962, pose néanmoins problème : il est vrai que l'intitulé même du colloque semble avoir été choisi pour écarter toute possibilité de contradiction. Quid du pluralisme ? De l'échange républicain ? De la confrontation des idées ?

→ Pourquoi M. le Préfet du Gard n'a-t-il pas interdit ce colloque comme le demandait le député de la circonscription, M. Yvan Lachaud (Nouveau centre) ? Vraisemblablement au nom du principe constitutionnel de la liberté d'expression. De plus, en dépit d'une manifestation d'opposants : élus de droite, rapatriés, harkis, anciens parachutistes (quelques centaines de personnes), l'allégation de risques de trouble à l'ordre public était difficile à invoquer.

→ Pourquoi le logo du ministère de la Culture a-t-il été utilisé alors que l'État ne subventionnait pas cette manifestation ? La réponse vaut son pesant d'or. M. Deschamps explique en substance qu'il a indiqué par lettre au ministère, en l'occurrence la D.R.A.C. (Direction régionale des affaires culturelles), que l'absence de réponse de l'État vaudrait approbation tacite à la demande de subvention et droit y afférent d'utiliser le logo du ministère !

→ L'attribution d'une salle par le Conseil général signifiait-elle que l'institution départementale accordait son soutien au colloque comme des milieux proches de l'extrême droite l'ont annoncé ? Nullement. M. Damien Alary, Président du Conseil général du Gard (majorité de gauche) a été on ne peut plus clair, je cite (cf. « Objectif Gard  » du 23 février 2012) :

« L'institution départementale ne participe pas financièrement à cette manifestation et n'assistera pas aux débats. Le droit de réunion et d'opinion est une règle républicaine. C'est d'ailleurs au nom de ce principe que le Conseil général loue à l'association France - El Djazaïr l'auditorium comme il le fait pour d'autres associations »

→ Existait-il des arrière-pensées électorales sous-jacentes à cette réunion ? Il est permis de le penser. Pour l'aile la plus radicale du P.C. gardois proche de l'extrême gauche, il s'agissait de s'assurer le leadership sur l'appareil local globalement favorable à l'unité de la gauche, et de gêner par la même occasion le P.S. nîmois, très frileux sur ce sujet, ceci au risque de blesser des consciences.

Élu député sous l'étiquette communiste en 1978, du temps où le secrétaire général du parti était Georges Marchais (1920-1997), il semble que M. Deschamps ait ainsi davantage cherché à commémorer dans le confort de l'entre-soi les noces d'or du communisme stalinien et du nationalisme algérien radical, dénoncé en son temps par Albert Camus :

« En ce moment on lance des bombes dans les tramways d'Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c'est cela, la justice, je préfère ma mère » (cité par Jean Daniel, Avec Camus, Gallimard, 2006)

plutôt que d’essayer, par un débat contradictoire, de réconcilier les communautés antagonistes.

Dans ces conditions, et pour les raisons que je viens de développer, ce colloque était particulièrement inopportun à Nîmes ce week-end, comme l'aurait été, j'imagine, un colloque consacré à Alger à l'action et à l'histoire des "soldats perdus" de l'O.A.S. Mais là je pense que les autorités algériennes l'eussent interdit...

Quant à l’internationalisme prolétarien revendiqué par les communistes, il faut l’apprécier au regard de ce témoignage :

« Pendant la guerre l'Algérie, dans les Houillères du Gard, à Alès, à La Grand Combe, la Fédération de France du F.L.N. a été active dans les milieux des travailleurs immigrés algériens. Mais son combat est resté nationaliste et arabo-musulman, sans ouverture internationaliste, ce qui a rendu difficiles les contacts avec les anticolonialistes gardois et notamment avec les plus engagés, qui, eux, avaient une perspective internationaliste et athée. » (cf. Le Monde, édition du 9 mars 2012, article Á Nîmes, tensions autour d'un colloque sur le F.L.N., commentaire sous pseudo "Patagon").

Je viens de relire l’intégralité des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand. Ce week-end à Nîmes, on n’a respecté ni la mémoire, ni les tombes des Français d’Algérie. L’écrivain Jules Roy (1907-2000) était allé se recueillir devant elles en 1995 au cimetière de Sidi Moussa :

« Enfin apparut une masse de granit gris, "famille" Paris, puis, près de l'ancienne porte où s’amoncelaient grilles et carcasses enchaînées entre elles et cadenassées, d’autres tumulus moins sombres, de solides monuments de taille supérieure au nôtre. Je déposai là une première gerbe de roses, poussai l’autre, au nom de mon ami Jean Pélégri, sur le marbre des siens, en mémoire des colons de la plaine, des Ronda, des Orfila, des Schembri et des Picinbono, des Manint et des Sposito, des Bertaut, des Paris de l’Arba et des Paris de Rovigo, où je ne pouvais pas aller, de tous ceux que j’ai cités, décrits et célébrés dans ma saga Les Chevaux du soleil. »

(Article paru dans Le Monde, édition du 10 juin 1995)

On appelle cela le devoir de mémoire.


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12 réactions à cet article    


  • Constant danslayreur 20 mars 2012 17:23

    Pu… 50 ans plus tard certains n’ont toujours pas fait le deuil de l’Algérie française, dans 50 autres années peut être...

    1.  Sur le fond, inutile de vous répondre d’autres l’ont déjà fait :

    http://www.jeune-independant.net/index.php?option=com_content&view=article&id=696:colloque-sur-la-federation-de-france-a-nimes&catid=10:la-24&Itemid=10

    Un extrait un seul « Une dizaine d’historiens et deux anciens militants du FLN en France partageront leurs réflexions. Les historiens spécialistes de l’histoire de l’Algérie qui parleront de la guerre en France sont majoritaires : 7 sur 10 intervenants. »

    2.  Je vous cite « plutôt que d’essayer, par un débat contradictoire, de réconcilier les communautés antagonistes. ».

    Oui, il est manifeste que c’est réconcilier qui vous tient à cœur, au point que vous tenez à interdire un colloque d’historiens … et avec qui dites moi se ferait « votre » réconciliation, avec vous ou encore avec je vous cite « manifestation d’opposants : élus de droite, rapatriés, harkis, anciens parachutistes » c’est de l’humour ?

    3.  Votre charge contre les communistes n’a rien d’étonnant mais par contre lorsque vous tentez de souligner l’incompatibilité des genres vous avez tout faux :
    Alleg était communiste, Maurice Audin était communiste (au fait, vos héros ont-ils l’intention de restituer son corps à sa famille ou alors c’est prévu dès après la « réconciliation ») et pour couronner le tout, c’est non pas le FLN fédération de France mais bien l’OAS qui envoyait des menaces de mort écrites à des communistes dont un… agriculteur

    4.  Au fait, ce « contre colloque de Collard », pas de commentaires de votre part ? Rien à signaler qui irait à l’encontre de la … réconciliation.

    5.  Et sinon, la maman de Camus a pu en réchapper j’espère ? Non je dis ça parce qu’au cas où, je pourrais vous proposer une alternative pour le larmoiement et la victimisation, d’autres civils français vraiment tombés en Algérie paix à leurs âmes, nous autres algériens d’Algérie n’avons pas la moindre perte civile à déplorer à ce jour Hamdoullah. Alors nous pouvons compatir avec vous… si si.

    6. Un devoir de mémoire dites-vous ? Bien, très bien et quid des manifestants (FLN fédération de France justement), qui ont eu à visiter la Seine non pas sur péniche mais de l’intérieur ? Devoir d’amnésie ? J’ai bon ? 


    • Constant danslayreur 20 mars 2012 17:32

      Si l’Algérie c’était Israël, vous et les trois quarts de vos héros anciens paras, OAS, Aussaresses et son engeance de tortionnaires au « courage » qui va avec, auriez été jugés pour crimes de guerre, vous auriez eu à répondre du million de morts en Algérie et vous osez encore faire votre outragée pour un colloque d’historiens ...

      A défaut de justice humaine, vous l’ignorez encore, mais un beau jour tout ce beau monde se retrouvera chez le patron et alors je vous donne ma parole d’honneur qu’il fera preuve d’équité...


    • Massaliote 20 mars 2012 17:56

      Vous qui réclamez le corps d’Audin, ne pensez-vous pas que Bouteflicka, ce maître-chanteur devrait restituer les dépouilles de ceux-ci ? les disparus d’algérie...

       


    • armand armand 20 mars 2012 17:38

      Il n’est que de prendre connaissance, jusqu’à la nausée, des seules commémorations qui intéressent la gôooooche, en particulier parisienne : les morts de Charonne, les Algériens noyés, le pauvre dévoyé Audin, affilié à un parti totalitaire qui applaudissait à l’écrasement de Budapest, complice d’une organisation de tueurs psychopathes qui posaient des bombes dans cafés et égorgeaient NOS soldats, pour déplorer la pensée unique de nos médias en 2012.

      Sans le moins du monde être nostalgique de l’Algérie française, on peut dénoncer, encore et toujours, la perfidie d’un De Gaulle qui a manqué à sa parole donnée pour céder un pays à une bande de terroristes, dont les épigones ont été incapables de le gouverner sans corruption, guerres civiles, oppression depuis cinquante ans.


      • Constant danslayreur 20 mars 2012 17:45

        Allez y de bon cœur Armand avec tout ce beau monde, y compris sur les déchirements de l’époque « comment peut-on être contre la guerre d’Algérie et se taire sur l’entrée de l’armée rouge à Budapest » c’est de bonne guerre, de bonne guerre aussi ce que vous dites sur ceux qui ont failli (un euphémisme) aux yeux de leur propre peuple, mais sur Audin personnellement, son histoire, son doctorat es sciences à titre posthume, sa femme, sa fille...  
        http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/01/09/la-fille-de-maurice-audin-refuse-la-legion-d-honneur_1140101_3224.html

        Je vous croyais, je vous crois toujours homme d’honneur. Prouvez le, retirez... 


      • Massaliote 20 mars 2012 17:46

        Bien dit Armand. J’ai la nausée lorsque j’entends ou que je lis nos journaleux bienpensants faire dans la surenchère à la gloire du FLN. Quels seront les dégâts dans l’ imaginaire des jeunes abreuvés de propagande anti-française ?


      • Massaliote 20 mars 2012 17:50

        COMMENT CECI PEUT-IL ETRE IGNORE ? les disparus d’algérie...



      • armand armand 20 mars 2012 17:54

        J’ai qualifié Audin de dévoyé - cela ne veut pas dire qu’à titre personnel je ne déplore pas ce qui lui est arrivé. Mais je pense qu’à l’époque si j’avais trouvé mes camarades d’armes égorgés et châtrés, ou des membres de ma famille réduits en miettes pour avoir voulu, un jour, prendre un café ou danser là où il ne fallait pas, j’aurais été sans pitié avec des « porteurs de valises ».

        Mais rassurez-vous, ce n’est pas l’algérianité du FLN que je lui reproche (personnellement j’estime que l’affaire était irrécupérable depuis qu’on a empêché Napoléon III de mettre en place son « royaume arabe »), c’est le totalitarisme révolutionnaire d’une bande de ratés et de psychopathes - semblables en cela à notre « comité de salut public » de 1793.


      • armand armand 20 mars 2012 17:44

        Effectivement, un jour ce beau monde se retrouvera chez le patron - d’un côté des héros comme Saint-Marc et Léger, de l’autre les souteneurs reconvertis en poseurs de bombes, plus aptes à se décimer entre eux qu’à affronter l’ennemi.
        Et si cette guerre sauvage a libéré souvent les pires instincts de l’homme, du côté français aussi, je le reconnais, il n’était pas nécessaire de faire cadeau d’un pays entier à une seule clique indépendantiste, simplement pour que De Gaulle puisse ensuite se pavaner devant les non-alignés et se prendre pour un Tito.


        • Massaliote 20 mars 2012 17:58

          Lequel TITO, criminel de guerre, n’était qu’un agent anglais substitué à celui qui est né à Kumrovec (Croatie)


        • SNOOP 20 mars 2012 20:56

          oui bof...si les ex « colonisés » étaient si malheureux ils n’auraient pas suivi leurs « colonisateurs » aussi vite

          d’ailleurs encore aujourd’hui ils pleurent des visas !


          • Michel Frontère Michel Frontère 21 mars 2012 15:57

            Je découvre à l’instant que mon article vient d’être publié. J’ignore pourquoi AgoraVox ne m’en a pas informé.

            Il me semble que les réactions sont très équilibrées, c’est une bonne chose.

            Quelques précisions de ma part. Ce que j’ai déploré c’est l’absence dans ce colloque de représentants des associations de rapatriés pour qu’ils puissent défendre leur point de vue. Á Nîmes il existe une importante communauté Pied-noir. Je souhaite confirmer ici que M. Deschamps, ancien député, appartient à l’aile radicale du P.C. gardois proche de l’extrême gauche. Il a joué le rôle d’apprenti-sorcier.

            J’ai au sein du P.C. nîmois quelques amis qui me sont chers, par exemple, Alain Clary, ancien député-maire communiste de Nîmes (il assistait au colloque) ou Christian Bastid, conseiller général du Gard. On ne peut pas me soupçonner d’anticommunisme. Et, je me situe, pour ma part, au centre gauche.

            La manière dont les Pieds-noirs ont été trahis par de Gaulle, accueillis dans les conditions que l’on sait en France, me choque profondément. Sans même parler, auparavant, du 5 juillet 1962 à Oran...

            Je sais la responsabilité de l’État colonialiste français dès les événements de Sétif en 1945, puis lorsque Maurice Papon a fait massacrer, en 1961 à Paris, les Algériens qui manifestaient en dépit du couvre-feu, qu’ils auraient dû observer soit-dit en passant.

            Il m’est difficile de considérer comme des patriotes les « porteurs-de-valise » et comme des traîtres les activistes de l’O.A.S. S’ils avaient une vision internationaliste les premiers se sont fourvoyés pour les raisons que j’évoque dans mon article. S’ils voulaient garder à tout prix -politique de la terre brûlée - une Algérie française les seconds se sont trompés, l’Histoire plaidait en faveur de la décolonisation, un mouvement historique qu’il était impossible d’arrêter.

            « L’Algérie de grand-Papa », c’était fini, de Gaulle l’avait compris même si sa politique ambiguë a pu exaspérer les Français d’Algérie par les atermoiements qu’ils y ont vus.

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