Histoire(s) de la télévision ( 3 / 3 )
Le monopole étatique a vécu. Pour le meilleur et le pire, le public est en concurrence avec le privé dont les recettes dépendent de leurs audiences. La course à l'audience a fait des ravages mais l'équilibre précaire trouvé se voit bouleversé par le progrès technologique : l'arrivée des services de vidéo à la demande par abonnement relance les dés et affablit encore plus les positions des chaînes historiques dont l'audience était déjà battue en brèche par l'arrivée de leurs clones sur la TNT qui se voient à leurs tour menacées avant d'avoir pu conquérir une vaste position au sein du public. Dans chaque guerre, il y a des victimes. Le PAF ne va pas échapper à la règle.
Le réseau hertzien ayant peu ou prou trouvé son équilibre entre privé et public, on pouvait penser que les choses en resteraient là.
C’était sans compter sur la technique et ses progrès.
Sur les ondes hertziennes, il n’y avait de place que pour six réseaux. Il y existe d’autres fréquences utilisables mais elles sont réservées à l’armée et aux services de secours, hors de question donc d’y toucher.
Les américains, du fait de la vaste étendue de leur territoire, avaient du mal à concilier couverture efficace et économie avec les ondes hertziennes. Les ingénieurs vont résoudre le problème en combinant la réception satellitaire et le réseau câblé.
Le principe est simple : au lieu de planter dans tous le pays des réémetteurs qui ne servent qu’à acheminer les émissions au travers de grands déserts pour rejoindre des villes distantes et éparpillées ( les ondes télés ne se réfléchissent pas sur la ionosphère, elles ne se propagent qu’en ligne droite et sont limitées par l’horizon ), les Networks installent dans chaque ville une grande antenne satellite qui alimente directement les habitations par câble.
Les grandes chaines épargnent la construction d’une multitude de réémetteurs. De plus, la diffusion par satellite et câble fait voler en éclat la limite imposée par l’étroitesse des ondes hertziennes : on peut y diffuser des chaînes par dizaines.
En France, la faible superficie du pays rend presque inutile le câble pour des raisons économiques. Seule sa capacité à acheminer des dizaines de programmes le rendent intéressant, mais le déploiement est restreint par son cout et par de mauvaises décisions techniques : le choix, à la fin des années 80, de la fibre optique en lieu et place du câble de cuivre a plombé la vitesse de déploiement. L’irruption de l’ ADSL va rendre obsolète rapidement cette technologie qui ne survit que par sa capacité à offrir du très haut débit à Internet.
Avoir des dizaines de chaînes ne rime à rien s’il n’y a pas de programmes à y diffuser. Les sociétés de productions et les studios de cinéma se développent donc pour alimenter le réseau en programmes plus ou moins réussis.
C’est ce qui fait comprendre à Canal + le danger de rester seul dans son coin. La chaîne dépend énormément des contrats signés avec les studios et les autres fournisseurs de programmes : si un groupe médiatique privé arrive à négocier un bon contrat en exclusivité, elle perd des programmes et donc des abonnés.
A son corps défendant, la télévision entre dans une course effrénée aux programmes, une compétition encouragée par l’apparition de groupes médiatiques privés qui s’ajoutent à la force de frappe des groupes publics anglais et allemand qui font la pluie et le beau temps sur les programmes européens.
Pour ne pas se faire manger, Canal + n’a pas d’autre choix que de grandir et de vite acquérir une taille critique lui permettant de faire porter sa voix lors des négociations des contrats.
Sa stratégie est simple : s’implanter personnellement là ou le service public est faible, comme en Espagne, en Italie et en Pologne, ou passer des partenariats avec des sociétés anglaises et allemandes. La décision de Canal + d’acheter le PSG relève de la même stratégie : en proposant des matchs intéressants, la chaîne permet à la Ligue de vendre ses droits télés plus chers, et donc d’amener plus d’argent aux clubs qui peuvent donc recruter de meilleurs joueurs et enclencher un cercle vertueux pour la chaîne qui acquiert une stature européenne.
Canal + développe donc son offre en multipliant ses déclinaisons et ses chaînes, créant le premier bouquet satellite français. Elle fait jouer son attractivité auprès du public en proposant des chaînes étrangères de qualité inaccessibles autrement. Pour ne pas se retrouver en position de faiblesse, le groupe produit ses propres émissions et développe ses propres chaînes qu’elle proposera ensuite à ses déclinaisons européennes.
Partout en Europe, ce phénomène se reproduit. Mediaset enrichit Berlusconi et finance ses campagnes électorales qui vont faire de lui le premier ministre du pays. Rupert Murdoch arrive à un armistice avec la puissante BBC et accepte d’exploiter avec elle le bouquet BskyB sur les îles britanniques. Le groupe RTL privilégie la quantité à la qualité : elle ouvre des réseaux dans les petits pays européens et parvient ainsi à résister à la pression financière des grands groupes européens.
Ce qui était le but ultime de l’ Etat, à savoir le contrôle d’une large, sinon de la totalité de l’information distribuée auprès du grand public, est désormais la réalité de grands groupes, qu’ils soient privés ou publics encore.
Cette course effrénée à la production et à la programmation entraîne une multiplication des bouquets et des chaînes. Mais la quantité n’est souvent pas suivie par la qualité et rares sont les programmes qui justifient un abonnement malgré les efforts des réseaux qui sont conscient que plus encore que le marché publicitaire, c’est l’abonné qui détient les clés du futur de la chaîne comme du bouquet.
Le prix d’accès à la diffusion hertzienne étant très élevé comparativement à une radio, les chaînes locales et alternatives ont beaucoup de mal à exister sur leurs marchés respectifs. Malgré leurs efforts, les télévisions locales, vues à l’origine comme étant des outils de communication de proximité, demeurent anecdotiques et leurs audiences confidentielles. Elles ne résistent pas à la concurrence des radios locales qui sont toujours préférées des auditeurs.
En cause également, la qualité de leurs programmes. Réalisation parfois approximative, intérêt douteux, manque de rythme et d’attrait, les émissions de ces chaînes n’offrent que peu d’attrait pour le grand public.
La critique, souvent justifiée, des programmes offerts doit aussi être pondérée par le fait que pour rester rentable et attirer les contrats publicitaires, les chaînes produisent en priorité des programmes susceptibles de plaire au plus grand nombre.
Toute chaîne a besoin d'argent pour émettre et composer des programmes. L'argent peut venir de la redevance de l' Etat, l'abonnement, la publicité, ou un mix de tout cela. Moins de pub serait souhaitable, mais dans ce cas vous devrez payer plus. Rien n'est gratuit !
La qualité médiocre des émissions est à mettre en rapport avec la médiocrité de la demande. Maintenant que des chaînes populaires cohabitent sur les réseaux avec des programmes plus exigeants, force est de constater que ce ne sont pas ces derniers qui remportent la course à l’audience.
Les propos polémiques de Patrick Le Lay sur « le temps de cerveau disponible » sont blâmables, mais ils reflètent une réalité sociale à laquelle TF1 aurait tort, économiquement parlant, de ne pas en tenir compte. Répondant à une polémique sur la superficialité de ses émissions d’information, Guillaume Durand a montré toute sa lucidité en répondant à ses critiques que certes, des dossiers comme la guerre civile algérienne méritait une série de six émissions pour tout comprendre, mais que s’il programmait une telle suite, tout son public se serait évaporé en deux émissions.
En grande majorité, les émissions sont médiocres car elles veulent séduire un public médiocre. Et ce public, dans sa très grande majorité, ne veut pas d’ autre chose. On se plaint d’un personnel politique mauvais, mais il n’est que le reflet à peine déformé de sa population.
C’est la même chose pour la télévision : l’arrivée de la TNT a multiplié le nombre de chaînes disponibles gratuitement. Mais la qualité et la diversité n’est pas au rendez-vous. La grande majorité des chaînes sont des clones de TF1 qui proposent des programmes bas de gamme qui ne demandent que peu de réflexion pour y avoir accès.
En même temps, les programmes télévisés se consomment en grande majorité le soir, après la journée de travail. Il est parfaitement compréhensible que dans ce cas de figure, le public soit plus attiré par une heure de Lagaf’ et ses pitreries que par trois heures de tragédie grecque antique en VO. Pour se détendre après une heure et demie de RER, Iphigénie, c’est pas le mieux, il faut le reconnaître.
Le chômage massif et le changement dans la structure du travail, rendant le 8-17 heures de plus en plus obsolète, imposent au public de nouveaux rythmes. La télévision va le suivre rapidement.
Du temps des trois chaînes hertziennes, à l’orée des années 80, la télévision française était loin d’émettre 24 heures sur 24 comme maintenant. L’antenne ouvrait vers 11 heures du matin en semaine et cessait vers minuit. FR3 ouvrait même vers 16 heures. La multiplication des réseaux et la baisse du temps de travail pousse les chaînes à proposer des programmes de plus en plus tôt. Télématin est, à l’époque, une révolution avec sa prise d’antenne à 6 heures. Petit à petit, les heures d’ouvertures s’allongent et à la fin des années 90, seules quelques chaînes du satellite ferment la nuit. Cet accroissement de l’offre serait inutile sans l’adjonction sous l’écran d’un appareil supplémentaire qui, pour la première fois, donne au spectateur le contrôle de son emploi du temps : le magnétoscope.
Une légende urbaine raconte que si le VHS s'est imposé, c'est parce que le marché de la vidéo porno s'y est développé le plus vite, ses rivaux ayant refusé l'existence de tels films sur leurs supports. Plus simplement, le VHS constituait aux yeux du public un excellent compromis entre la haute technicité du betamax et la rusticité économique du V 2000.
Issu de la régie technique, cet appareil permet d’enregistrer les programmes désirés afin de les regarder plus tard. Une fois la guerre des trois standards terminée avec la victoire par KO du VHS, les appareils se répandent dans le grand public comme étant le complément parfait de l’écran. Plus besoin de veiller jusqu’à trois heures du matin pour regarder « 2001 » en VO.
C’est cette volonté de contrôle du temps qui va amener la télévision à l’évolution suivante, et paradoxalement, sans doute à sa fin.
Les services de location de VHS, puis de DVD se développent, même si leur temps de visionnage reste anecdotique face au temps consacré aux directs.
Afin de pousser leurs abonnés à rapporter en temps et en heure le film loué, les sociétés frappent les retardataires d’amendes plus ou moins fortes. C’est après avoir dû payer une amende de 40 dollars pour un film oublié que Reese Hasting a l’idée de fonder une société de location de film, commandés par Internet. L’originalité est que le client n’est plus contraint par une limite de temps car il ne loue plus les films un à un ( acheminés par la poste, avec une enveloppe pour le retour du disque ), mais il s’abonne pour avoir accès à la totalité du catalogue en illimité. C’est la naissance de Netflix.
La société connait un démarrage fulgurant, et elle négocie parfaitement le virage Internet : les réseaux étant devenus capables de supporter le visionnage en direct, la société se lance sur ce nouveau créneau avec la même philosophie : contre un abonnement mensuel, le client a accès à tout le catalogue en illimité, sans maintenant à avoir renvoyer le disque, ce qui économise à la société les frais postaux.
Autant dire que son arrivée sur la marché européen a été vécu par le Groupe Canal + comme étant un traumatisme : son propre service de SVOD, Canalplay, ne rencontrant qu’un succès plus lent à venir en raison notamment d’une gestion problématique des séries, ces dernières pouvant disparaître du catalogue du jour au lendemain avant de revenir de façon incomplète quelques semaines ou mois après.
Afin de ne pas dépendre totalement des studios de production, Netflix décide d’investir ce marché également et de produire des séries et films pour alimenter ses propres tuyaux. Cette nouvelle menace est prise très au sérieux car elle chamboule l’équilibre précaire des télévisions payantes : Canal + a pu ouvrir en échange de la production massive de films et de séries françaises. Le système de l’avance sur recettes permet aux scénarios les plus difficiles d’être produits tout de même. Leur échec en salle est compensé par la diffusion sur petit écran, les chaînes étant rémunérées soit par la pub, soit par l’abonnement.
65 millions de personnes sont abonnées à Netflix de par le monde. C’est pratiquement 1 % de la population de la planète, un chiffre énorme en sachant que le service n’est disponible que là ou les réseaux internet peuvent supporter son passage : il est estimé que le trafic internet est occupé à 30 % par Netflix aux USA pendant les heures de grande écoute !
Ce fort taux d’occupation est vécu comme une menace par les bouquets satellites à qui les services de SVOD taillent des croupières. Ce qui n’est que justice après tout.
En effet, les chaînes de télévisions ont pour but premier d’assurer son propre financement, via la pub en règle générale. Aussi, un programme qui ne trouvera pas son public sera retiré de l’antenne sans attendre la fin. Beaucoup de séries se retrouvent ainsi supprimées sans respect pour les spectateurs qui avaient apprécié la programmation. Sans parler de la pub omniprésente entre et pendant les programmes, et aussi l’ineptie qu’ont les chaînes de programmer les feuilletons dans le désordre le plus complet sans aucune justification !
La chaîne de télévision est donc pour le moment un média avant tout tourné vers ses propres besoins, et non ceux du public. L’arrivée et le développement des services de streaming va donc forcer à une évolution de ces dernières.
On va déjà aller vers une diminution du nombre des chaînes. Le mouvement ne fait que commencer mais les premières cibles symboliques sont atteintes avec la fermeture de Jimmy en juillet 2015. Cette chaîne était une révolution à l’époque de son lancement, en privilégiant les séries américaines, diffusées en VO. Maintenant que d’autres réseaux se sont implantés sur le marché, elle avait perdu de son importance et de son originalité. La lente réduction du marché publicitaire, frappé par la crise et l’arrivée de la TNT qui a redistribué les cartes ont condamné le canal. D’autres devraient suivre rapidement. Sauf miracle de dernière minute, LCI fera partie de la prochaine charrette, condamnée par l’erreur stratégique fondamentale de TF1 de ne pas lui donner une place sur la TNT gratuite, créneau pris avec succès par BFMTV. Il se dit que Paris Première sera aussi l’objet d’une réduction de voilure dans le réseau de M 6.
En ce qui concerne le service public, France Ô semble condamnée au niveau métropolitain. Sa diffusion serait réservée à Internet et non plus par la TNT, la chaîne payant ses audiences proches de zéro. Compromis qui permettrait à la diversité d’être toujours présente tout en économisant les frais d’émission d’un canal TNT national.
Le futur de la diffusion des programmes télévisés est d’ors et déjà écrit et réalisé : le passage au numérique a permis de multiplier les canaux tout en améliorant la qualité visuelle et sonore. Au Hertzien, s’est ajouté le câble, le satellite, puis l’ ADSL et enfin les réseaux mobiles.
Les seules améliorations à prévoir restent une augmentation du débit de réception. Les premières expériences de 3D ne sont guère concluantes, le public ne voyant pas non plus l’intérêt d’une telle technologie pour l’instant. Il semble qu’il ne faille pas attendre de progrès de ce côté.
Pour ce qui est de la qualité des programmes eux-même, elle reste tributaire de la bonne volonté du producteur et du diffuseur. La fusion de ces professions comme dans le cas de Netflix pour le streaming devrait contribuer à améliorer les choses. D’ors et déjà, les chaînes câblées américaines ont fait le pari de la qualité et les productions Showtime ou HBO montrent que l’audace paye souvent en terme de programmation et de succès public et critique.
Les Sopranos. Six feet under. Battlestar Galactica. Gossip Girl. X-files. True detective. Games of thrones. Breaking bad. La liste des chefs d'oeuvres télévisuels s'allonge d'années en années. Disposant de grands budgets investis sagement dans la scénarisation, l'écriture, l'interprêtation et les effets spéciaux, les séries et les feuilletons américains ont de plus en plus d'importance et leur succès critique comme public laisse Hollywood pantois désormais. La télévision n'est plus le média visuel du pauvre.
Le mode de diffusion est quand à lui révolutionné par le streaming, qui fusionne la chaîne de télé avec le magnétoscope. Les experts parient sur le fait que cette facilité de visionnage va se développer pour devenir majoritaire dans quelques années.
Le concept même de chaîne de télévision n’aura alors plus de sens, et la grande majorité devrait fermer, à moins qu’elles ne se soient transformées pour devenir autant de Canalplay ou assimilés.
Cela aura des incidences sur les producteurs qui devront favoriser les programmes du genre choisis cette fois par le public, et non plus par la régie publicitaire interne.
Ce qui laisse espérer quelques progrès quand à la qualité générale, les émissions et les séries plus exigeantes pouvant dans ce schéma avoir leur place et leur chance. Des programmes actuels, seuls les événements sportifs et l’information en direct devraient demeurer tels quels.
Quoiqu’il en soit, le spectacle offert actuellement dans nos lucarnes en 16/9 devrait changer plus rapidement et plus profondément qu’actuellement.
Enfin !
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