Honneur à Charles Lindbergh
C’est un fait qui réunit un quasi consensus dans les cénacles de la Pensée Unique : le célèbre aviateur Charles Lindbergh était un ardent défenseur du régime nazi auquel il rêvait ni plus ni moins d’asservir l’Amérique !

On
a pu vérifier l’adage encore le samedi 10/11/07 lors de l’émission de
Laurent Ruquier, On n’est pas couché. Eric Zemmour, d’habitude plus
inspiré, non seulement confirma l’assertion, mais enfonça le clou en
affirmant qu’on savait ça depuis des lustres, et de toute manière qu’à
l’époque (les années 30) tout le gratin influent aux Etats-Unis avait une
vraie dévotion pour le führer : le père Kennedy, les aïeux Bush, etc. (à propos du dernier livre de Paul-Loup Sulitzer) !
Il
faut préciser qu’en 2004, l’écrivain américain Philip Roth avait
largement contribué à répandre cette idée saugrenue avec son roman Le Complot contre l’Amérique.
Cet
ouvrage se veut une réécriture de l’Histoire, à partir d’une hypothèse
personnelle plutôt fantaisiste de l’auteur. Il paraît qu’on appelle ça
une uchronie. Un exercice qui pourrait être amusant s’il se limitait à
l’instar de Blaise Pascal, à imaginer par exemple ce qui serait advenu
si le nez de Cléopâtre eût été plus court... Mais qui peut s’avérer
extrêmement déplaisant lorsqu’il se fonde sur des amalgames grossiers,
sur des insinuations calomnieuses, voire carrément sur le mensonge. On
sait trop bien qu’ « avec des si on pourrait mettre Paris en bouteille
». On peut donc ruiner une réputation ou tout simplement, pervertir la
réalité.
L’opinion publique est devenue si crédule qu’elle a tendance à prendre pour argent comptant toutes les affabulations pour peu qu’elles soient suffisamment médiatisées. Aujourd’hui, à lire Roth, et à entendre ce qu’on dit « dans le poste », il est donc admis que Lindbergh était profondément anti-sémite, admirateur béat de Hitler et qu’avec de telles opinions en tête il était sur les rangs pour l’élection à la présidence de la République américaine en 1940, ce qui aurait pu bouleverser la face du monde !
Or une analyse rapide de quelques sources d’origine diverses sur internet, permet d’infirmer sans peine cette croyance abracadabrante.
On
peut vérifier tout d’abord que Lindbergh, descendant d’émigrés suédois,
est bien l’aviateur qui pour la première fois en 1927, à l’âge de 25
ans, a rallié en vol solitaire Paris à partir de New York. Ouf ! On
l’avait presque oublié...
Il n’était certes pas le premier à traverser l’Atlantique en avion puisque l’équipage constitué de John Alcock et Arthur Whitten Brown
avaient rejoint en 1919 l’Irlande à partir de Terre-Neuve. Mais
personne avant lui n’avait encore fait le voyage New York-Paris seul et
sans escale.
Lindbergh connut une gloire indescriptible après cet
événement. A la mesure de celle qui accompagna les astronautes qui les
premiers foulèrent le sol lunaire. Il la paya toutefois très cher. En
1932, son fils aîné fut enlevé contre rançon et assassiné par ses
ravisseurs. Comme on peut s’en douter cette terrible épreuve le marqua
définitivement.
En
1936, Lindbergh, qui était un homme de science accompli, fut envoyé en
Europe à la demande de l’armée américaine en mission d’étude
aéronautique. Il séjourna ainsi plusieurs fois entre 1936 et 1938 en
Allemagne où il put, grâce à l’amitié qui le liait au pilote Ernst Udet,
observer, à loisir les avions de la Luftwaffe dont la qualité
l’impressionna. Ses constatations furent sans aucun doute utiles aux
ingénieurs américains pour améliorer leurs propres techniques.
En France où il vécut également durant ces années, il se lia avec Alexis Carrel, prix Nobel de Médecine, et les deux hommes travaillèrent sur un projet de coeur artificiel.
Dans
l’immédiat avant-guerre, Lindbergh sous-estima manifestement le danger
représenté par l’Allemagne nazie. Il fut pacifiste au moment des
événements de Munich, estimant que l’entrée en guerre à l’époque,
aurait conduit notamment l’Angleterre, à une défaite quasi certaine. Il
faut ajouter qu’à l’instar de nombreuses personnes, il pensait que le
plus grand danger de l’époque était le communisme, qui menaçait à ses
yeux toute la société occidentale. Cette opinion fut aussi celle du général Patton et bien sûr de Churchill qui l’exprima plus tard : "j’ai
peur que nous n’ayons tué le mauvais cochon". Bien avant guerre Lindbergh avait pour sa part prédit avec une surprenante précision l’installation du rideau de fer.
Lorsque
le conflit éclata, Lindbergh se rangea du côté des nombreux Américains
qui étaient opposés à toute intervention en Europe. Sous la bannière du
Mouvement America First, ils ne faisaient en réalité que reprendre à la lettre les conseils de George Washington,
enjoignant à ses compatriotes, pour pérenniser la démocratie en
Amérique, de ne jamais se mêler des affaires européennes. Il faut
rappeler aussi qu’ils avaient été échaudés par l’expérience de 1918 et
avaient très mal vécu lors du traité de Versailles, l’acharnement
français et anglais à humilier l’Allemagne vaincue.
En 1941, il eut
quelques paroles malheureuses, accusant notamment les Anglais, les
Juifs et l’administration Roosevelt de presser les Etats-Unis d’entrer
dans une guerre qui ne les concernait en rien (tiens ça pourrait
évoquer certaines prises de positions au sujet de l’Irak...). Dans le
même temps, il affirmait toutefois que ces propos n’étaient en rien une
attaque du peuple juif ou anglais « qu’il admirait tous les deux ». La
même année, il déclara d’ailleurs « qu’aucune personne dotée d’un
minimum de dignité et d’humanité ne pouvait tolérer le traitement que
faisait subir l’administration allemande aux Juifs ». Plus tard, après
guerre lorsque l’horreur des camps de concentration fut dévoilée il
manifesta un grand désespoir ne n’avoir pas été assez clairvoyant.
Lors de l’attaque de Pearl Harbor, Lindbergh comprit que l’intervention américaine était indispensable. Il combattit d’ailleurs
dans le Pacifique et tous les témoignages de l’époque vantent son
courage et son patriotisme. Au surplus, il améliora les qualités
techniques des bombardiers P38 en leur permettant de faire des missions
beaucoup plus longues et efficaces.
Enfin, à aucun moment de cette
période tumultueuse, contrairement à la supposition de Philip Roth, il
ne manifesta la moindre intention d’être candidat à l’élection
présidentielle...
Après
guerre, Lindbergh exerça des fonctions de conseiller technique auprès
de l’US Air Force et de la compagnie Panam. Il fut un précurseur dans
la défense de l’environnement, combattant notamment pour la protection
de certaines espèces animales en danger, comme les baleines. Dans l’une
de ses dernières interventions, pour le magazine Life, il définit ainsi
sa conviction : « Le futur de l’humanité dépend de notre capacité à
combiner la connaissance scientifique avec la sagesse de la nature »
Il mourut en 1974 à Hawaï où il est enterré.
Ainsi toute personne de bonne foi peut facilement se faire une idée claire de ce que fut la vie de Charles Lindbergh. Elle est loin des ragots infâmes colportés ces derniers temps par des ignares ou des médisants. Si comme la plupart d’entre nous Lindbergh eut une personnalité contrastée, s’il lui arriva de se tromper, nul doute qu’il ne mérite pas l’opprobre dont certains cherchent à le couvrir. Il fut un homme honnête et courageux, et un héros plutôt modeste. Là est la réalité.
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