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Iconolâtres et iconoclastes

Jacques Lacarrière raconte dans L’été grec qu’un jour, pendant qu’il se promenait au mont Athos, un pope sur son âne, de manière maladroite, lui a fait des avances que Lacarrière déclinat de la manière la plus polie. Après avoir fait une cinquantaine de mètres sur son âne (distance de sécurité), le pope se retourna et cria très fort : sale papiste. Il en est ainsi des religions. Ce qui ne vous plait pas, ce qui vous contrarie, ce qui vous offusque est, sans aucun doute, le produit d’un infidèle, d’un alothrisque (vénérant une autre religion), d’un athée ou, pire, d’un adorateur du diable et du chaos. Même vos vices les plus intimes (dans le cas précité fort compréhensibles dans un « pays » qui ne supporte même pas les animaux de sexe féminin), ne sont jamais interrogés, les supposés de l’Autre jouant le rôle d’écran de fumée coupable.

Derrière un discours de tolérance policé par des siècles et l’affranchissement de la cité et des citoyens de la sentence biblique croie et ne cherche pas, les églises des uns et des autres, en mi mineur par obligation, en ré majeur quand elles le peuvent, continuent à prêcher le dogme pour les fidèles, les élus, les choisis ou les uniques et à imposer leurs propres règles, parfois en contradiction avec celles de la cité et les processus décisionnels qu’elles s’est choisie. Qui dit dogme n’est pas très loin de l’intolérance, et plus de deux millénaires sont là pour en faire l’inventaire (pour ne parler, ici, que des religions monothéistes). Il y a d’ailleurs une relation oxymore entre ces deux concepts (celui du dogme et celui de la tolérance), et, faute de pouvoir faire autrement, les religions - mais la Cité aussi - font semblant de l’occulter

Les déclarations du primat des Gaules, connu par ailleurs pour sa finesse et son sens de la réalité, indiquent bien que si l’Eglise accepte, elle n’en pense pas moins, et qu’un esprit réputé fin et sophistiqué peut aisément sombrer dans des arguments simplistes et triviaux, ceux sans doute de ses convictions intimes frustrées par la gestion de la réalité républicaine. D’ailleurs, les tonitruances jésuites (ou byzantinismes) qui ont fait sa réputation sont toujours un exercice qui vise à sauvegarder, justifier ou excuser les dérives dogmatiques de son Eglise.

Il en va de même avec les religieux juifs qui ont su en Israël devenir un pivot essentiel de toute coalition gouvernementale à laquelle ils imposent - et ce depuis toujours -, leurs positions rigoristes minoritaires. Depuis la fin d’un bipartisme de fait et l’éclatement de la représentation politique dans ce pays, leur poids et leur influence ne cessent d’augmenter, rendant toute ouverture au dialogue quasi impossible, et tirant le balancier politique israélien vers des positions de plus en plus intolérantes. 

En d’autres termes, si les Eglises sentent être en position de force, elles reviennent à des positions rigoristes et d’exclusion, si elles sont cadrées par un agiornamiento imposé par la Cité, elles jouent le jeu, en essayant cependant de boycotter ou de freiner toute position qui leur semble sacrilège. Il n’y a qu’à lire la critique de l’Observatore Romano, organe quasi officiel du Vatican sur le film de Ridley Scott, Prometheus qui conclut  : c'est une très mauvaise idée de défier les dieux, déconseillant aux fidèles d’aller voir un film qui gère mal les questions délicates invoquées par le combat éternel entre le Bien et le Mal.

Quand les Eglises et leurs représentants tiennent le pouvoir, souvent absolu comme dans le monde arabo-musulman ou en Asie du sud-est, alors, l’intolérance dogmatique devient la règle et la société civile est constamment « travaillée » dans ce sens. 

On a souvent parlé des totalitarismes du début du XXe siècle, mais on évite de parler de totalitarisme religieux, qui est pourtant une constante lourde de l’histoire de l’humanité, quelle que soit la religion en cause. Le brahmanisme et l’hindouisme par exemple, et même le bouddhisme, ont connu des longues ères d’intolérance, et le polythéisme gréco-romain pourtant installé au centre des lois et des règles de la Cité mais aussi du logos supportait mal (et punissait de manière radicale) l’offense. N’oublions pas non plus, pour reprendre Moses Finley, que très vite - depuis Alexandre pour être schématique -, le stoïcisme y devint hégémonique pendant que le pouvoir royal - voire absolu -, remplaçait rapidement la parenthèse démocratique. Et c’est ce stoïcisme qui permit l’avènement du christianisme, comme la langue grecque fut le support de son expansion.

Les Proto-chrétiens, Byzance puis l’Islam, avaient une fixation sur la représentation humaine du divin, mais aussi celle de l’homme émancipé. Pendant des siècles, ils détruisirent systématiquement les statues, ou les amputèrent de leur sexe, créant des représentations irréelles, auxquelles il manquait l’essentiel. Mais si les phallus étaient détruits, c’est le cerveau qui était visé : il en fallait de la patience et de l’abnégation laborieuse pour faire accepter que la nudité n’est pas naturelle, que voir est un délit et cacher une obligation morale.

Bien avant l’interdit de la représentation de Mahomet, à Constantinople, les byzantins s’étripèrent pendant plus de cent ans, sur la question de la représentation divine. Si les iconolâtres finirent par l’emporter et donc de continuer à produire des icônes, les iconoclastes réussirent en contrepartie à figer l’art byzantin dans des représentations stylistiques, tournant le dos à la liberté du trait et à l’imagination grecque dont Byzance se disait pourtant le légataire. Il faudra la chute de Constantinople (que son Archevêque considéra comme une réponse divine, inaugurant l’ère d’une collaboration exemplaire entre les hiérarchies  chrétienne et musulmane), et l’exil des iconographes vers Venise et les autres cités italiennes, pour que l’Art Byzantin participe à la Renaissance. 

En exposant à la vue de tous les fesses du créateur suprême à la chapelle Sixtine, Michel Ange marque sans doute la fin d’un interdit au nom de l’émancipation artistique, cependant vite étouffée par les guerres de religion et la surenchère rigoriste, par les autodafé et les bûchers de l’inquisition. Il permet cependant (avec bien d’autres, cela va de soi), l’émancipation de l’Art de sa matrice religieuse. En effet, depuis la Renaissance précoce, la représentation picturale multiplie les sujets, s’éloignant de plus en plus du carcan religieux par des thématiques nouvelles, elles-mêmes génératrices d’inventions successives de la manière de peindre, et qui influent à leur tout sur l’art sacré. Un long cheminement - certes parsemé d’embûches académiques - menant à l’art moderne puis à l’abstraction et à une liberté d’expression toujours en quête de nouvelles formes et de nouveaux concepts visant perspective, profondeur, épaisseur, matière, etc.

A observer, entre autres, la Sleeping Lady à Malte ou les statuettes cycladiques (entre autres œuvres d’art), on se rend compte que, comme le faisait remarquer André Malraux concernant l’art asiatique et africain, les processus précités sont ceux de la réinvention. L’homme primitif, puis de l’antiquité (qu’elle soit sumérienne, grecque, chinoise, cambodgienne ou égyptienne) maîtrisait parfaitement l’art de la symbolique et de l’abstraction et c’est justement le carcan des religions qui ont occulté ces connaissances, ce savoir et ce savoir-faire. Un des meilleurs exemples se déroule sur le temple d’Angkor : les bas reliefs les plus « parfaits » étant les plus anciens.

Ainsi, la question de la représentation est centrale pour toute civilisation et toute culture. Celle du prophète détermine l’évolution des sociétés arabo-musulmanes, et les interdits participent à la stagnation de toute expression, hélas, ne se limitant pas à celle des fesses Mahomet. Les fesses du Dieu catholique sont exhibées depuis 1483 dans une salle, la Chapelle Sixtine, où l’Eglise élit sont pape depuis plus d’un demi millénaire. C’est le temps qu’il a fallu pour que l’on arrive à l’abstraction, la photo, le cinéma, ou la caricature, utilisés comme éléments centraux d’une culture libérée des contraintes de la foi et de ses gardiens. Non sans heurts, non sans reculs ni résistances. Il serait bon de faire savoir aux offensés, que l’Histoire n’est pas un long fleuve tranquille, ni une mare à canards. Et que l’offense reste le levier de tout changement, de toute évolution. En assumant que si celle-ci n’est pas forcément positive, elle reste cependant nécessaire ne serait-ce que pour préserver l’essentiel des outils et valeurs de chaque civilisation, qui risque sinon de disparaître et prendre la forme du nautilus fossilisé. 


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7 réactions à cet article    


  • La mouche du coche La mouche du coche 1er octobre 2012 22:27

    Cet article incroyablement hostile à la religion catholique (entre autres) oublie juste un détail : sous les religions, les peuples ont créé de magnifiques images alors qu’aujourd’hui notre production artistique est nullissime. L’auteur devrait réfléchir à cela. Si nous sommes si « émancipés », pourquoi notre art est si mauvais ? Le contraire ne devrait-il pas se produire ? Si la réalité est contraire au raisonnement, c’est le raisonnement qui a tort. smiley


  • Taverne Taverne 2 octobre 2012 11:32

    A Amaury : certes les architectes du Moyen-Age ont sculpté des gargouilles licencieuses mais elles étaient très souvent placées à des dizaines de mètres de hauteur, hors de la vue des fidèles. Et je e ne suis pas certain que le pape était au courant...Il est vrai aussi que les ères de débauche (régence de Philippe d’Orléans, par exemple) alternent avec les époque de retour au puritanisme. Comme Mais l’auteur nous apprend que Michel Ange a représenté les fesses de dieu dans la chapelle sex...heu Sixtine, pardon, et que cela devrait faire réfléchir les intégristes du culte musulman. Enfin, s’ils sont capables de réfléchir...Ainsi que la réflexion proposée : les dogmes sont dangereux quand ils figent l’évolution et censure la liberté d’expression.


  • Francis, agnotologue JL 1er octobre 2012 18:42

    Bonjour Michel Koutouzis,

    pitié, on est sur Agoravox, pas France Culture !

    Sans rire, il me faudra relire à tête reposée ce texte passionnant, l’une des meilleure contribution au débat sur les caricatures de Mahomet. Merci.


    • ohgouste 1er octobre 2012 23:18

      « quelque soit la religion en cause »
      les écrits de rené Girard maintenant bien connu
      ne vont pas dans ce sens du relativisme historique...


      • alias-leto 31 mars 2015 11:33

        @ohgouste
        à l’académie française


      • robin 2 octobre 2012 11:08

        L’idolâtrie est condamnée de nombreuses fois sous toutes ces formes par Dieu, donc les hommes qui se prétendent représentants de Dieu qui la pratique sont des menteurs.

        Ensuite, Jésus a dit : Laissons les choses de César à César et de Dieu à Dieu, et également que l’homme ne pouvait pas avoir 2 maîtres : DIeu et l’argent, ou Dieu et la politique, ou plus généralement Dieu et le Monde, donc les religieux qui se mèlent de politique sont des escrocs. Dieu est assez grand pour se défendre tout seul et ceux qui commettent l’erreur soit de commettre des crimes en son nom pour le protéger ou à l’inverse ceux qui l’insultent sont de parfaits imbéciles qui insultent l’avenir, car qui me prouve au bout du compte que Dieu n’existe pas ?


        • alinea Alinea 7 octobre 2012 20:08

          C’est curieux car ce qu’était l’art à ces époques, comparé à ce que l’on nomme art aujourd’hui, n’était pas le délire ou l’audace d’un individu mais bien le lien entre le sacré et le séculier, entre le divin et l’homme. Que de la beauté donc et pas de blasphème !
          Aucune provocation déplacée dans ces oeuvres, juste une évolution, peut-être étonnante au premier abord pour les fidèles.
          Aujourd’hui, j’ai idée, et malgré ma grande inculture sur ce sujet, qu’il n’y a plus de talents, de pinceaux, de burins audacieux dans le respect, novateurs, sans brandir un ego, non seulement désireux de gloire, mais d’argent !
          L’artiste qui veut de mettre au devant de son oeuvre détruit la légitimité même de cette oeuvre.

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