Identité nationale : mon point de vue
J’y vais de ma plume quant à ma vision de l’identité nationale car justement concernée. Une façon de répondre à celle de M. Hortefeux. J’ai lu attentivement son point de vue, et je n’y ai trouvé aucune âme ou substance si ce n’est un poncif de généralités...
Qui suis-je aujourd’hui, née au cœur de la France profonde, Saint-Chamond, en mars 1954, pupille d’Etat, donc élevée par la France, d’ailleurs je me souviens encore des bonnes sœurs à cornettes blanches. A ma majorité, l’assistante sociale en charge de mon dossier s’est écriée, alors que je lui faisais part de mon désir de devenir journaliste : « mais vous ne pensez pas qu’on va vous payer des études jusqu’à la Saint-Glinglin ! ». J’étais très douée en classe, surtout en français, au grand désespoir de mes profs car j’avais toujours de bonnes notes alors que je ne travaillais pas et passais la plupart de mon temps à amuser la galerie.
Donc à 18 ans, l’Assistance publique me laisse partir à la conquête d’un monde dont je ne connaissais aucune règle et sans le sou, genre débrouille-toi ma fille... Avec toute l’insouciance de ma jeunesse, j’avoue je n’étais pas du tout préoccupée par ces problèmes d’identité, je crois bien que je n’ai jamais douté d’être Française, non mais quelle arrogance ! Je savais que mes parents étaient Algériens, mais comme ils ne m’avaient pas élevée, je ne me sentais ni redevable ni concernée...
Je n’avais pas de papiers, mais franchement c’était le dernier de mes soucis. Des années plus tard quand j’ai eu besoin d’un passeport, je me suis donc adressée à l’Administration française qui m’a gentiment répondu que je n’étais pas Française... L’assistante sociale en charge de mon dossier à la DASS avait omis de demander ma réintégration dans la nationalité française, car j’étais née avant la guerre d’Algérie et on m’a gentiment conseillé de m’adresser au consulat d’Algérie. Ce dernier, après maintes péripéties, s’est décidé à me donner le passeport d’un pays où encore aujourd’hui, je n’ai jamais mis les pieds.
Alors que M. Chirac était Premier ministre, je me suis décidée à faire des démarches pour redevenir Française, apparemment ça ne posait plus de problèmes puisqu’on m’a même donné un récépissé de carte d’identité française. Le commissaire de police m’ayant convoquée, j’étais ravie, je croyais qu’il allait enfin me donner mes papiers français. Pourtant je me souviens particulièrement de sa gêne lorsqu’il m’a demandé de lui rendre le récépissé... car les quotas d’immigration étaient dépassés, même lui ne comprenait pas, née en France avant la guerre d’Algérie, d’éducation française : l’Etat français m’ayant élevée !
On a même eu le culot de me dire que je n’aurais jamais dû accepter le passeport algérien alors que j’étais restée des années sans papiers.
Vexée comme un pou, j’ai décidé qu’il était hors de question qu’un bout de papier détermine qui j’étais. Comme Zidane dans son domaine j’allais devenir excellente en... français ! Si vous entendez une personne corriger les fautes de grammaire d’une personne qui utilise mal le français, il y a de très fortes chances que ce soit moi ! J’ai d’ailleurs transmis le même virus à ma fille. Encore aujourd’hui, je suis celle qui aide les élèves à corriger les fautes d’orthographe dans les dossiers présentés à l’oral du bac, le pire est qu’ils ont le bac en sachant à peine écrire une phrase correcte en français !
Car Française, assurément je le suis, jusqu’au fond des tripes sinon pourquoi ai-je le frisson chaque fois que la France gagne une compétition et que retentit la Marseillaise ? Pourquoi dès que je vois un vieux film des années 50/60, cela me ramène-t-il direct à Saint-Chamond, ma terre natale... Je revois encore M. Pinay, son maire, tout en noir avec son chapeau et sa canne visitant notre école Lamartine ? Je ferme les yeux et l’image du vieux paysan passant déposer le lait en carriole se matérialise. L’odeur du crottin que nous ramassions pour le jardin me bouleverse encore aujourd’hui ? Je m’interroge aussi, à savoir pourquoi j’aime tant entendre les cloches de l’église égrener les heures ! Sans parler des griottes que nous cueillions à même l’arbre, un délice !
Je me demande d’ailleurs si elles existent les griottes en Algérie...
Mais même si apparemment je ne suis pas typée, dès que j’ai affaire à l’administration française, je suis dans son regard toujours, toujours renvoyée à mes origines à cause de mon nom « exotique ». Par exemple, je vais certainement être expulsée de mon appartement car hélas ce dernier a été racheté par un spéculateur immobilier voulant devenir le plus riche du cimetière. J’y habite maintenant depuis plus de dix ans, j’ai toujours payé mon loyer souvent au détriment de mon budget alimentaire. Je me suis donc adressée aux services compétents pour avoir un logement social, car avec mon job précaire et le salaire en découlant je ne peux me présenter en agence, idem pour les propriétaires particuliers, là, mon nom est encore plus un obstacle car dans la région où j’habite très très peu d’électeurs de gauche...
Or la personne en charge des logements sociaux, comme par hasard me propose systématiquement un logement dans des « quartiers exotiques » où à chaque étage vous humez les effluves d’urine dans les escaliers, où évidemment sur vingt boîtes aux lettres vous avez dix-huit noms étrangers... ou alors à 30 /40 km de mon lieu de travail alors que je ne peux me permettre des frais de transport sur mon misérable salaire, sans parler des frais d’un café chaque jour lors de ma coupure de deux heures dans mon job commençant à 8 heures du matin !
Je n’ai jamais vécu dans ce genre d’endroit et j’ai essayé d’expliquer à cette personne qu’à Cannes même, j’avais des amies : Michèle, Annie... qui habitaient de très beaux logements sociaux ; en plus retraitées.
De plus je lui ai dit que je désirais être un symbole d’intégration réussie et que je militais pour la mixité sociale... J’ai refusé ses propositions ridicules de ghettoïsation et au lieu de chercher à comprendre, elle me signale qu’elle va faire un rapport qui ne me laisse aucune chance si ce n’est celle de me retrouver SDF ! Cette missive est comme une bouteille jetée à la mer...
Alors je m étonne, je ne voudrais pas avoir mauvais esprit mais j’ai bien l’impression qu’il y a deux poids, deux mesures. C’est assez violent d’être toujours renvoyée aux limites de son nom, je n’ai pas choisi ce dernier. En quoi suis-je responsable de mes origines ?
C’est humiliant et je me souviens avoir entendu mon père dire : « un Arabe, c’est un Arabe, tu le trempes dans le lait, il ressort Arabe ». Mais dans le regard des « bons Français » vous ne me laissez aucune chance à cause de mon nom.
D’ailleurs quand j’ai accouché de ma fille, je suis arrivée dans la chambre d’hôpital, je me suis retrouvée dans une chambre de six... Arabes ! Rien dans mon aspect ne signalait particulièrement mes origines si ce n’est mon nom, et de plus le père de ma fille était Autrichien. J’ai dû faire un scandale pour qu’on me mettre dans une autre chambre avec des Françaises, j’en faisais une question de principes.
Comme excuse on a essayé de me dire « oui mais vous les Arabes, vous aimez bien rester entre vous ». Désolée, je n’ai pas besoin qu’on décide pour moi de ce que j’aime ou n’aime pas ! Par contre je peux dire tout de suite que je déteste les ghettos... Je me souviens que j’ai dû me battre pour qu’on ne mette pas ma fille dans un lycée professionnel. Lorsque j’ai fait appel pour elle, j’ai expliqué à la Commission d’appel de ne pas mettre ma fille à la poubelle, mais de lui tendre la main car on ne se rendait pas compte qu’on allumait des bombes à retardement... C’était cinq-six ans avant les émeutes de banlieues... Deux ans après, elle avait son bac général avec mention et elle vient de recevoir son diplôme de journaliste, si je n’avais pas été éduquée, elle aurait fini caissière ou femme de ménage ou même aide-soignante...
On s’étonne que les graines de terrorisme s’épanouissent dans un terreau que le regard du « bon Français » n’a jamais cessé de fertiliser, ou de voir de plus en plus de jeunes filles voilées quand le seul avenir que vous proposez à cette catégorie de gens est une désespérance !
Quant à moi, j’ai longtemps pensé que j’étais née trop tôt par rapport à la guerre d’Algérie, mais rien n’a changé, on a beau nous mettre des Rachida, des Fadèla, des Rama, ce ne sont que des alibis, des effets d’annonce, une très bonne communication car dans la dure réalité du peuple lambda, votre nom reste une tare.
Une « Française » en colère en possession d’une carte de résidence d’un pays où elle n’a jamais mis les pieds. On pourrait en rire, j’ai envie de hurler... fatia de Cannes, future SDF...
PS : Ce matin, dans Nice matin/Cannes un article expliquait que la municipalité émue par le cas d’un homme (bon Français) mettait à sa disposition un logement social en plein centre de Cannes, avec un très bon voisinage !
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