Identité nationale : Un débat biaisé
« Qu’est-ce qu’une nation ? Qu’est-ce qu’être français ? Questions toujours intéressantes assurément mais est-ce le rôle d’un gouvernement, et d’un ministre »de l’identité nationale« (douteux), de lancer un tel débat pour ne pas parler des autres sujets qui fâchent ? Par sa politique menée depuis son arrivée à l’Elysée, Nicolas Sarkozy n’est peut-être pas le mieux placé pour nous donner des leçons »d’identité nationale".
Quoi de mieux qu’un bon débat sur l’identité nationale pour oublier le temps d’une ou deux émissions le chômage, les restructurations, la souffrance au travail, les déficits, l’exclusion etc. Après tout, le sujet est intéressant en soi : « qu’est-ce qu’être français ? ». Question éternelle qui renvoie à la définition que l’on se fait d’une nation. En France, on a quelques idées sur la question et nous n’avons pas attendu Eric Besson pour se prononcer. On peut en revanche relire Ernest Renan et son célèbre discours « Qu’est-ce qu’une nation ? » prononcé en 1882. Définition qui fait de la nation, et à fortiori de la France, une construction politique supposant l’adhésion volontaire de ses citoyens, une communauté de destin à l’opposé du volkich allemand théorisé par Herder ou Fichte, droit du sol contre droit du sang :
« Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence d’une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie », puis plus loin, « L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. »
L’Histoire a plutôt validé la vision d’un Renan. On sait maintenant les dangers terribles d’une construction nationale basée sur l’appartenance du sang, voire de la race. On sait en tout cas jusqu’où cela peut-il mener. La France peut donc réaffirmer sans complexe sa vision d’une nation ouverte qui ne compte pas sur une hypothétique race mais sur l’adhésion volontaire de ses citoyens pour exister dans le monde. Etre français suppose bien entendu d’accepter les principes fondateurs de la République, sa devise, la laïcité, son hymne, son drapeau, et puis, bien au-delà, son histoire avec ses ombres et ses lumières, sa géographie et plus encore sa langue, la langue française, ce trésor qu’il convient de défendre à l’heure de l’anglais « globish » triomphant, bien loin de la langue de Shakespeare, idiome véhiculaire utile mais exagérément envahissant. Il suffit d’entendre parler des publicitaires ou des marketeux (français je précise) parler entre eux pour comprendre les ravages de ce phénomène.
L’identité nationale doit être transmise en premier lieu par l’Ecole et ne peut être l’objet d’un débat décrété de façon autoritaire par le gouvernement et par un ministre… de l’identité nationale. Je ne suis pas un adepte du politiquement correct à outrance mais force est de constater qu’il est désolant et absurde d’avoir inventé un tel ministère, avec cet intitulé très douteux, et d’en avoir confié les clés à une personnalité aussi contestable qu’Eric Besson. A quoi bon ce débat ? Pour faire quoi au bout du compte ? Est-il besoin de s’interroger pendant six mois sur l’identité française pour accoucher d’une loi sur l’interdiction du port de la burqa ? Loi qui est par ailleurs souhaitable…
Personnellement, je n’ai pas de problème avec l’identité de la France. Ni nationaliste hystérique voyant dans chaque mutation planétaire ou dans chaque malheureux qui vient demander l’asile une « menace » pour notre pays, ni nomade béat revendiquant une citoyenneté du monde abstraite qui n’est qu’un cache-sexe pour élites fortunées ou pour gauchistes cultivant la haine de soi. Je ne me sens proche ni de cette aristocratie mondialisée qui ne se reconnaît aucune obligation (financière notamment) et aucun lien charnel avec ce pays, ni de ces esprits fermés qui passent leur vie à se méfier de l’étranger, à rejeter l’autre, la différence. Le discours du Front National, bien que rendu plus présentable par la fille du chef, reste à ce titre proprement insupportable. Mais ce n’est pas une raison pour leur abandonner la bannière tricolore comme cela fut fait à partir du milieu des années 1980.
Quand j’entends également Christine Boutin demander une modification des paroles de La Marseillaise, les bras m’en tombent. L’hymne de la France appartient à notre histoire, celle de la Révolution française, quand la jeune République était menacée à ses frontières par les monarchies coalisées de toute l’Europe. Qui parle de racisme et de rejet de l’autre dans les paroles de Rouget de l’Isle ? Le « sang impur » n’a pas de signification raciale mais renvoie au combat prométhéen contre l’absolutisme… Ne sombrons pas dans le masochisme et la repentance permanente (mais Christine Boutin a peut-être un problème personnel à régler avec la Révolution française) quand on regarde notre Histoire à l’aune de nos critères contemporains.
La France a encore beaucoup de choses à dire au monde, une spécificité à cultiver de par son histoire et sa géographie. Qu’avons-nous à gagner à jouer les vassaux serviles des maîtres de l’époque ? Nous devons défendre notre langue, notre patrimoine, notre culture, une certaine idée de l’insoumission aux empires. Les discours de Mitterrand à Cancun en octobre 1981 ou de Villepin à l’Onu en février 2003 sont à mon avis de beaux exemples de ce qu’il faut faire sur la scène du monde quand on parle au nom de la France, que l’on soit de gauche ou de droite. C’est d’ailleurs à l’opposé du style d’un Sarkozy qui à peine élu à l’Elysée s’était empressé d’aller faire allégeance au pire président de l’histoire des Etats-Unis, George W. Bush. Par son attitude et ses discours, Sarkozy a humilié la France, une fois élu, en donnant l’impression de rentrer dans le rang, comme si son prédécesseur avait fait fausse route, s’était trompé. Il a prononcé en novembre 2007 un discours consternant d’américanolâtrie devant le Congrès américain, sans évoquer le moindre petit sujet de discorde alors même que Bush était en perte de vitesse dans l’opinion américaine qui commençait à mesurer elle-même la faillite du néo-conservatisme. A plusieurs reprises, Sarkozy a également montré son peu d’attachement aux valeurs républicaines qui forgent l’identité de notre pays (cf. discours hallucinant du Latran de décembre 2007 où le rôle de l’instituteur a été rabaissé en dessous de celui du curé !). Alors qu’il se fasse maintenant le chantre de l’identité nationale, on se pince…
Je crains malheureusement qu’un tel débat lancé par « le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire » ne soit qu’une nouvelle occasion pour s’invectiver entre ceux qui au sein d’une certaine gauche crient au « pétainisme » ou au « fascisme » à chaque fois que le mot « nation » est prononcé (ce qui est un piège facile tendu par la droite pour creuser l’écart dans les urnes. Il est vrai que les réactions pavloviennes imbéciles de certains leaders de la gauche bon chic bon genre sont la meilleure assurance de la réélection de Sarkozy en 2012) et ceux qui à droite vont nous seriner une prose cocardière, flirtant avec le nationalisme le plus étriqué, en attendant les élections régionales de mars. Ce n’est pas parce qu’on a le droit de contrôler nos frontières qu’il faut se résigner à voir ces malheureux réfugiés afghans traités sur notre sol comme des délinquants. Nous avons qui plus est notre part de responsabilité dans la situation actuelle de l’Afghanistan. La grandeur ne peut aller sans la générosité, surtout quand il s’agit de la France. Résultat, je crains le pire. Ce débat n’aura qu’un vainqueur : les petites phrases et les invectives de part et d’autre. Pas sûr que le sentiment national en sorte raffermi…
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