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Accueil du site > Tribune Libre > Il est impossible de se comprendre !

Il est impossible de se comprendre !

Comment passe-t-on de l’observation à la compréhension et à la décision ?

Le premier langage est celui de notre langue et de ses mots. Mais ce n’est pas le seul qui peuple notre cerveau : les mathématiques ou le jeu d’échecs sont aussi des langages. Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions ; là où le débutant ne voit que des pièces juxtaposées sur un échiquier, le joueur averti voit des configurations avec lesquels il va construire des stratégies.

Ainsi, avec nos langages, nous lisons la situation présente et l’enrichissons de notre expérience tirée de notre passé. De tout ceci, naissent nos interprétations, mélanges du passé recomposé, du présent perçu et du futur imaginé, toutes intimement liées à chaque individu car elles reposent d’abord sur l’histoire personnelle (tant dans sa partie réellement vécue que dans tout l’imaginaire associé), sur les déformations de la mémoire et sur l’analyse de la situation présente, sans parler de la perception que chacun peut avoir du futur. On n’est donc pas près de pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles !

Qu’en est-il de la communication entre individus ? Pour faire court, communiquer est un objectif impossible ! Vous êtes surpris par ma formulation, vous pensez que j’exagère… Je ne crois vraiment pas. Quand vous voulez exprimer quelque chose, quoi que ce soit, vous employez des mots qui correspondent, pour vous, au sens que vous voulez donner. Pour cela, vous vous référez à votre mémoire et à la compréhension que vous avez de ce que vous voulez dire. Celui qui reçoit votre message, l’interprète, lui, à partir de son histoire, son expérience et l’ensemble de ses ressorts émotionnels propres. Les deux sont, sauf en cas d’histoire commune longue et dense, structurellement différents. Comment arrivons-nous alors à communiquer ? Par l’existence d’usages et de règles collectives qui ont construit progressivement des sens communs. Par des ajustements progressifs et aussi beaucoup grâce à la communication non verbale : celle-ci ne passe plus par les mots, mais sollicite essentiellement les neurones miroirs qui nous permettent de « lire l’autre »

Comment passe-t-on ensuite à la décision ? Supposons d’abord que nous sommes face au cas le plus simple : je suis seul à décider. Dans ce cas limite et un peu théorique, nous savons donc répondre à la question « qui décide ? ». La réponse est moi. Certes, mais comme nous l’avons vu précédemment, ma décision va reposer sur une interprétation, interprétation fonction de ma mémoire, de mon histoire et de ma perception de la situation. Comme je ne peux pas penser en dehors de mes propres langages, je ne peux pas être conscient des présupposés qu’ils induisent. En ce sens, je ne peux donc pas vraiment comprendre comment je décide.

De plus, comme ma mémoire et mon histoire se recomposent sans cesse, mon identité change continûment et de façon imprévisible : je ne peux pas savoir qui je serai vraiment demain, du moins pas assez précisément pour en déduire ce que je déciderai. Ainsi ce « moi » qui décide est-il constamment en évolution : je ne sais plus vraiment qui j’étais car ma mémoire fluctue, je ne sais pas vraiment qui je serai car cela dépendra ce qui va m’arriver.

Pour compléter cet article, vous pouvez aller lire mes articles :

- sur la mémoire,

- sur le langage,

- sur la décision


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7 réactions à cet article    



    • franco-chinois 12 juin 2010 14:28

      "Ainsi ce « moi » qui décide est-il constamment en évolution : je ne sais plus vraiment qui j’étais car ma mémoire fluctue, je ne sais pas vraiment qui je serai car cela dépendra ce qui va m’arriver.« 

      Sauf, si ce »moi" comprenne que son existence, est intimement et inséparablement, lié aux autres.


      • Robert Branche Robert Branche 12 juin 2010 19:29

        Faire cela ne revient qu’à déplacer la question : que devient alors l’identité de ce tout lié aux autres. Il est lui-même fluctuant et incertain...


      • franco-chinois 12 juin 2010 22:45

        Certes.

        Y-a-il le besoin, d’une identité clairement définie pour quelque chose en constante évolution ?

        Ou alors qu’est ce une identité, si l’on ne se réfère pas à Saint Paul ?

        Connaissance du monde et du soi, ou co-naissance avec les autres, avec le monde ?


      • marie81 12 juin 2010 15:28

        le premier pas c’est de se rendre compte de nos conditionnements,ils auront moins de prise
        paradoxalement,mettre de côté tout notre« savoir » aide à comprendre
        une certaine ouverture,ouverture d’esprit qui permet d’apréhender ce qui se présente d’une façon globale
        comprendre intelectuelement ,par fragments et selon ce qu’on a accumulé est remplacé par « voir »,un peu comme dans la poésie,ou devant un tableau
        je suis persuadé qu’il y a une intelligeance de la Vie et certaines personnes ont la faculté de s’en approcher
        c’est peut etre là la clé ,la possibilité de trouver le terain d’entente,une vraie communication,au delà des nos petits moi déformés par des conditionnements divers


        • Lucien Denfer Lucien Denfer 12 juin 2010 23:45
          Bien qu’étant tout à fait d’accord avec votre raisonnement quand à la difficulté de se comprendre, j’ai l’impression que la démonstration que vous faites pour la prise de décision n’a de sens que si on distingue deux grands domaines d’application bien distincts. 

          Dans le domaine des choses concrètes c’est une évidence que sans la mémoire et les langages communs, malgré la relativité des interprétations personnelles, aucune communication n’est possible. La pensée qui puise l’expérience dans la mémoire et la transmet par les langages permet, malgré les difficultés, une communication véritable et efficiente. Si une entreprise du batiment reçoit d’un commanditaire un plan de construction pour une maison individuelle, puisque le langage utilisé est codifié et compris à l’identique par les parties, il n’y a rien qui puisse entraver ce genre de communication. C’est la base de la civilisation, l’adoption de langages spécialisés pour des tâches définies. 

          Dans le domaine psychologique les choses sont quelque peu différentes. Il est autrement plus complexe d’apréhender les briques de base de la psychée humaine que celles servant à la construction de nos ouvriers du batiment. Il faut parfois en passer par une observation silencieuse et attentive pour comprendre une situation impliquant des sentiments humains. Dans ce domaine de l’esprit, que nous considérons à tord comme le domaine du tangible, la mémoire ne nous est plus d’aucun secours et les langages ne font que parasiter une communication introspective qui peut se faire directement. 

          L’erreur universelle de vouloir employer les mêmes outils pour résoudre des problèmes de nature fondamentalement différente, ne se perpétue que parce que nous ne parvenons pas à dépasser le couple mémoire-pensée. Quand une problématique comporte une part psychologique conséquente la prise de décision ne peut reposer uniquement sur un savoir-faire basé sur la mémoire, qui par définition ne fait qu’enregistrer avec une précision variable des informations relatives au passé. 

          Comment appréhender un fait nouveau, actuel avec pour seule aide un enregistrement du passé ? 

          • Micromegas Micromegas 21 juin 2010 22:46

            Pour arriver à se comprendre, après¨s abstraction faite de ce qui nous constitue, avec toutes ces racines propre à chacun, différentes en chacun, un remaniement intégral chez chaque individus est à faire au niveau de langue : bien que ce soit impossible à intégrer dans n’importe quelle civilisation. Faire apprendre à tout un chacun l’origine des mots, leurs racines propre, l’origine d’une déviation, ainsi que l’étude comparative des langues comme celle faite par Franz Bopp, qu’on a tendance à trop souvent l’oublier. 

            Cette partie, ou poignet de personne qu’on aura éduqué sur ces bases là , pourront à mon avis, communiquer sans ambigüité, du moins avec beaucoup plus de facilité, car quand un mot est prononcé, la représentation de l’émetteur se transmettra dénuée de tout superflu, pour arriver au récepteur sous une forme acoustique qui se représentera elle-même, identique à celle de celui qui parle, car disciple d’une même éducation ils sont fait.

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