Il faut être absolument juste
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH150/Abdelkader-Merah-interroge-sur-les-tueries-de-son-frere-3fd8e.jpg)
On aura reconnu ici le détournement de l'aphorisme que Rimbaud glisse dans sa Saison enfer ("Adieu") : "il faut être absolument moderne". On décelera aussi derrière ce titre l'impératif catégorique kantien constitué du "il faut" qui est ici synonyme de "je dois". Le "absolument" venant donner au précepte sa valeur absolue. L'impératif catégorique est une règle à laquelle on ne doit déroger en aucun cas et d'aucune façon.
Le procès d'Abdelkader Merah et de Fettah Malki s'est terminé par des peines de réclusion criminelle. Les juges ont dit le Droit mais ils l'on dit de la manière la plus juste possible. Or, dire le Droit est une chose possible alors que dire le juste relève le plus souvent de l'impossible, de l'inaccessible Etoile de l'Absolu. Cela est d'autant plus vrai que le sentiment du juste est à géométries variables selon les subjectivités et les vécus de chacun.
« Etre juste n’est jamais être faible » (Macron 18 octobre 2017)
On a pu craindre l'acquittement de Merah mais les juges n'ont pas fait preuve de faiblesse. Ils se sont montrés justes. La sévérité est un des éléments constitutifs du Juste qui est une forme d'Absolu. Pas d'excès de vengeance, pas de faiblesse non plus.
Quant à la conception présidentielle du juste, elle n'est pas la même. Pour le président de la République, est juste ce qui est efficace. Or, que signifie "efficace" ? C'est là une qualité qui peut s'appliquer à presque tout : on peut faire preuve d'égoïsme efficace, de méchanceté efficace, etc. En revanche, "être juste n'est jamais être faible" est une évidence. La justice sociale est la mise en action de la force non corrompue par la faiblesse ni les passions tristes, et guidée par la seule vérité et l’idée absolue du Juste. Le pire mal, c’est la faiblesse disait Nietzsche. Cela s'est vérifié après lui...Il ne faut pas céder à la faiblesse devant la facilité, les intérêts égoïstes de quelques-uns, ni les excès de pressions minoritaires.
La justice cède parfois à la nécessité supérieure de la paix sociale (prescription des crimes, amnisties). Parce que si l’exigence de la justice est un absolu, un résultat absolument satisfaisant est rarement possible. La justice pratique a ainsi ses limites.
Dans le procès des deux accusés, la justice a été conciliée avec la paix sociale. En effet, la cour est parvenue à rendre un verdict qui ne provoque pas d'indignation insoutenable dans la société. Elle a rendu un verdict normal, c'est-à-dire satisfaisant du point de vue du droit et insatisfaisant au regard de l'apiration insatiable de justice au sens d'impératif supérieur et d'idéal. L'idéal en justice est inaccessible, voilà ce que vient nous rappeler ce procés.
Etre juste, c'est être utile
Ce n'est donc pas tant l'efficacité qui est à mettre en avant pour dire que quelque chose est juste ou injuste, c'est surtout l'utilité de la chose. Il est trop tôt, dit-on, pour tirer les leçons de ce procès et pour dire en quoi il sera utile à l'élaboration de la jurisprudence à venir quand il s'agira de juger les actes terroristes perpétrés après celui de Mohamed Merah. On peut néanmoins gager que ce verdict, ainsi que tout ce qui aura été dit lors du procès, sera très instructif pour la suite. Utile et donc juste. Utile pour les apprentis terroristes ? Pour certains peut-être car il a été dit à maintes reprises que, si Merah avait été soumis à la loi pénale actuelle, il aurait écopé de 30 ans au lieu des 20 ans qui lui ont été infligés.
Mais dire que le verdict est juste, cela est impossible.
A l'avenir une injustice viendra poindre immanquablement : celle de voir des terroristes ignobles, de véritables bêtes sans scrupules, se moquer de la société dans leur cellule, sinon de luxe, du moins très bien aménagée. On pourra les voir parader et sourire comme cet Ousbeck américain sans pouvoir lui administrer la peine capitale. Et, comme il s'agira de jeunes gens, la société aura à payer une prison de luxe pour terroristes qui feront 70 ou 80 ans de prison. Encore que ce n'est pas vrai puisque, pire encore, ils ressortiront au bout de 25 ans au maximum. Est-ce juste de payer aussi cher pour des vermines ?
Donc, comme on le voit la justice est une chose mais le Juste, impératif catégorique, exigence supérieure et absolue, c'est bien autre chose.
Emmanuel Kant, dans sa Doctrine du droit (qui débute la Métaphysique des mœurs) défend la peine de mort, au motif que le châtiment doit être égal au crime. Un argument simple, difficile à contrer : « Si le criminel a commis un meurtre, il faut qu'il meure. Il n'y a pas ici de commutation de peine qui puisse satisfaire la justice ; il n'y a rien de comparable entre une vie, si pénible qu'elle soit, et la mort, et par conséquent il n'y a d'autre moyen d'appliquer au crime la loi du talion que d'infliger juridiquement la mort au criminel » (...)
La loi du talion, apparue dans le code Hammourabi en 1730 avant JC, ne justifie pas alors la vengeance mais vise à codifier les représailles autorisées : pas plus d’un œil pour un œil, pas plus d’une dent pour une dent.
Kant dit aussi : « Je dis plus : si la société civile se dissolvait du consentement de tous ses membres (si, par exemple, un peuple, habitant une île, se décidait à se séparer et à se disperser dans un autre monde), le dernier meurtrier qui se trouverait en prison devrait d'abord être exécuté ». « Le spectacle affreux, mais momentané, de la mort d’un scélérat est pour le crime un frein moins puissant que le long et continuel exemple d’un homme privé de sa liberté, devenu en quelque sorte une bête de somme » (« Des délits et des peines », 1764).
À l’angélisme de Platon proclamant que « nul n’est méchant volontairement », Kant répond que le fautif commet délibérément le mal. Le mal est « radical », car il corrompt à la racine le principe des maximes morales. Il est imputable au coupable, qui pense égoïstement pouvoir se soustraire à l’universalité de la loi.
Kant aurait ainsi réclamé la peine de mort, tout comme Donald Trump le fait à juste titre pour le terroriste de New York, un état où la peine de mort a été abolie il y a quelques années. Le président américain, bien qu'empiétant quelque peu sur le pouvoir judiciaire dans un pays où la séparation des pouvoirs est un principe constitutionnel, veut s'assurer par là que les juges de New York trouveront un moyen de trouver un chef d'accusation de nature fédérale permettant d'appliquer la peine de mort à cet odieux individu
Ces propos seront interprétés diversement et c'est normal puisque, nous l'avons dit au début, le Juste n'est pas un idéal réalisable, il varie selon les individus.
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