3. Il n’y a pas de violence gratuite : Donjons ou dragons ?
Au Japon, pour ne pas créer de la concurrence déloyale, on cumule les revendications que l’on exprime, en forme de grève, le même jour de l’année et de manière rituelle. Le samedi soir, patrons et cadres se saoulent la gueule ensemble, ce qui permet aux seconds de traiter de tous les noms le premier, chose « oubliée » lundi matin. Dans les boites de nuit, un énorme miroir permet à tous de contrôler ses gestes et de danser « comme tout le monde ». Je me rappelle, lors d’un de mes voyages officiels, qu’à l’entretient du ministre avec le chef de l’opposition, était présent un responsable du gouvernement, qui, tranquillement, prenait des notes. « C’est la règle » nous a-t-on indiqué face à l’attitude offusquée de notre ministre.
Cette promiscuité quasiment endogamique de tous avec tous, ce mimétisme social, ces codes non écrits qui régissent même la pègre et le crime organisé, sont pour un « occidental » synonyme de l’enfer de Dante, et c’est exactement ainsi que perçus le monde japonais. Il faut lire les écrits de l’intellectuel féodal Mishima pour comprendre pourquoi Australiens, Britanniques, Américains et Chinois qui ont subi (à des degrés divers) les horreurs de l’armée impériale, n’arrivent toujours pas, un demi siècle plus tard, à extorquer des regrets (et encore moins de condamnations) de la part des autorités japonaises : condamner les actes d’un sergent sadique au Philippines c’est condamner l’empereur.
Comme le souligne très justement Hannah Arendt, « le premier théoricien de l’intimité fut Jean Jacques Rousseau ». Mais, contrairement à ce qui est communément admis, « ce dernier ne se révoltât pas contre l’oppression de l’Etat mais plutôt contre l’intrusion de la société dans un for intérieur » de chacun. Ayant agit au sein de cette société (et très peu cultivé son jardin), Jean-Jacques Rousseau considère par ailleurs « que l’intimité comme le social ne sont que des modes subjectifs de l’existence ». Dans son cas, « tout se passe comme si Jean-Jacques se révoltait contre un homme appelé Rousseau » (Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne).
Ainsi, et sans vouloir être binaire, se pose la question : le donjon, place fortifiée et organisée où chacun est à sa place sous une autorité incontestable et des codes implacables, comme ceux prévus par Platon supprimant totalement le domaine privé, ou les dragons solitaires et crachant le feu d’une désolation venue d’ailleurs, incomprise et provocatrice comme les paroles du Cyrénaïque Aristippe de Cyrène qui voudrait tout ramener au plaisir ?
Une fois encore revenons au sujet, qui n’est pas la violence, mais une partie de celle-ci, celle qui reste inexplicable, incomprise et que l’on nomme, faute de mieux, de « gratuite ». En soulevant une autre question : cette violence inexpliquée pour les uns l’est-elle pour les autres ? A mon sens, il y a autant de violence paroxystique faite à l’homme durant une cérémonie d’ikebana, tant le rituel impose à ce dernier de s’abstraire de son objectif (créer un bouquet de fleurs), que d’envoyer, sans raison apparente, un cocktail Molotov sur la voiture de son voisin, aussi démuni que soi. (A suivre)
8 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON