Ils nous croient trop stupides pour décrypter leur boniment
Le 17 décembre 2018, le président du groupe LREM à l'Assemblée nationale, Gilles Le Gendre, explique : « Et une 2ème erreur a été faite : le fait d'avoir probablement été trop intelligent, trop subtil, trop technique… »
Donc nous sommes trop bêtes. Comme ils nous croient trop bêtes, ils pensent pouvoir nous gruger.
À l’Assemblée nationale, au Sénat, combien trouve-t-on d’agriculteurs, d’éleveurs, de vendeurs, d’aides-soignants, d’ouvriers, de petits artisans, d’employés municipaux, de titulaires d’un CAP ou d’un BEP ? Et on appelle ça une démocratie représentative. Les élus du peuple. Quel peuple ? Les agriculteurs, éleveurs, etc., ne font-ils pas partie du peuple ? Lesquels d’entre eux les représentent au parlement ?
Ceux qui nous dirigent aujourd’hui, les médias qui les soutiennent, les « experts » qui les conseillent, penseraient-ils que nous sommes incapables de comprendre le langage volontairement obscur et les exemples rudimentaires, biaisés, qu’ils répandent pour nous anesthésier ? Exemple : « le budget de l’État c’est comme celui d’un ménage » !
Ce même discours qu’ils utilisent pour nous raconter le scénario cauchemardesque de la dette dévastatrice qui hypothèque gravement notre avenir.
La dette, c’est quoi ?
Ça veut dire quoi la rembourser ?
De Hollande, Valls, en passant par Bayrou, Macron, jusqu’à Bertrand, Pécresse Wauquiez, et encore Roux de Bézieux du MEDEF, les pseudo-économistes médiatiques complaisants Dominique Seux, Emmanuel Le Chypre, François Lenglet, et les pas économistes du tout comme François De Closets, sont tous d’accord : aïe, aïe, aïe, la dette, il y a trop de dépenses publiques et trop de prélèvements obligatoires pour pouvoir la réduire.
La dette.
D’abord il y a le déficit budgétaire.
D’un côté, l’état perçoit des recettes principalement d’origine fiscale. De l’autre, il finance les dépenses publiques. Quand les recettes sont supérieures aux dépenses cela donne un excédent budgétaire. Dans le cas contraire, un déficit.
Cela fait des années que les gouvernements accumulent des déficits budgétaires qui constituent à la longue la dette publique : aujourd’hui, 120 % du PIB.
Petite remarque : cette dette a doublé depuis 2007.
Petite remarque : le PIB, produit intérieur brut, est un indice contesté. Son inventeur (1934), Simon Kuznets statisticien américain, avait prévenu qu’il ne devait pas servir de « boussole de l’économie ».[1]
Mais ne chipotons pas.
Ils disent : « On n’a pas le choix, à contrecœur, il faut baisser les dépenses publiques ».
Les baisses des dépenses publiques c’est quoi :
- la réforme de l’assurance chômage qui aurait permis « d’économiser près de 3,7 milliards en 2021 et 2022 » sur le dos des chômeurs et qui sera appliquée bientôt ; (Le Figaro, 1er mars 2021)
- la réforme des retraites qui aurait permis d’économiser « 5 milliards d’euros sur les dépenses publiques à l’horizon 2022 » selon l’avis donné en 2018 par la Commission européenne ;
- les prestations santé, baisses des remboursements sécurité sociale compensées par l’augmentation des cotisations payées aux mutuelles ;
- et d’autres broutilles, baisse des APL, baisse des dotations aux régions, départements, communes, baisse du nombre de fonctionnaires.
Petite remarque : je croyais qu’une réforme apportait une amélioration. Mais maintenant ils font des réformes « courageuses ». Apparemment ça change tout : mieux, c’est quand c’est moins, mais courageux.
On ne peut plus augmenter les impôts.
En France les prélèvements obligatoires représentent plus de 50 % du PIB, bien plus que partout ailleurs.
50 %, c’est vrai. Mais le dire ainsi, c’est volontairement trompeur car incomplet.
En France les prélèvements obligatoires, impôts, taxes, cotisations financent l’école publique et presque gratuite, les retraites, la sécurité sociale, l’assurance chômage, les prestations familiales et de logement, etc. Et le soutien sans conditions aux grosses entreprises et industries, les cadeaux aux plus fortunés. Nous en reparlerons plus loin.
Presque partout ailleurs dans le monde ce sont les ménages qui assument ces charges à la place de l’État, partiellement ou totalement.
Le système des retraites par capitalisation, souvent gérés par des fonds de pensions privés, en complément parfois d’un système public souvent indigent, est présent en Suède, en Allemagne, au Royaume Uni, en Hollande, en Suisse et ailleurs encore. De même pour le système de santé, l’éducation…
Toutes ces dépenses assumées par les habitants ne sont pas comprises dans les dépenses publiques de ces pays. Ce sont des dépenses privées. Voilà ce qui explique en grande partie la différence avec la France.
50 %, oui, mais tout compris en France.
On nous dit alors que les systèmes privés sont plus efficaces, plus rentables et moins couteux.
C’est faux.
L’exemple des État Unis.
( Stephanie Kelton, Le mythe du déficit, mars 2021)
(Pour la santé) « Nous dépensons en réalité beaucoup plus que tout autre pays développé : 10 586 dollars par habitant selon les chiffres de l’OCDE. C’est le double des dépenses du Canada, 4 974 dollars, par exemple.
(…)
Environ 28,5 millions d’Américains n’ont toujours pas d’assurance maladie…
(…)
Et lorsqu’on ajoute ces sous-assurés à ceux qui n’ont pas du tout d’assurance, le nombre total d’Américains qui ne disposent pas de la couverture santé atteint 87 millions de personnes en 2019.
(…)
Selon le bureau du recensement, les dépenses de santé ont précipité 8 millions de personnes dans la pauvreté en 2018. Des recherches indiquent que pendant la seule année 2019, 137 millions d’Américains ont été confrontés à des choix difficiles en raison de la dette médicale.
(…)
Les Américains en âge de travailler sont un peu plus de 200 millions, et plus de 100 millions ne possèdent aucune forme d’investissement retraite…
(…)
Les travailleurs à faible revenu sont évidemment moins bien lotis : 51 % n’ont aucune épargne pour leur retraite.
(…)
Globalement, 77 % des Américains n’ont pas une épargne retraite suffisante pour leur âge et leur niveau de revenu.
(…)
Le coût d’une éducation universitaire est de plus en plus inabordable, 45 millions d’Américains ont sur les bras plus de 1 600 milliards de dollars de dettes d’études.
(…)
La hausse des frais de scolarité a conduit à une crise nationale de la dette des études ; l’emprunteur moyen de la classe 2017 devait 28 650 dollars. Pour les Américains qui suivent les cours des collèges et universités à but non lucratif, le montant moyen de l’endettement est de 32 200 dollars ; pour ceux qui étudient dans les établissements à but lucratif, la moyenne se situe à 39 950 dollars. »
Ne vous y trompez pas, c’est vers cela qu’Emmanuel Macron tend à nous rapprocher sur les recommandations pressantes de la commission européenne.
On nous dit les riches sont déjà trop imposés.
Trop, c’est faux.
En proportion des revenus, ce sont les pauvres qui souffrent le plus.
Par exemple.
Pour un revenu mensuel net de 1 800 euros. Supposons que le total des TVA payés sur les achats du mois représente 10 % du salaire. Ça laisse 1 620 euros disponibles pour couvrir tous les besoins.
Dans la même proportion, combien ça laisse à un riche avec 10 000 euros de revenu : 9 000 euros !!!
Pourtant le premier, écrasé par cette charge, n’aura payé que 180 euros de TVA et l’autre 1 000 euros. Or, pour payer 1 000 euros de TVA par mois, il faut se gaver. Ou alors ne pouvant pas tout dépenser, enrichir son épargne.
Justement, la fortune des riches se compose surtout d’actifs mobiliers, d’épargne, imposés à 12,8 % sur le revenu et à 17,2 % de prélèvements sociaux, soit un taux unique de 30 % qui fait rêver une grande partie de la classe moyenne surnommée classe des pigeons consentants quand ils votent Emmanuel Macron.
Alors, les riches payent-ils vraiment trop d’impôts ? En tout cas, eux ils le peuvent sans se ruiner et il y a encore de la marge.
Petite remarque : Emmanuel Macron a fait payer la baisse des cotisations sociales des salariés par une hausse de la CSG des retraités.
Il faut baisser les dépenses publiques, « il n’y a pas d’argent magique », « l’état vit au-dessus de ses moyens ».
Pourtant il a été encore possible de faire toujours plus de cadeaux aux riches et aux grandes entreprises. Aux petites aussi mais en moindre proportion.
« Emmanuel Macron et son gouvernement offrent une réduction d'impôts de 22 à 24 milliards d'euros pour les entreprises et les ménages les plus riches (exonération des actifs financiers sur l'ISF : 3,5 milliards + impôts sur les revenus financiers réduits à 30 % : 1,5 milliard + suppression de la taxe sur les dividendes : 2 milliards + baisse de l'impôt sur les sociétés 28 % à 25 % : 15 à 17 milliards). » (Thomas Porcher, docteur en économie, professeur associé à la Paris School of Business)
Aggravant d’autant la dette ! Que tous les autres devraient payer avec eux. Mais ceux-là, sans avoir droit à un petit cadeau.
« Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, CICE (…) en 2019, le coût cumulé est de plus de 100 milliards d'euros. (…) Transformé le 1er janvier 2019 en allégements de charges, la bascule va coûter entre 20 et 25 milliards d'euros supplémentaires aux comptes publics (…) Additionnés, le CICE et les baisses de charges représentent près de 40 milliards d'euros en 2019 ... » (Observatoire français des conjonctures économiques, OFCE)
Tout ça sans que la situation de l’emploi, alibi de ces cadeaux, ne s’améliore.
C’est bien de soutenir les patrons et les actionnaires, mais pas sans contreparties sur le chômage, pas sans engagements sur l’augmentation du pouvoir d’achat, de non délocalisations, de non licenciements ou fermetures d’entreprise boursiers.
Le crédit d'impôt recherche (CIR), le crédit d'impôt en faveur de l'innovation (CII) pour financer le développement durable et la recherche dans les entreprises s’élève à 6 milliards d’euros en 2020, pourtant en baisse de 230 millions.
C’est bien mais à condition que les entreprises, après avoir bénéficié de leur réduction d’impôt, ne licencient pas leurs chercheurs et pire, ferment leur centre de recherche en France : « Sanofi confirme la fermeture de son site R & D de Vitry-Alfortville, annoncée avant la pandémie ». Les Échos, 5 juin 2020.
Auparavant les entreprises avaient bénéficié en 2016 des baisses de cotisations patronales de François Fillon sur les salaires jusqu’à 1,6 fois le SMIC, en 2010 de la suppression de la taxe professionnelle qui participait au financement de l’enseignement technique et, depuis des lustres, de la stagnation des salaires.
Pendant ce temps le montant des dividendes distribués aux actionnaires explose : 50 milliards en 2018, 60 en 2019, 37 milliards en 2020 malgré la pandémie de la COVID19.
Ça en fait de l’argent magique pour les riches et les grandes entreprises.
Beaucoup d’argent magique seulement taxé à 30 % tout compris.
« On dépense un pognon de dingue pour les »…riches et ils ne sont toujours pas assez riches !
De l’argent magique, le gouvernement pourrait en récupérer des milliards dans la lutte contre l’évasion fiscale.
Dans la fraude fiscale, genre celle de Jérôme Cahuzac ancien ministre.
Mais plus encore dans l’optimisation fiscale pratiquée par les entreprises, les professions libérales supérieures, les grandes fortunes et d’autres.
« Aujourd'hui, l'évasion fiscale, c'est 100 milliards d'euros, chaque année pour la France. 100 milliards d'euros, c'est plus que le budget de l'Education nationale. Le déficit budgétaire français, c'est 83 milliards d'euros. Ces chiffres ne sortent pas de nulle part, mais de nombreuses associations et de rapports parlementaires. » (Charlotte Cieslinski et Julien Bouisset, L’Obs, 21 janvier 2019)
Disparu l’argent magique, monsieur Macron. Mais pas pour les Rothschild dans la banque desquels vous vous êtes enrichi, les Bernard Arnaud, Xavier Niel, vos amis proches.
Ce n’est pas l’argent qui est magique. C’est sa disparition. Hop, disparu !
La fable du remboursement de la dette.
Le montant de la dette s’élève à 2 800 milliards d’euros en 2020.
Le PIB de la France est de 2 323 Milliards d’euros en 2019 et 2 130 en 2020.
Supposons qu’à partir de 2021, grâce à une croissance miraculeuse, on dégage chaque année 2 % d’excédents budgétaires, intérêts de la dette payés, donc entièrement disponibles pour rembourser le capital de la dette. Soit environ 47 milliards d’euros en prenant le PIB de 2019.
Il faudrait plus de 60 ans pour rembourser la dette. 60 années d’affilée de croissance et de budgets excédentaires !
Qui peut y croire ?
Dans quel but alors toutes ces élucubrations ?
La peur inspirée par la dette conduit les français à se résigner : les pauvres à subir la misère ; le bas de la classe moyenne à survivre sans loisirs, sans vacances, juste le strict nécessaire ; les « un peu plus favorisés » de la classe moyenne à payer proportionnellement plus d’impôts que les plus riches. Chacun étant soulagé de ne pas faire partie de la classe immédiatement inférieure quand il en existe une.
Ainsi nos gouvernants peuvent-il dissimuler leur incurie, leur incompétence derrière cette fatalité et conduire la politique qui leur convient voire leur profite. Qu’ils soient sociaux-démocrates ; ni de droite ni de gauche tendance ultralibéraux pire que de droite ; ou, bien de droite pas encore tout à fait extrême.
Pourtant, il n’y a pas de quoi paniquer.
En effet, ils doivent utiliser la baisse de dépenses publiques avec parcimonie pour ne pas plonger le pays dans la récession : moins d’aides sociales, moins de moyens de consommer. Moins de consommation, moins de production, moins d’activité, moins d’emplois, moins de revenus, donc moins de consommation et le cercle vicieux s’est enclenché. En plus la crise écologique planétaire en pesant sur l’économie mondiale va beaucoup compliquer leur tâche en rendant la croissance plus difficile voire impossible à obtenir.
Il n’y a pas de quoi paniquer.
Le problème de la dette se pose partout : Espagne 133 %, Italie 181 %, Allemagne 86 %, États Unis 130 %, Japon 266 % en 2020. Déjà en 1944, le Japon avait une dette de 266 % du PIB. En 1952 elle ne représentait plus que 14 % du PIB. Sans diminution des dépenses publiques alors inexistantes vu l’état du pays à la fin de la guerre.
Dans tous ces pays où les dépenses publiques sont plus basses qu’en France, la solution de la baisse de ces dépenses n’est plus aussi efficacement applicable. Comment vont-ils faire alors ?
Dernier argument : ah, ah, ah, nous disent-ils, et si les taux d’intérêts de la dette se mettaient à monter ?
Les banques centrales pourront réguler cette hausse éventuelle. En Europe les allemands ont exigé qu’elle soit indépendante c’est-à-dire sans contrôle démocratique et qu’elle ne prête pas directement aux états. Il faudra commencer par changer cet état de fait pour lui faire appliquer la démarche adéquate.
Il y a des solutions proposées par beaucoup d’économistes, de philosophes politiques de stature internationale. Regardez ce qui est en train de survenir aux États-Unis avec Joe Biden qui semble les avoir entendus.
En France aussi, il faudra changer de politique. Cela dépendra de vous lorsque vous pourrez activer l’arme quinquennale des élections.
Et vous voyez les histoires d’immigration, d’islamo-gauchisme, de séparatisme, de « 66 millions de procureurs », de grandeur de la nation, de laïcité, etc., n’ont aucun lien avec ces vrais problèmes. On les agite pour détourner votre attention et vous endormir avant de vous flouer.
Alors pensez par vous-même, cherchez l’information vraie, débattez l’esprit ouvert et usez de vos droits démocratiques en toute connaissance de cause. Nous ne sommes pas des moutons de Panurge tels ceux contés par François Rabelais. Ne soyons pas des moutons tondus.
La solution et les moyens de la faire appliquer c’est nous qui les détenons.
[1] Thomas Piketty recommande de se référer au revenu national net : le « PIB diminué de la dépréciation en capital (usure des équipements, machines, bâtiments) augmenté des revenus nets en provenance de l’étranger (ou diminué des revenus nets à destination de l’étranger, suivant la situation du pays).
Par exemple, un pays où toute la population serait occupée à reconstruire le capital détruit par un ouragan aurait un PIB élevé mais un revenu national net nul. »
En divisant le revenu national net par le nombre d’habitants on obtient « le revenu national par habitant qui correspond au revenu moyen dont disposent réellement les habitants pour vivre ».
En complément, ces chroniques sur Agoravox :
OUI / NON : la dette comme alibi de l’austérité
De Reagan et Margaret Thatcher à Emmanuel Macron, la même politique qui détruit l’humanité
Non, mais ! On est en démocratie, quand même !
Du côté des médias les mauvais comptes font les bons amis
D’autres chroniques, des réflexions et une sélection de livres éclairants sur : Mon Blog
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