Immobilier - folies parisiennes ?
L’immobilier parisien flambe, nous assènent les médias, hausse de 9% depuis le début de l’année, quand ce n’est pas le double, disent certains, rupture de stocks dans les agences, prétentions stratosphériques des vendeurs. Pour résumer, nos expliquent les éditorialistes, les classes moyennes sont chassées de la capitale, même à un candidat aisé l’achat est impossible s’il n’est pas déjà propriétaire, disposant de revenus énormes, ou aidé par sa famille. Le scénario londonien, écarté avec indignation par la Mairie de Paris voici quelques années, à savoir une ville dont la population se limite désormais aux riches et à quelques pauvres maintenus sous perfusion dans les logements sociaux, s’est réalisé, alors même que les deux capitales de référence, New York et Londres, ont l’immobilier en chute libre.
Tout le monde, ou presque, semble ajouter son clou au cercueil du Paris populaire de jadis. Les propriétaires, bien entendu, qui refusent tout plafonnage des loyers ; le gouvernement, qui chasse les classes moyennes des logements sociaux à coup de surloyers vertigineux, la municipalité qui proclame que ses efforts pour aménager quelques immeubles sociaux au milieu d’arrondissements chers permettront à de modestes et symboliques caissières et employés de s’y maintenir… alors que leurs supérieurs devront tous se reloger en banlieue lointaine.
On voit fleurir, avec une insolence magistrale, les panneaux triomphants d’une véritable « Gated Community » à la française, installée sur l’emplacement de l’ancien hopital Laënnec (à 20 000E le m2) tandis que tout près on déloge les squatters – des étudiants des classes moyennes – d’un immeuble de la rue de Sèvres en deshérance depuis des années, et qu’une magnifique construction du XIXe siècle – où vécut le poète François Coppée – achève de s’émietter dans la rue Oudinot après trente ans de conflits avec un promoteur intransigeant. Sans parler d’un certain hôtel particulier de la place des Vosges, inoccupé depuis 1965 ! Pendant ce temps, des SDF toujours plus nombreux dorment dans la rue, on loue à prix d’or des 9m2 à des étudiants, les innombrables et interminables trajets banlieue-centre ville font perdre un temps précieux, polluent et épuisent. Dans quelque temps, grâce à la démission de nos édiles, le milliardaire Arnault pourra inaugurer son hôtel de luxe sur l’emplacement de la défunte Samaritaine, et offrir à la convoitise des riches amateurs de pieds-à-terre le patrimoine immobilier que ces patrons à l’ancienne, les Cognacg-Jay, avaient réservé à leurs employés.
L’on ne saurait répéter combien cette situation malmène la continuité des générations au sein d’un même environnement humain. Des familles, parisiennes depuis des générations, sont contraintes à l’exode, trop pauvres pour se maintenir dans le libre, trop riches pour accéder aux logements sociaux, qu’on réserve en priorité à des populations nouvelles, nullement inscrites dans la mémoire des lieux.
Force est de constater que devant cet état de fait, ni l’Etat, ni la municipalité ne se bousculent pour réagir. Or il faut se rendre à l’évidence, du fait de sa configuration particulière, de son parcellaire ancien, du souci de la préservation de ses bâtiments historiques et des limites exiguës de ses frontières, seule une règlementation dissuasive a pu, dans le passé, juguler la spéculation. En d’autres mots, il est illusoire d’imaginer que la « main invisible » de l’offre et de la demande y fera quoi que ce soit pour calmer le jeu. Cela est encore plus vrai depuis que l’extension de la copropriété a intéressé tout une population de propriétaires à une hausse régulière de la valeur de leur bien, quitte à entraver la mobilité et l’accès à une surface plus importante.
Ce ne sont pas les politiques de relance du gouvernement – prêts à taux zéro, aides diverses et variées, qui y changeront quelque chose – elles ne font que grossir les prétentions des vendeurs qui auront toujours une longueur d’avance.
L’on aurait envie de poser une question à brûle-pourpoint aux responsables gouvernementaux ainsi qu’aux édiles parisiens : êtes vous décidés, enfin, à mettre en œuvre une vraie politique de retour des classes intermédiaires – l’immense majorité de la population nationale – dans le centre-ville ? Quitte à bousculer la bienséance libérale en faisant prévaloir l’intérêt collectif (dont le terme ne devrait pas choquer, puisque la propriété immobilière, dans la plupart des cas, n’est qu’une copropriété.)
Quelques pistes de réflexion s’imposent :
La cherté de l’immobilier parisien étant directement en rapport avec sa rareté, l’on pourrait pratiquer comme suit :
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Une redensification du centre-ville pour remédier aux coupes sombres pratiquées par les développeurs urbains depuis Haussmann. En effet, nombre de quartiers ont vu disparaître des rangées d’immeubles entières et se former des terrains vagues simplement dans le but d’élargir inutilement les avenues ou dégager des monuments.
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Une lutte efficace contre les immeubles gardés inoccupés, pour des raisons spéculatives ou juridiques. Outre la taxation des logements vides, la municipalité pourrait créer une agence de gestion qui, sans procéder à la moindre expropriation, se chargerait au bout de cinq ans, par exemple, de la mise en état et de la location des immeubles ou logements vides. Les propriétaires toucheraient le produit de ces locations, moins les frais de fonctionnement de l’organisme gestionnaire. Cette mesure-guillotine permettrait notamment de gérer les nombreux cas où l’immeuble est gelé le temps que se règlent les litiges de succession.
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La lutte contre la pied-à-terrisation. Ce phénomène, qui frappe les quartiers historiques, se traduit par des immeubles inoccupés en grande partie pendant la majeure partie de l’année. Or, le centre-ville ne doit pas devenir un simple lieu de villégiature saisonnière. Une politique fiscale pourrait être mise en place, ou bien une réglementation qui réserve la majeure partie des surfaces à la résidence principale.
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Finalement, à un moment où l’Etat traque les sources de revenu et referme les niches fiscales, est-ce bien raisonnable de ne pas taxer les plus-values issues de la revente d’une résidence principale ?
Si l’accession à la propriété était seule en cause, la situation pourrait être supportable. Après tout, pendant des siècles Paris a été une ville de locataires. Mais ce sont désormais les loyers qui repartent à la hausse. Il devient plus que nécessaire de les plafonner, voire même de réintroduire (ou d’en brandir la menace) des mesures comme les fameux « Lois de 1948 ». Car il est bien connu que si la frénésie patrimoniale est responsable en grande partie de la ruée sur l’immobilier, la modération imposée aux loyers, comme dans le passé, y ferait beaucoup pour la freiner.
Affaire brûlante, au même titre que le logement, l’inflation des baux commerciaux. La mairie prétend lutter contre la monoactivité, mais elle a laissé l’essentiel du Quartier latin devenir une interminable et monotone litanie de boutiques du prêt-à-porter, qui, bien loin de servir de vitrine à la confection nationale, ne sont que des déversoirs du Made in China.
Là encore, réintroduire l’agrément préalable en cas de changement de commerce, voire même des exigences de zonage, prescrivant un pourcentage obligatoire de commerces de proximité, me semblerait une exigence raisonnable.
On m’objectera que dans un pays qui ne connaît même pas les facilités de l’ « Eminent Domain » qui donne aux édiles anglo-saxons des capacités d’intervention plus étendues, ces mesures seraient présentées comme des atteintes inacceptables à la propriété privée. Je ferais remarquer qu’il s’agira surtout d’assortir au droit de propriété l’exigence que celui-ci se conforme à l’intérêt collectif, et qu’il est néfaste que des logements demeurent vides pendant des décennies parfois. Et surtout, qu’il n’y a rien d’autre à faire,à moins de laisser cette spirale frénétique se poursuivre. A moins d’attendre comme facteur de régulation l’inévitable crise avec écroulement des prix, comme cela s’est fait dans le passé.
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