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Accueil du site > Tribune Libre > Instrumentalisation d’un mot : un cas d’école

Instrumentalisation d’un mot : un cas d’école

L’affaire de la fournée, puisque désormais il y a une affaire de la fournée, nous offre un exemple d’instrumentalisation de la parole politique comme l’actualité n’en dispense pas souvent. Contraindre Marine Le Pen, Louis Aliot, Florian Philippot et Gilbert Collard, à désavouer le président d’honneur du Front national, ce n’était pas gagné d’avance.

Tout commence avec la mise en ligne, vendredi 6 juin, sur le site du Front national, du 366e Journal de bord de Jean-Marie Le Pen, questionné par son intervieweuse habituelle, Marie d’Herbais. Cette émission, personne ne l’a signalé par la suite, comporte depuis longtemps une rubrique au titre caricaturalement sarkozyen, « Le pauvre con de la semaine ». La distinction est attribuée à une personnalité s’étant révélée particulièrement agressive à l’égard du Front national ou de l’un ou l’autre de ses dirigeants.

Vendredi dernier, exceptionnellement, les récipiendaires sont deux, Guy Bedos et Madonna. Jean-Marie Le Pen explique ce choix :

- Monsieur Bedoche, lui, il a comparé Marine Le Pen à Hitler et quant à Maldonna, elle l'a accusée, à la suite du le victoire du Front national, d'être fasciste, etc., alors on va les pacser et ce sera…, ce seront un couple de pauvres cons[1].

Marie d'Herbais : - Il y a aussi tous ceux qui avaient juré en cas de victoire du Front national de prendre leurs cliques et leurs claques et de quitter la France... Apparemment, ce n'est toujours pas fait

JMLP : - Ah oui, c'est Monsieur Noah, ça... Monsieur Noah a dit s'être engagé à ne plus chanter en France, si le Front national arrivait en tête de l'élection… Cochon qui s'en dédit !

Marie d'Herbais - Monsieur Bruel aussi...

JMLP : - Ah oui ? Ah oui, ça ne m'étonne pas... Alors, écoutez, on fera une fournée la prochaine fois[2].

Dans le contexte, on pouvait déduire qu’après le « pauvre con de la semaine », le « couple de pauvres cons de la semaine », la prochaine fois, les visiteurs du Journal de bord, auraient droit à la « fournée de pauvres de cons de la semaine ». C’est ainsi que, sans penser à mal, nous l’avons-nous-même compris en prenant connaissance de l’enregistrement, peu après sa mise en ligne.

Un homme allait en faire une lecture toute différente dans la journée du samedi 7 juin. C’est Sylvain Chazot, collaborateur attitré du Lab.Europe 1, que ne cite même pas Francetvinfo dans sa reconstitution « La polémique en six actes », alors qu’il sera la cheville ouvrière de l’affaire. Dans un premier temps, il la lance samedi à 17h07[3] et dans un deuxième temps, à partir de dimanche matin 11h00, il deviendra la source unique d’information sur les propos de Jean-Marie Le Pen, le Front national ayant retiré de son le N° 366 du Journal de bord.

Titré « Jean-Marie Le Pen attaque Guy Bedos, Madonna, Yannick Noah et Patrick Bruel : "On fera une fournée la prochaine fois". », l’article commence de façon inusuelle, par une définition tirée d’un dictionnaire ;

 « Fournée. Nom féminin. Ensemble de pièces, d'objets mis ensemble à cuire ou à traiter dans un four[4]. » [Source : Larousse].

« C’est avec ce mot que Jean-Marie Le Pen a répondu aux différents artistes qui, depuis la victoire du FN aux européennes, critiquent le Front national en général, Marine Le Pen en particulier. »

Suit un extrait de l’enregistrement du Journal de bord d’une durée de 30 secondes, à partir de l’intervention de Marie d’Herbais « Il y a aussi tous ceux qui avaient juré… »

S’agissant de la définition, il convient de préciser que ce n’est que l’une de celles que donne le Larousse en ligne[5], qui en comporte quatre au total, et dont la quatrième s’applique tout aussi bien au cas particulier, et même mieux, puisqu’il y est question non de pièces ou d’objets, mais de personnes : « Ensemble de gens à qui l'on fait subir un même sort ou qui participent à un même mouvement  : Une fournée de touristes. »

Toute l’accusation, et les condamnations indignées qui s’ensuivent, reposent donc sur l’extraction d’une phrase de son contexte ( « Le pauvre con de la semaine »), sur la mise en condition du lecteur par un quart de définition sémantique et sur une association d’idées que le lecteur informé ne manquera pas de faire – four, (Dura)four crématoire, Shoah) -, il ne reste plus qu’à préciser que Patrick Bruel est juif, pour boucler la boucle.

Ce n’est pas du Bernays, mais l’action doit se juger à son impact plutôt qu’à ses modalités. Et cet impact ira crescendo jusqu’à lundi :

BFMtv (8 juin – 10 :08) : « "On fera une fournée la prochaine fois", dit ainsi Jean-Marie Le Pen au sujet des deux artistes. »[6]

FranceTVinfo (8 juin – 12 :51) : « Jean-Marie Le Pen suggère une "fournée" d'artistes anti-FN. »[7]

Christophe Delay – BFMtv (9 juin – Première édition – 06 :50) : - Jean-Marie Le Pen a parlé de fournée à propos de Patrick Bruel, de confession juive.

BFMtv : Hervé Gattegno (RMC découvertes – 9 juin 08 :25 : - C’est un propos répugnant, que ce qu’a dit Jean-Marie Le Pen.[8]

Les Echos (9 juin – 14 :26) : - En déclarant dans une vidéo postée sur le site du FN qu’il ferait «  une fournée la prochaine fois  » du chanteur de confession juive Patrick Bruel...  »[9]

Nouvel Observateur-Le Plus (9 juin – 18 :07) – « Le Président d'honneur du Front national, figure emblématique du parti, a réclamé une fournle d'artistes dont Patrick Bruel. Au-delà de l'atrocité d'un tel propos, c'est la désinvolture avec laquelle il l'affirme qui glace. »[10]

Face à la machine qui s’est mise en marche dans la nuit de samedi à dimanche, les dirigeants du Front national n’ont de choix qu’entre se distancer de Jean-Marie Le Pen ou être eux-mêmes taxés d’antisémitisme. On ne remonte pas un tel courant : ils choisissent la distanciation, mais les déclarations au Figaro de Marine Le Pen montre qu’elle n’est pas dupe : « Je suis convaincue que le sens donné à ses propos relève d'une interprétation malveillante. »[11] Et une présentation des faits plus large que celle de Sylvain Chazot va dans ce sens.

Au-delà de ces considérations, il reste à parler des conséquences de cette affaire sur l’avenir immédiat du Front national. La polémique se situe précisément dans la ligne de cet antifrontisme « diabolisateur » dont Pierre-André Taguieff démontre la contre-productivité, dans ses Réflexions sur l'antilepénisme ordinaire (Paris, CNRS Éditions, 2014) :

« Répéter un slogan aussi dérisoire que « F comme fasciste, N comme nazi », totalement décalé par rapport à la réalité du mouvement lepéniste, c'était courir à l'échec : un tel excès dans l'accusation a rendu celle-ci insignifiante. Et ce, d'autant plus que l'image de Marine Le Pen s'est montrée imperméable à ces attaques hyperboliques. Le FN a fini par retourner à son profit la stigmatisation : la victime présumée du « Système » s'est posée en alternative globale à ce dernier, et ce, d'une façon crédible pour une importante partie de l'opinion. Bref, la propagande antilepéniste, qui se proposait de faire disparaître le FN de l'espace politique français ou de le marginaliser fortement, aura globalement joué le rôle d'un puissant facteur de la montée du FN. Paradoxe comique pour les uns, tragique pour les autres. »[12]

Cette analyse a été critiquée, il n’empêche qu’elle a été confirmée par l’absence d’impact du « dérapage Ebola », cinq jours avant les élections européennes. Le 20 mai, Jean-Marie Le Pen déclare, dans une conversation privée, que le problème de l’explosion démographique pourrait être réglé en trois mois, par Mgr Ebola.

Des journalistes surprennent le propos et le répercutent. Il sera abondamment médiatisé, parfois déformé. L’ « explosion démographique » deviendra le « problème de l’immigration » dans Libération, sous la plume de Mme Alexandra Schwartzbrod, le 23 mai. Deux jours avant Le Point, repris par le Huffington Post, avait titré sur « la solution finale selon Jean-Marie Le Pen » avant de parler du « problème de l’immigration massive »…

Mais il en aurait fallu davantage, ou il aurait fallu tout autre chose, puisque le battage fait autour de ce propos n’a pas empêché Jean-Marie Le Pen d’emporter la circonscription Sud-Est avec 5 points d’avance, contre les sondages qui le donnaient deuxième derrière Renaud Muselier, tête de liste UMP.

Cela étant, la décision de retirer le Journal de Bord du site du Front national, paraît bien moins destiné à l’opinion française, qu’aux alliés potentiels du FN, dans la formation d’un groupe au Parlement européen. Si son père ne l’a pas compris, Marine Le Pen a maintenant jusqu’à la rentrée de septembre – le « clou Mundial » a déjà chassé le « clou fournée » - pour le lui faire admettre.

A moins que tout cela ne soit le fruit d’une manœuvre improvisée dans la foulée du déclenchement d’une polémique que l’audition complète du Journal de bord N° 366 ne laissait pas présager.


[4] Les caractères gras sont de l’auteur

 


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7 réactions à cet article    


  • Radix Radix 12 juin 2014 14:01

    Bonjour

    Entre le père et la fille, il y en a un qui épluche les oignons et l’autre qui pleure.

    L’intérêt de cette comédie, jouée à deux, c’est de ne pas décourager la vieille garde de fachos du papa tout en préservant l’ouverture tout azimut de la fille.

    Dire qu’il y en a qui marche dans cette vieille combine... C’est désespérant !

    Radix


    • LE CHAT LE CHAT 12 juin 2014 17:03

      je ne doute pas que nos merdias , tairont par contre cette info là !


      • Esprit Critique 12 juin 2014 18:17

        Nos journaleux sont de parfaits fumiers.

        Quand on faite ce métier, la moindre des qualités est un minimum d’honnêteté intellectuelle.

        Ils n’en ont pas , ce sont de vulgaires saloperies quoi que l’on pense de JM Le Pen qui est pour moi totalement inintéressant au plan politique.

        Personnellement comme journaliste, je ne ferai echo a rien de ce qu’il dit dans ce style de verbiage.


        • Un_lecteur 13 juin 2014 09:41

          Les journaleux ?
          Mais ils sont achetés, tout simplement.
          Ceux qui ont refusé d’être achetés ont été virés depuis longtemps.
          Qui disait déjà « Un journaliste, c’est soit une pute, soit un chômeur ».
          Il faut bien vivre.
          Ceci-dit, quand l’URSS a commencé sa perestroïka, sa glastnost, j’ai découvert dans les Ivestia et la Pravda un déferlement d’information et de liberté. Les journalistes russes qui ne demandaient qu’à faire leur métier ont profité de leur nouvelle liberté.
          En serait-il de même en France, si par extraordinaire le couvercle sur l’information se soulevait ?
          Ou bien est-ce que nos journalistes n’ont pas besoin d’être contraints pour désinformer et mentir ?
          J’ai un doute, mais il y a de vrais journalistes.
          J’ai le souvenir d’un livre de Jacques Merlino « Les vérités yougoslaves ne sont pas bonnes à dire ». paru en 1993.
          http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=269&PHPSESSID=eaa
          Merlino, journaliste à Antenne 2, a du écrire un livre pour dire ce dont il ne pouvait pas parler à l’écran.
          http://www.corsematin.com/article/la-vie-secrete-de-jacques-merlino-devoilee-dans-profession-reporter.589543.html
          Il plante maintenant des oliviers en Corse.


        • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 12 juin 2014 19:18

          Merci pour cette analyse qui m’a éclairée.
          Je suis d’accord sur le fond.
          Il faut penser à mal pour diaboliser à partir de cette fournée !


          • César Castique César Castique 14 juin 2014 09:07

            Il n’a pas été noté non plus que « fournée » n’a pas vraiment de synonyme et c’est le seul terme qui désigne explicitement un « groupe de personnes nommées à une même fonction » - en l’occurrence, cons de la semaine 

            J’ai eu la curiosité de consulter quinze dictionnaires des synonymes, imprimés ou en ligne,. Quatre d’entre eux ne fournissent aucun synonyme de « fournée ». « Charretée » qui pourrait à la grande rigueur convenir, mais qui évoque la peine de mort en général et la guillotine en particulier, revient six fois, « groupe » que l’on trouve sept fois ne convainc pas... Pour le reste, une simple énumération suffit :

            Reverso  : réunion, peloton, agglomération, union, ligue, attroupement, rassemblement, association, groupe, comité, groupement 

            Le Robert, 6 vol. (1966) : charretée

            Dictionnaire des synonymes (E. Macé/M. Guinard) Nathan (1990) : aucun

            les-synonymes.com : agglomération, association, attroupement, comité, groupe, groupement, ligue, peloton, rassemblement, réunion, union

            synonymes.net : aucun

            crisco.unicaen : charretée, groupe, paquet

            leconjugueur.lefigaro.fr : groupe

            dico.isc.cnrs.fr : charretée, groupe, paquet

            la-conjugaison.nouvelobs.com : réunion, peloton, agglomération, union, ligue, attroupement, rassemblement, association, groupe, comité, groupement

            Centre national de ressources lexicales (CNRL) : aucun

            larousse.fr : charretée

            synonymo.fr : agglomération, association, attroupement, charretée, comité, groupement, ligue, paquet, peloton, réunion

            linternaute. com : groupe

            synonymes.memodata.com : charretée, groupe, paquet

            dictionnaire.tv5.org : aucun

            Si des inconscients, peut.-être mal conseillés par des avocats vénaux, se risquent à déposer une plainte contre Jean- ;Marie Le Pen, Me Wallerand de Saint-Just pourra envoyer un ou une stagiaire s’exprimant en langage des signes. Ça devrait amplement suffir.


            • César Castique César Castique 18 juin 2014 11:50
              « Mais, j’ai du mal à comprendre comment des militants qui ont soutenu pendant tant d’années le « reaganisme » de Jean-Marie Le Pen peuvent aujourd’hui défendre exactement l’inverse. »

              C’est pourtant tellement simple : Reagan, c’était pendant la guerre froide . qu’il allait gagner -, et c’était encore la période où le capitalisme plaçait l’entreprise au centre de l’économie. Désormais, la finance a remplacé l’entreprise, et cela bouleverse toute la perception qu’on pouvait avoir du libéralisme et, plus encore, de l’ultralibéralisme.

              Pour le reste, on sait ce qu’elle pense, cette Polony, des idées que professait De Gaulle à propos du peuplement de la France ?

              « 
               Sur le plan ethnique, il convient de limiter l’afflux des Méditerranéens et des Orientaux, qui ont depuis un demi-siècle profondément modifié les compositions de la population française. Sans aller jusqu’à utiliser, comme aux Etats-Unis, le système rigide des quotas, il est souhaitable que la priorité soit accordée aux naturalisations nordiques (Belges, Luxembourgeois, Suisses, Hollandais, Danois, Anglais, Allemands, etc.) » directive au Garde des Sceaux, 12 juin 1945 (Cité par Plein Droit, n°29-30 Novembre 1995).

              «  Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont les Arabes, les Français sont les Français. »

              « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France . Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. »
              P.S. - J’ai entendu, sur LCI, ce que cette dame pense de l’école de la République. J’ai été effaré par ce discours qui semblait tout droit sorti d’une tenue blanche ouverte de la Loge Fraternité et Universalité, du samedi 18 août 1888...

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