Intime conviction : une ultime connerie ?
Le verdict qui clôt un procès n’est il pas condamnable lorsqu’il est entaché de soupçons quant à son objectivité ?

Encadré par deux gendarmes, Yvan Colonna, 47 ans, pénètre dans la salle de la cour d’assises spécialement formée pour les affaires de terrorisme de Paris afin d’y être jugé après 4 ans de cavale entre mai 1999 et juillet 2003.
Celui qu’on a surnommé le berger de Cargèse est accusé d’avoir assassiné le plus haut représentant de l’État en poste en Corse, le préfet Claude Erignac, le 6 février 1998, alors que ce dernier s’apprêtait à entrer au Kallisté à Ajaccio pour assister à un concert, et d’avoir, cinq mois plus tôt, participé à l’attaque de la gendarmerie de Pietrosella où l’arme du crime a été dérobée.
Le jeudi 13 décembre 2007, un petit mois et cinq heures de délibérations après sous la présidence de Dominique Coujard, les sept juges de cette cour spéciale sans jury populaire condamnent Yvan Colonna à la réclusion criminelle à perpétuité.
Les avocats d’Yvan Colonna font appel de ce jugement.
27 mars 2009, après sept semaines de procès, les neufs magistrats de la cour spéciale d’assise de Paris suivent les réquisitoires de l’avocat général et condamnent Yvan Colonna à la peine maximale : la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté incompressible de vingt-deux ans.
Les procès d’Yvan Colonna ont défrayé la chronique et plus personne n’ignore que l’attentat dirigé contre le préfet Claude Erignac a été imputé, très certainement avec raison, à des nationalistes corses.
Au nombre de ces nationalistes, tous arrêtés, tous condamnés à purger une peine de prison, deux enseignants supposés être les inspirateurs, six autres considérés comme exécutants ou ayant participé à des actes préparatoires et enfin, selon certains d’entre eux, celui qui nous intéresse, Yvan Colonna.
À ma connaissance, la traque, le jugement, la condamnation d’Yvan Colonna ont été provoqué par les seuls témoignages de ce groupe de nationalistes, lesquels prétendent qu’Yvan Colonna se trouvait parmi eux le soir où Claude Erignac a été assassiné et celui de Pierre Alessandri lequel a accusé Yvan Colonna d’avoir tiré les trois balles dans la nuque qui ont provoqué la mort du préfet.
La fameuse loi du silence dont s’enorgueillissent les corses en prend un vilain méchant coup, non ?
Il va sans dire que l’assassinat de toute personne quel que soit son statut, sa religion ou sa race est abject lorsque cette personne n’est responsable d’aucun crime ou délit. Quant à ces mouvances, qu’elles soient nationalistes, extrémistes, intégristes, elles sont méprisables qui cherchent à imposer leurs certitudes en abusant de la terreur, en usant de bombes, en tuant lâchement des innocents.
Est-il utile de préciser que je n’éprouve aucune sympathie pour Yvan Colonna à partir du moment où il se réclame de ce nationalisme corse ?
Mais je suis indignée lorsque la justice d’un pays qui se prétend démocratique condamne sans aucune preuve de sa culpabilité un individu à une peine aussi exceptionnelle que la réclusion perpétuelle avec une période de 22 ans de sûreté incompressible.
Pire encore, non seulement aucune preuve matérielle n’a été apportée mais le flou total règne parmi les déclarations des témoins directs de cet attentat.
• Ainsi, N. Contart, 56 ans, parce qu’elle passait en voiture à proximité du théâtre Kallisté peu avant 21 heures le soir du 6 février 1998 quand le préfet de Corse Claude Erignac a été tué, a raconté avoir été témoin de ‘l’assassinat’ mais son témoignage n’implique nullement Yvan Colonna. Elle aurait en effet déclaré : « avoir vu deux personnes et cru, sur le moment, qu’un des deux individus aperçus jetait des pétards » et « pensé que c’était un jeune qui s’amusait ».
• Ainsi, Joseph Arrighi, 83 ans,policier retraité des Renseignements généraux qui a entendu plusieurs détonations qu’il a déclaré avoir pris pour des pétards alors qu’il marchait sur un trottoir proche le soir du 6 février 1998. « Quelques secondes après, j’ai été dépassé par deux hommes que j’ai mal distingués » A-t-il relaté pour ensuite poursuivre : « Ils trottinaient. Je me suis dit ‘ils sont pressés d’aller dîner’. Au bout d’un moment, ils ont été rejoints par un troisième homme ‘duquel’ un objet métallique est tombé sur le trottoir ».
Non seulement aucune preuve n’a été apportée qui désigne de manière indiscutable Yvan Colonna comme étant l’assassin du préfet Erignac mais, au cours du dernier procès,
• Pierre Alessandri et Alain Ferrandi reviennent sur leurs déclarations et nient toute implication ou présence d’Yvan Colonna le soir de l’attentat,
• le 25 février dernier, c’est un ami du préfet Erignac, qui disculpe Yvan Colonna. Joseph Colombani, trésorier de l’association organisatrice du concert et directeur de cabinet du président du conseil exécutif de Corse qui a assisté à l’assassinat de son ami Claude Erignac a déclaré « en conscience » qu’Yvan Colonna « n’est pas l’homme qui a achevé Claude Erignac »,
• un médecin légiste affirme que l’auteur des coups de feu était plus grand que l’accusé
Yvan Colonna est peut-être coupable. Peut-être mérite-t-il sa condamnation. Mais je sais que si j’étais partie civile mêlée à un procès de ce genre, un procès qui s’achève par la condamnation sans preuve d’un homme, je me sentirais particulièrement perturbée. Terriblement frustrée par un jugement que j’estimerais inéquitable, affreusement mal à l’aise de devoir vivre tout le restant de ma vie avec l’appréhension d’avoir été involontairement complice d’une erreur judiciaire.
Simple spectatrice anonyme, mon opinion est que, nonobstant la triste réalité d’un verdict qui offre un martyr aux nationalistes corses, ce qui est une incommensurable stupidité (même le pire des abrutis aurait pu conjecturer du résultat de ce jugement),
mon sentiment est que
• l’on est en droit de s’étonner que, sans explication, sans justification, jamais aucune reconstitution du crime n’a été autorisée,
• on est en droit d’être surpris d’apprendre que peu avant le verdict, l’avocat général Yves Jannier a non seulement déclaré : « la culpabilité d’Yvan Colonna pour moi ne fait aucun doute » mais s’est permis d’affirmer alors que rien ne venait corroborer ses certitudes : « Yvan Colonna est celui qui, ce soir-là, a appuyé sur une détente et a tiré trois balles sur le préfet, simplement parce qu’il était le représentant d’un État symbole de liberté »,
• on est en droit de s’effarer lorsqu’on entend dire sans vergogne que c’est un verdict rendu à partir d’une extrême conviction
• on est en droit, me semble-t-il, de s’inquiéter.
Je suis profane en matière juridique et si ce que je crois avoir compris est erroné, je sollicite l’indulgence des juristes et consorts.
Et ce que je crois avoir compris c’est qu’il existe, en droit, un code qui a pour nom jurisprudence et qui voudrait que telle règle ou telle décision ayant eu force de loi lors d’un jugement s’utilisent comme un acquis pour d’autres jugements.
Partant de ce concept et étant, à mon corps défendant, dotée d’une certaine tendance aux élucubrations, je cauchemarde à l’idée que la décision qui a provoqué la condamnation d’Yvan Colonna fasse jurisprudence.
Imaginez, en effet, un prévenu se défendant d’avoir participé à un cambriolage nocturne en alléguant qu’il dormait seul chez lui et qui se verrait condamné parce que l’avocat général aurait argué : « Et bien moi, j’ai l’intime conviction que vous mentez et je demande donc votre condamnation au bagne pour dix ans ».
Ou cet autre prévenu qui nierait avoir attaqué un individu six mois auparavant en prétextant qu’il assistait à un match de football aux jour et heure où se serait produit cette agression et qui se verrait également condamné parce que l’avocat général aurait allégué : « Et d’un, vous n’êtes pas en mesure de faire la preuve de votre présence à ce match puisque vous dites avoir jeté le ticket d’accès au stade et de deux, parce que j’ai l’intime conviction que vous êtes coupable, je demande que vous soyez condamné aux galères pour une durée de cinq ans »
En conclusion, ce procès Yvan Colonna me renforce dans mon intime conviction que la justice est peut-être (soi-disant) égale pour tous mais que lorsqu’on se présente en tant qu’accusé devant un tribunal, mieux vaut être accompagné d’un bon avocat grassement rémunéré qu’avec la compagnie de sa seule innocence.
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