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Accueil du site > Tribune Libre > Intime conviction : une ultime connerie ?

Intime conviction : une ultime connerie ?

Le verdict qui clôt un procès n’est il pas condamnable lorsqu’il est entaché de soupçons quant à son objectivité ?

10 heures, le matin du 12 novembre 2007.
Encadré par deux gendarmes, Yvan Colonna, 47 ans, pénètre dans la salle de la cour d’assises spécialement formée pour les affaires de terrorisme de Paris afin d’y être jugé après 4 ans de cavale entre mai 1999 et juillet 2003.

Celui qu’on a surnommé le berger de Cargèse est accusé d’avoir assassiné le plus haut représentant de l’État en poste en Corse, le préfet Claude Erignac, le 6 février 1998, alors que ce dernier s’apprêtait à entrer au Kallisté à Ajaccio pour assister à un concert, et d’avoir, cinq mois plus tôt, participé à l’attaque de la gendarmerie de Pietrosella où l’arme du crime a été dérobée.

Le jeudi 13 décembre 2007, un petit mois et cinq heures de délibérations après sous la présidence de Dominique Coujard, les sept juges de cette cour spéciale sans jury populaire condamnent Yvan Colonna à la réclusion criminelle à perpétuité.
Les avocats d’Yvan Colonna font appel de ce jugement.

27 mars 2009, après sept semaines de procès, les neufs magistrats de la cour spéciale d’assise de Paris suivent les réquisitoires de l’avocat général et condamnent Yvan Colonna à la peine maximale : la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté incompressible de vingt-deux ans.
 
Les procès d’Yvan Colonna ont défrayé la chronique et plus personne n’ignore que l’attentat dirigé contre le préfet Claude Erignac a été imputé, très certainement avec raison, à des nationalistes corses.

Au nombre de ces nationalistes, tous arrêtés, tous condamnés à purger une peine de prison, deux enseignants supposés être les inspirateurs, six autres considérés comme exécutants ou ayant participé à des actes préparatoires et enfin, selon certains d’entre eux, celui qui nous intéresse, Yvan Colonna.

À ma connaissance, la traque, le jugement, la condamnation d’Yvan Colonna ont été provoqué par les seuls témoignages de ce groupe de nationalistes, lesquels prétendent qu’Yvan Colonna se trouvait parmi eux le soir où Claude Erignac a été assassiné et celui de Pierre Alessandri lequel a accusé Yvan Colonna d’avoir tiré les trois balles dans la nuque qui ont provoqué la mort du préfet.

La fameuse loi du silence dont s’enorgueillissent les corses en prend un vilain méchant coup, non ?

Il va sans dire que l’assassinat de toute personne quel que soit son statut, sa religion ou sa race est abject lorsque cette personne n’est responsable d’aucun crime ou délit. Quant à ces mouvances, qu’elles soient nationalistes, extrémistes, intégristes, elles sont méprisables qui cherchent à imposer leurs certitudes en abusant de la terreur, en usant de bombes, en tuant lâchement des innocents.
Est-il utile de préciser que je n’éprouve aucune sympathie pour Yvan Colonna à partir du moment où il se réclame de ce nationalisme corse ?

Mais je suis indignée lorsque la justice d’un pays qui se prétend démocratique condamne sans aucune preuve de sa culpabilité un individu à une peine aussi exceptionnelle que la réclusion perpétuelle avec une période de 22 ans de sûreté incompressible.

Pire encore, non seulement aucune preuve matérielle n’a été apportée mais le flou total règne parmi les déclarations des témoins directs de cet attentat.

• Ainsi, N. Contart, 56 ans, parce qu’elle passait en voiture à proximité du théâtre Kallisté peu avant 21 heures le soir du 6 février 1998 quand le préfet de Corse Claude Erignac a été tué, a raconté avoir été témoin de ‘l’assassinat’ mais son témoignage n’implique nullement Yvan Colonna. Elle aurait en effet déclaré : « avoir vu deux personnes et cru, sur le moment, qu’un des deux individus aperçus jetait des pétards » et « pensé que c’était un jeune qui s’amusait ».

• Ainsi, Joseph Arrighi, 83 ans,policier retraité des Renseignements généraux qui a entendu plusieurs détonations qu’il a déclaré avoir pris pour des pétards alors qu’il marchait sur un trottoir proche le soir du 6 février 1998. « Quelques secondes après, j’ai été dépassé par deux hommes que j’ai mal distingués » A-t-il relaté pour ensuite poursuivre : « Ils trottinaient. Je me suis dit ‘ils sont pressés d’aller dîner’. Au bout d’un moment, ils ont été rejoints par un troisième homme ‘duquel’ un objet métallique est tombé sur le trottoir ».

Non seulement aucune preuve n’a été apportée qui désigne de manière indiscutable Yvan Colonna comme étant l’assassin du préfet Erignac mais, au cours du dernier procès,

• Pierre Alessandri et Alain Ferrandi reviennent sur leurs déclarations et nient toute implication ou présence d’Yvan Colonna le soir de l’attentat,
• le 25 février dernier, c’est un ami du préfet Erignac, qui disculpe Yvan Colonna. Joseph Colombani, trésorier de l’association organisatrice du concert et directeur de cabinet du président du conseil exécutif de Corse qui a assisté à l’assassinat de son ami Claude Erignac a déclaré « en conscience » qu’Yvan Colonna « n’est pas l’homme qui a achevé Claude Erignac »,
• un médecin légiste affirme que l’auteur des coups de feu était plus grand que l’accusé
Yvan Colonna est peut-être coupable. Peut-être mérite-t-il sa condamnation. Mais je sais que si j’étais partie civile mêlée à un procès de ce genre, un procès qui s’achève par la condamnation sans preuve d’un homme, je me sentirais particulièrement perturbée. Terriblement frustrée par un jugement que j’estimerais inéquitable, affreusement mal à l’aise de devoir vivre tout le restant de ma vie avec l’appréhension d’avoir été involontairement complice d’une erreur judiciaire.

Simple spectatrice anonyme, mon opinion est que, nonobstant la triste réalité d’un verdict qui offre un martyr aux nationalistes corses, ce qui est une incommensurable stupidité (même le pire des abrutis aurait pu conjecturer du résultat de ce jugement),
mon sentiment est que
• l’on est en droit de s’étonner que, sans explication, sans justification, jamais aucune reconstitution du crime n’a été autorisée,
• on est en droit d’être surpris d’apprendre que peu avant le verdict, l’avocat général Yves Jannier a non seulement déclaré : « la culpabilité d’Yvan Colonna pour moi ne fait aucun doute » mais s’est permis d’affirmer alors que rien ne venait corroborer ses certitudes : « Yvan Colonna est celui qui, ce soir-là, a appuyé sur une détente et a tiré trois balles sur le préfet, simplement parce qu’il était le représentant d’un État symbole de liberté »,
• on est en droit de s’effarer lorsqu’on entend dire sans vergogne que c’est un verdict rendu à partir d’une extrême conviction
• on est en droit, me semble-t-il, de s’inquiéter.
Je suis profane en matière juridique et si ce que je crois avoir compris est erroné, je sollicite l’indulgence des juristes et consorts.

Et ce que je crois avoir compris c’est qu’il existe, en droit, un code qui a pour nom jurisprudence et qui voudrait que telle règle ou telle décision ayant eu force de loi lors d’un jugement s’utilisent comme un acquis pour d’autres jugements.
Partant de ce concept et étant, à mon corps défendant, dotée d’une certaine tendance aux élucubrations, je cauchemarde à l’idée que la décision qui a provoqué la condamnation d’Yvan Colonna fasse jurisprudence.

Imaginez, en effet, un prévenu se défendant d’avoir participé à un cambriolage nocturne en alléguant qu’il dormait seul chez lui et qui se verrait condamné parce que l’avocat général aurait argué : « Et bien moi, j’ai l’intime conviction que vous mentez et je demande donc votre condamnation au bagne pour dix ans ».

Ou cet autre prévenu qui nierait avoir attaqué un individu six mois auparavant en prétextant qu’il assistait à un match de football aux jour et heure où se serait produit cette agression et qui se verrait également condamné parce que l’avocat général aurait allégué : « Et d’un, vous n’êtes pas en mesure de faire la preuve de votre présence à ce match puisque vous dites avoir jeté le ticket d’accès au stade et de deux, parce que j’ai l’intime conviction que vous êtes coupable, je demande que vous soyez condamné aux galères pour une durée de cinq ans »

En conclusion, ce procès Yvan Colonna me renforce dans mon intime conviction que la justice est peut-être (soi-disant) égale pour tous mais que lorsqu’on se présente en tant qu’accusé devant un tribunal, mieux vaut être accompagné d’un bon avocat grassement rémunéré qu’avec la compagnie de sa seule innocence.

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7 réactions à cet article    


  • Trashon Trashon 7 mai 2009 09:47

    Comme disait Coluche :

    Il y a deux sortes de justice : vous avez l’avocat qui connait bien la loi, et vous avez l’avocat qui connait bien le juge smiley


    • LE CHAT LE CHAT 7 mai 2009 11:26

      La justice est comme tout en ce bas monde , elle s’achète pour ceux qui en ont les moyens !


      • zelectron zelectron 7 mai 2009 11:32

        C’est plus facile de s’acharner sur un innocent seul et désarmé que sur une armée de coupables ?


        • Joseph DELUZAIN Joseph DELUZAIN 7 mai 2009 12:50

          C’est bien cette justice là qui me fait peur. Eternel révolté devant l’injustice, mes prises de position m’ont attiré plus d’inconvénients que de satisfactions. Mais je ne peux rester passif devant ce genre de cas. Stupide je suis me direz-vous. Et vous aurez raison. Pourquoi défendre son innocence devant une cour qui bientôt appliquera les sentences selon un barême. Mais revenons à votre article que j’ai trouvé concis et très clair. Vous mettez le doigt sur le point crucial : l’intime conviction. Comment se forge l’intime conviction des juges et des membres du jury ? Dans le secret des cabinets ou la sérénité d’un tribunal ? Non ! l’intime conviction se forge au travers des médias et principalement à la télévision. Et c’est avec cette intime conviction polluée que la justice sera rendue. Que l’on soit juge ou juré, on n’en est pas moins homme et donc influençable. L’intime conviction est le critère le plus subjectif qui soit - et vous l’avez parfaitement définie par vos exemples - et ne devrait même pas être évoqué dans une affaire de justice.


          • morice morice 7 mai 2009 13:12

            En conclusion, ce procès Yvan Colonna me renforce dans mon intime conviction que la justice est peut-être (soi-disant) égale pour tous mais que lorsqu’on se présente en tant qu’accusé devant un tribunal, mieux vaut être accompagné d’un bon avocat grassement rémunéré qu’avec la compagnie de sa seule innocence.


            sauf si c’est Gilbert Collard....

            • CARDO 7 mai 2009 22:00

              Je vous remercie pour cet article qui traduit à la perfection ce que je pense et ressens(avec une qualité d’écriture dont je suis bien incapable).
              Je suis comme vous je n’ai aucune sympathie pour ceux qui usent de violences ; mais les conditions de la condamnation d’Yvan Colonna sont une honte pour ce pays qui pré« tend être une démocratie.
              Je voudrais simplement mettre en balance le dernier jugement d’acquittement dont a bénéficié ce prof de droit dont l »épouse a disparu.Yvan a été condamné pour moins que çà.Deux poids deux mesures.


              • finael finael 7 mai 2009 22:55

                 Si je suis d’accord avec vous sur le procès d’Ivan Colonna, je ne peux que désapprouver le titre de l’article.

                 Ne jugeons nous pas tous (et vous aussi) sur notre « intime conviction » : Vous avez, et les commentateurs précédents comme moi, l« intime convciction » que ce procès ne respecte pas ce que vous et moi appellerions « justice » ?

                 C’est ainsi que chacun d’entre nous est appelé sans cesse à juger de ce qu’il fait ou pense comme de ce que fait ou dit le monde autour de nous : nous avons l’intime conviction que nous disons ou faisons a de bonnes raisons - ou déraisons, c’est selon. Nous passons notre vie à juger les autres ... et finalement, puisque vous êtes aussi - ou le dites tout au moins - agnostique, n’est-ce pas par « intime conviction » que nous agissons nous mêmes ?

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