Iran : Vous avez dit élections ?
Le vendredi 18 juin a eu lieu l’élections présidentielles en Iran. Mais n’y aurait-il pas un terme plus juste qu’élections et qui pourrait définir un mode de scrutin dans lequel les candidats sont triés sur le volet de façon qu’aucun d’entre eux ne puisse faire d’ombre au favori proclamé par le pouvoir en place ? Car, soyons honnêtes, ce que la presse occidentale relaie consciencieusement depuis les organes officiels de la république islamique ressemble à s’y méprendre à une parodie digne du film Idiocratie.
Elections ? Non, sélection.
Même à 20h comme ici à Arak près de Téhéran dans ce bureau de vote il n'y a pas eu d'afflut les bureaux sont restés déserts pic.twitter.com/YmExAA1zYY
— Afchine Alavi (@afchine_alavi) June 18, 2021
L’avantage avec le mot ‘élections’, c’est qu’il suffit de changer une lettre de place pour voir de quoi il s’agit réellement. En Iran du moins, les choses sont claires. Le processus électoral procède d’une logique implacable interdisant toute surprise. Au départ, des centaines de personnes présentent leur candidature à la fonction présidentielle. Après auscultation méticuleuse et pas vraiment désintéressée, un organe se charge de valider ces candidatures et de rejeter ou de qualifier les prétendants ; le Conseil des Gardiens de la constitution dont les membres sont nommés pour moitié par le Guide suprême en personne, plus haut dignitaire du pays, et pour l’autre moitié par le chef de l’organe judiciaire du pays. Jusqu’ici, pourquoi pas, après tout…
Mais nous aurions dû préciser en préambule que pour avoir une chance d’être sélectionné, il faut obligatoirement être un homme et appartenir à l’une des deux factions politique ; islamique conservateur ou islamique réformiste. Voilà qui réduit déjà monstrueusement les chances de l’homme du peuple. Si l’on ajoute à cela les convenances personnelles du guide suprême, on s’aperçoit que le processus de validation apparaît plutôt à ''faire passer un chameau par le chas d'une aiguille''.
Un processus hypocrite en place depuis 40 ans
Et quand on évoque les convenances du guide suprême, on parle bien entendu de son discours de la nouvelle année Iranienne, fin mars dernier. Discours au cours duquel Ali Khameneï avait appelé à l’élection « Unipolaire » en déclarant : « Evitez les tendances, les divisions et la bipolarisation ». Des intentions transformées en actes par ladite commission citée plus haut sous l’influence directe du guide suprême et de son dauphin supposé, Ebrahim Raïssi. Car voilà, tous les candidats un tant soit peu sérieux, ou du moins tous ceux qui auraient peut-être pu gêner le protégé du guide suprême, ont été purement et simplement rayés de la liste. Exit donc Ali Laridjani, l’ancien chef de l’assemblée. Dehors aussi Eshagh Jahanguiri, premier vice-président du président sortant Hassan Rohani. Egalement non retenu l’ancien président Ahmadinejad, déclaré, comme ses compères, inapte à se présenter par la fameuse commission.
Ne reste donc qu’Ebrahim Raïssi, le préféré du despote accompagné de six figurants dont la moitié se sont désistés, comme convenu. A ce stade, il est bon de préciser qu’Ebrahim Raïssi est le chef de l’organe judiciaire du pays. Jusqu’aux dernières élections, où, on le rappelle, Raïssi avait perdu au second tour face à Rohani dans un grand déballage sur les massacres de l’été 88, le système pouvait faire la farce et les chancelleries occidentales pouvaient encore faire semblant de se voiler la face en affichant les résultats ‘d’élections démocratiques’. Désormais, le pouvoir ne se cache plus. Le guide suprême a définitivement opté pour la voie dure, répressive et violente.
C'était 9 heure locale du vendredi matin 18 juin jour d'élection en Iran à Chiraz. Le scrutin avait commencé depuis deux heures mais toujours rien, on attend les électeurs qui ne vont pas venir. pic.twitter.com/3dEvDOw70U
— Afchine Alavi (@afchine_alavi) June 18, 2021
Un boycott général
Oui mais voilà. Un peuple qui lutte pour sa libération depuis des décennies, s’étant fait spolier sa révolution contre le Shah pour voir une autre dictature s’installer, un peuple aussi résilient et résistant que le peuple Iranien, un peuple exsangue qui vit à 80 % sous le seuil de pauvreté, ce peuple n’est pas dupe. Et il le fait savoir. Partout dans les rues, le même slogan s’affiche : « mon vote est le renversement du régime ». Les jeunes, les mères des quelques 1 500 victimes de la répression de novembre 2019… Tout le monde a affiché clairement son intention de ne pas participer à cette mascarade tragique qui porte à la tête de l’état ni plus ni moins que l’un des plus grands responsables de crime contre l’humanité de l’après-guerre si l’on en croit les rapports d’Amnesty International et de nombreux experts des droits de l’homme à l’ONU. D’ailleurs Amnesty réclame maintenant une enquête sur le nouveau président des mollahs iraniens. « Le fait qu’Ebrahim Raïssi ait accédé à la présidence au lieu de faire l’objet d’une enquête pour crimes contre l’humanité est un rappel sinistre que l’impunité règne en maître en Iran », accuse l’ONG.
Car Ebrahim Raïssi est bien connu de tous les ONG de défense des droits humains et des services de renseignement. En 1988, il était déjà membre de la tristement célèbre commission de la mort, responsable de l’exécution de plus de 30 000 prisonniers politiques, pour la plupart des militants des Moudjahidine du peuple (OMPI), respectant avec zèle la dernière fatwa de Rouhollah Khomeiny, prédécesseur funeste de l’actuel guide suprême.
Mais les exactions de ce champion de la répression ne s’arrêtent pas là puisqu’il est aussi responsable des milliers d’emprisonnement et d’acte de torture qui ont fait suite aux arrestations de masse durant les émeutes de novembre 2019.
Alors, pour couronner cette république anti-démocratique et bien enfoncer le message répressif distillé par l’élite religieuse iranienne au sujet de cette sélection présidentielle, on pourra citer à nouveau le guide suprême effrayé devant la possibilité d’une abstention record : « Ne pas aller voter serait un péché capital ». Inquiet de l’abstention, Alam-ol-Hoda, mollah influent de la ville sainte de Machad et par ailleurs beau-père d’Ebrahim Raïssi déclarait le jour des élection dans sa prêche officielle de la prière de vendredi : « Ceux qui viennent aux urnes et déposent leur vote, c'est un vote qui met l'ennemi en colère. Ceux qui ne vont pas aux urnes, votent aussi. Ils votent pour l'ennemi. Ils votent pour les États-Unis. Ils votent pour les sionistes. Ils votent pour Ben Salman. Ils votent pour les hypocrites (terme du pouvoir pour désigner l’OMPI). Êtes-vous prêt à voter pour les hypocrites (les Moudjahidine du peuple) ? Si vous ne votez pas à ce scrutin, alors vous votez pour l'ennemi. »
10% seulement de participation selon l’opposition
Tous les témoins et les observateurs sur place s’accordent pour constater que jamais le peuple iranien n’a autant été déterminé de boycotter une élection. Maryam Radjavi, présidente élue du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), a déclaré que le « boycott national » était le « plus grand coup politique et social » porté au système dirigé par le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei.
« Le boycott a prouvé et montré au monde que le seul vote du peuple iranien est de renverser ce régime médiéval », a-t-elle déclaré.
Selon l’OMPI le taux de participation réel est de 10 % et les autorités le gonfle ce taux en le multipliant par cinq dans une « fabrication astronomique », pour sauver la face sans donner trop de précisions ni détails. La commission électorale a indiqué que Raïssi avait obtenu 62,2 % des voix !
Le constat est clair : contrairement au souhait de Alamolhoda, le peuple iranien semble avoir bien voté pour « l’ennemi » des mollahs quoi qu’en dise les chiffres officiels manipulés.
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