Islamophobie : distinguer l’humain de sa croyance
Le premier ministre turc Tayyip Erdogan a déclaré que l’islamophobie doit être considérée comme un crime contre l’humanité, au même titre que l’antisémitisme. « Erdogan veut que l'on étudie une législation internationale pour interdire les attaques islamophobes, et contre toute religion, et il a promis de soumettre cette question à l’Assemblée annuelle des Nations Unies qui se tiendra le 25 septembre prochain. »
Par cette proposition il assimile deux notions très différentes : l’état de nature d’un être humain et ses choix personnels. Ces notions doivent au contraire être clairement distinguées si l’on veut encore garder du sens à la déconstruction du racisme.
Je rappelle ici ce qu’est le racisme : il se fonde sur l’idée de races différentes, de supériorité d’une race ou ethnie sur une autre, et de discrimination à l’encontre des ressortissants de l’ethnie supposée inférieure. Le critère ethnique est défini par des disposition naturelles acquises de naissance et donc non choisies. Par exemple, une personne de peau noire n’a pas choisi volontairement sa couleur. Elle ne peut rien y changer. Faire de la couleur de sa peau un critère de valeur (positive ou négative) est comme une sentence sans procès et une condamnation sans appel - et cela qu’il s’agisse d’un compliment ou d’un dénigrement. Dire d’un africain qu’il joue forcément mieux du djembé qu’un européen blanc parce qu’il est africain, c’est déjà une forme de racisme.
Paradoxalement, on a pu voir des auteurs d’origine africaine pratiquer une sorte de racisme à l’envers en valorisant spécifiquement la négritude par opposition à la blancheur de peau. Cela fut accepté par les noirs eux-mêmes au nom de la décolonisation et d’une identité spécifique retrouvée. Mais l’aboutissement de la déconstruction du racisme est que les noirs devront un jour abandonner toute référence à leur négritude, comme les blanc le font à leur blancheur de peau. Tant qu’une personne à peau noire se revendique noire, elle se définit dans le prolongement du racisme. C'est d'ailleurs théoriquement valable pour toutes les cultures, appartenances et identités, vouées à disparaître si l'on prend la non-discrimination dans un sens strict. A moins que l'on n'accepte les différences et que l'on baisse un peu la garde sur la peur de la discrimination (l'égalité par absence de marques distinctives est peut-être une impasse, mais l'acceptation de ces marques oblige à accepter aussi d'en débattre).
La lutte contre le racisme est destinée à faire respecter chaque humain au même titre que tous les autres. Rappelons-nous que les européens ont pratiqué la traite des noirs dans le passé, de même que les musulmans (la traite orientale fit 17 millions d’esclaves) et - comble ! - que des africains eux-mêmes ! D’une manière ou d’une autre l’esclavage s’est construit sur l’idée que l’esclave est inférieur à l’esclavagiste.
Le racisme est donc autre chose qu’une détestation ou une peur d’une catégorie d’humains. C’est une théorie et une justification de la domination de certains humains sur d’autres humains en raison de caractéristiques de naissance.
Une croyance n’est pas une caractéristique de naissance comme l’est la couleur de la peau. C’est un acquis culturel et un choix. Ce choix est en général imposé depuis la petite enfance, mais s’il est perpétué à l’âge adulte il s’agit bien d’un libre consentement. On peut en changer. On peut être musulman ou juif et décider un jour de ne plus l’être. Alors que l’on ne peut pas décider de changer de couleur de peau.
L’appartenance religieuse est certes un marqueur fort puisqu’il va de pair avec l’appartenance à une communauté particulière, et souvent à une géographie, à une langue, une littérature, un corps de lois, à une culture. Mais elle n’est jamais irréversible.
Puisque l’appartenance religieuse est un choix il peut être critiqué, au même titre que l’on peut critiquer une choix d’obédience politique. La religion, en tant que cosmogonie non universelle (sans quoi il n’y aurait qu’une seule religion), est une option intellectuelle parmi d’autres. En tant que telle elle est tout aussi critiquable. Il ne viendrait à personne l’idée de dire qu’être libéral ou socialiste est un fait de naissance. C’est toujours un choix et un choix possiblement évolutif. Il en est de même pour une religion. Et cela même si les religions font appel à des mécanismes émotionnels et de soumission qui font penser à l’adepte que son choix est le seul possible - ce qui est bien sûr une escroquerie intellectuelle.
On peut comprendre que les musulmans peinent à accepter la mise en cause de leur religion ou de certains aspects et certaines franges politisées de celle-ci. Mais la raison doit prévaloir sur l’émotion : on ne peut assimiler une croyance, concept choisi, et une caractéristique de naissance. La détestation ou la crainte d’une religion ne saurait être assimilée à de l’antisémitisme ni à une quelconque forme de racisme (voir l'article sur Véronique Genest), pas plus que la détestation du libéralisme ou du socialisme. Cette mise en cause ou détestation d’une religion ne signifie pas non plus que l’on dénie toute valeur, conscience et humanité au croyant.
En terre de liberté, la critique d’une religion et de la manière dont ses adeptes la pratiquent n’est pas un racisme.
Image 1 : Tayyep Erdogan, premier ministre turc. Image 2 : H. Horeau, Marché aux esclaves d’Alexandrie.
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