J’ai l’air musulman, je suis Belge... et je n’ai pas de comptes à rendre
Fiction : "Si si... Avec ma gueule de métèque, mon sourire en pastèque, un pseudonyme vaguement exotique et des affinités affichées pour les islamo-bamboulas, j’ai d’office un avis bien sous-entendu sur la question primordiale et ses annexes historiques. "

suite fiction : ...et si j’osais dire moi aussi que j’en ai rien à foutre de ce malheur si lointain, est-ce de la distance raisonnable avec un évènement qui ne me concerne pas nationalement parlant ou de l’outrecuidance à visage antisémite ?
Au ô ô secours ourrr j’ai besoin d’amou—ou-our...
...Chantait France Gall lorsqu’elle avait encore le coeur à crier après des chimères.
Ah si j’avais eu sa voix fluette, sa blondeur angélique, sa taille qui fait de la sucette, suprême récompense des esprits innocents, un plaisir candide, j’aurais pu, moi aussi crier de toutes mes larmes, comme une vraie petite bonne femme, que j’ai besoin de cet amour là. De cette reconnaissance là.
Oui oui, chers compatriotes, chers citoyens, amis de la démocratie, oui j’aurais pu dire tout ça avec un air gentillet comme ça. Mais ma voix rauque, de plus en plus rauque avec les années et les cigarettes, est sans doute ainsi retranscrite, et ne peut produire qu’un rire nerveux de douleur, qu’on dira teinté de haine et de fureur : waaaarghffffffff, grrr waf waf grrr... sans doute cela est bien désagréable à l’oreille républicaine vigilante à déceler la moindre fausse note, mais j’ai un air qui fait la chanson, collée comme une araignée au plafond. .
Rien, donc apparemment ,qui ne mérite de reprendre en choeur une quelconque mélodie de tristesse...Ah oui, c’est vrai aussi que je m’appelle Ramila pas Jouzifine, encore moins France et j’ai pas l’air d’une princesse..
Faut pas rêver.
Ramila, un prénom qui déclenche à lui seul l’imagination des plus prodigues fils d’Abraham du proche et du plus éloigné Orient...Surtout du proche...Du coup quand je crie mon désespoir, à ma façon certes, on crie, en comité restreint , mais je ne suis qu’une anonyme, à la propagande antidémocratique, au prosélytisme du mal, au retournement de veste.
Ô triste destin auquel on disait vouloir le plus grand bien. J’étais comme le corbeau, de la fable de La Fontaine, perchée sur mon arbre, le fromage dans la bec, à me faire lisser le plumage : "Que vous êtes jolie, que vous êtes beau...heu belle, que vous parlez bien français, et vous êtes athée.. merveille de l’intégration ... une Arabe pas comme les autres"...
...Chui pas Arabe m’sieur et j’aimerais bien rencontrer un Dieu ...
Ah bon ?
Ben ouais, genre Adonis...Bref, depuis que j’ai ouvert mon bec, j’ai terni mon ramage, un bruit de fond, jusque-là si délicieusement discret d’Arabe pas comme les autres.
De toute façon, l’infamie touche même les exceptions. Sauf qu’aujourd’hui, tout dépend de qui vous fréquentez, qui vous fait marrer, ce que vous écrivez ou même qui vous lisez. On en est là, m’man, presqu’à brûler des livres au nom du sacré.
Ah maman si maman si, si tu voyais ma vie
Immigrée imaginée, je vis sa vie et donc, j’en suis.
Diplômée au casier judiciaire vierge, prouesse de banlieusarde sage et muette, au bord de la dépression, il ne me fallait pas grand chose pour toucher le fond. Quelques insultes, un peu de dénigrement conspuant mes liaisons dangereuses sur fond de petit quart d’heure de gloire bien malencontreux. Depuis, des amis qui se débinent et qui promettent de changer de trottoir la prochaine fois qu’ils vous croiseront, des commentaires murmurant que tout porte à croire qu’elle en est, que la bête immonde sommeille en elle, qu’elle a l’air bizarre depuis longtemps ...
Rien de grave au fond. Je n’y suis pas encore, moi, sur ce fameux trottoir, tout seul, dans un car, face aux délations hurlantes dans le vide et la nuit...Et il faut rester debout malgré tout, pour ne pas risquer de passer pour un criminel ou un fou, si jamais on répliquait aux coups ou au poids de la suspicion tout en finesse mais qui coûte la peau des fesses, là, sur la voie publique, devant des témoins, citoyens si honorablement et juridiquement critiques.
Alors quoi ? Montrer patte blanche à chaque fois ?
"Résiste, prouve que tu existes"
Ah nan pas encore des preuves à donner, Pas question.
Pas envie de rendre des comptes encore et encore. de toute façon ma patte est noire jusqu’à la lie. C’est génétique, pas de panique.
J’existe, je suis Ramila de nulle part, déplacée in utéro, dans les années 60, pour les besoins des usines Renault. A ma décharge, un lieu de naissance qui est le fruit du plus grand des hasards, un parcours sans faille, une famille sans racaille mais une généalogie bizarre sans la moindre trace d’ADN suspect et phénotypiquement sans tare. Et pourtant...
Sédentarisée, intégrée, assimilée, cataloguée mais jusque-là attachée à mon quartier, aujourd’hui, c’est retour à la case zéro : celle de l’apatride, de l’excommuniée, pour celle qui fait partie du peuple vraiment élu pour vraiment errer toute sa vie où qu’il soit, mais seulement à cause de l’air qu’il a..
Romula : maman de Galère, empereur romain de père Bulgare.
Galère.... Elle était donc là la filiation et l’air fait bien la chanson. (1)
"Il jouait du piano debout, quand les autres étaient à genoux"
Vas-y toi... Essaie de jouer du piano debout dans une galère qui tangue et sans les rames...Alors que faire ?
Accepter d’appartenir de fait à la race des médiocres, parce-qu’on a le profil pour ça et ne servir à rien d’autre qu’à creuser son trou encore plus profond, histoire de faciliter le passage de la prochaine quenelle. S’enfuir. Devenir impotent : sourd, aveugle, muet ou pire résilient...Renoncer même à la foi qui vous laissait l’illusion d’appartenir à une espèce digne ?
Se révolter, devenir aigre devant l’injustice flagrante, le deux poids-deux mesures, vivre dans le dégoût permanent de ce monde et de ses dieux qui se fichent pas mal de nous ?
Ou rester entre-nous, juste pour l’honneur et le rire, nous, les pauvres, les humiliés, les déçus, les insatisfaits, les frustrés, et combler notre horreur du vide avec ce qui nous reste, soit quelques miettes. Se donner l’illusion qu’on vit debout quand nos jambes plient sous le poids de la peur et des coups ?
Alors oui d’accord, pour rire, écrire ou se parler, s’engueuler si il le faut, mais se respecter sans se traiter d’enfoiré ou d’illuminé, pour moi c’est entendu, mais aussi éviter les politesses intellectuelles embusquées pour décerner du raciste ou de l’antisémite systématique.
A fortiori quand, avec le recul et les avis éclairés, il est notoire maintenant que la meilleure position, la plus sereine et la plus dilligente est de prendre de la distance avec les crimes qui ne nous concernent pas. C’est même un droit.
Oyez oyez citoyens de toutes obédiences, de toutes allégeances, enfants de tous pays et de toutes couleurs, moi aussi j’ai mal au coeur, mais c’est pas pour ça qu’on va généraliser le malheur.
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