J’ai mal pour la France
Analyse (forcément) partiale de l’élection de Barack Obama et de ses répercussions en France.
La stupeur et le dégoût.
Tels sont les sentiment qui m’ont submergé à l’écoute et à la lecture de nombre de nos distingués analystes médiatiques à la suite de la victoire de Barack Obama.
Oubliée la victoire à l’arrachée de l’inconnu lors des primaires face à Hillary Clinton, la candidate désignée d’avance et soutenue, on l’imagine, par tout le poids de l’appareil du parti démocrate (toute ressemblance avec une autre candidate à la présidentielle française de 2007 serait pur mauvais esprit).
Oublié le courage du seul sénateur à avoir voté "Non" à la seconde guerre en Irak à contre-courant du raz-de-marée nationaliste post 11 septembre.
Pas d’avantage n’est évoqué ce curieux pied de nez de l’histoire, qui voit l’élection à la présidence des Etats-Unis d’un individu dont le second prénom est "Hussein", dans un pays élevé depuis 1991 dans la terreur d’un autre Hussein, Saddam Hussein.
Non, la seule question qui semble passionner nos éditorialistes, c’est celle, qui a certes son importance, de l’entrée d’un noir à la Maison Blanche.
"L’élection présidentielle américaine sera une sorte de référendum grandeur nature pour savoir si oui ou non les Américains sont encore racistes" pronostiquait-on sur RTL à la veille du grand rendez-vous.
Entendu sur la même antenne, après l’élection et dans la continuité de l’interrogation précédente, "les Etats-Unis ont élu un Président noir, serait-on capable d’en faire autant en France ?".
Certes, il serait malvenu de minimiser l’importance des questions "raciales" à l’intérieur d’une nation où les mouvements visant à donner aux Afro-américains les droits civiques datent des années 60, c’est-à-dire d’hier.
Pourquoi, néanmoins, réduire, et d’une façon si obscène, cet événement à cet aspect ?
Dans Le Monde daté du 6 novembre, un certain Pascal Bruckner, "spécialiste des USA", plastronne :
"[Barack Obama à la Maison Blanche], l’Amérique cessera d’apparaître comme un pays de racisme et un pays comme la France apparaîtra d’autant plus comme un vieux pays conservateur, prudent".
Cette analyse, d’une finesse de pachyderme, fournit quelques éléments d’explication à la "frénésie raciale" qui a saisi la France.
Interrogeons d’abord le passé de son auteur qui fut, jusqu’à récemment, un furieux contempteur de "l’antiaméricanisme des Français" et de la politique "munichoise" de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin qui ont refusé d’engager le pays dans l’épopée en Irak.
On comprend aisément qu’il soit nettement plus confortable, pour notre analyste patenté, de mettre en exergue une couleur de peau plutôt que les choix d’Obama en 2003. Nul doute qu’en France, le vote d’un Parlementaire contre la guerre en Irak serait passé pour de "l’antiaméricanisme" primaire. De même, n’en doutons pas, sa volonté de "négocier même avec les ennemis de l’Amérique", à rebours du fameux "Axe du Mal" complètement irrationnel de George Bush, l’aurait fait passer pour un munichois aux yeux de certains analystes français.
Deuxième avantage d’une telle analyse, elle permet, en faisant le parallèle France - USA, de mettre en accusation une France vieillie et conservatrice incapable de faire toute sa place aux hommes de talent et de couleur. "La France" en général d’ailleurs, plutôt qu’une certaine élite française adepte de la cooptation, du cumul des mandats...et des responsabilités.
Si tant est que les situations des deux pays soient comparables bien sûr, puisque la France n’est pas à proprement parlé un pays créé par l’immigration, à la différence des USA. Et que, comme le montre le même numéro du Monde, si les élites états-uniennes sont accueillantes pour "la diversité" (pourvu qu’elle soit compétente !), dans la sphère privée, les mentalités "ségrégationnistes" persistent. À la différence de la France, où les élites se reproduisent entre elles mais où la population dans son ensemble est beaucoup plus ouverte (les mariages "mixtes" y sont monnaie courante alors qu’ils sont rarissimes aux USA). Mais nos analystes patentés adeptes du...tout blanc tout noir, n’y font pas allusion.
Au fond l’élection américaine et certains commentaires qu’elle suscite en disent beaucoup plus long sur ceux qui les profèrent que sur leur objet.
Quelle meilleure illustration d’une certaine "élite" française, médiatique plus que scientifique d’ailleurs, d’une médiocrité insigne, d’un manque de clairvoyance et d’un autisme rares, à la représentativité inversement proportionnelle à sa capacité d’intimidation, dont l’un des seuls ( ??) fil conducteur idéologique semble être de clouer la France au pilori ? Si ce n’est une fantastique capacité d’adaptation à l’air du temps (d’Outre-Atlantique) et une non moins formidable faculté de retourner sa veste en conséquence qui forcent l’admiration, on cherche souvent à la loupe ses apports à l’intelligence humaine...
Effectivement, peu d’autres pays (du moins espérons le !) verraient les mêmes personnalités célébrer un événement contredisant radicalement ce qu’elles portaient aux nues la veille encore, après avoir tenté d’embrigader le plus de monde possible derrière leur cause...
S’il est un des enseignements volontairement gommé de cette campagne américaine, c’est aussi le formidable coup de balai, en forme d’insurrection démocratique, donné aux apparatchiks par la base militante lors de la désignation des candidats, puisque ni Obama, ni Mac Cain d’ailleurs, n’étaient prédestinés à être choisis. On comprend que nos propres "élites", accrochées sur leur piédestal, ne veuillent guère s’y attarder : ça pourrait donner des idées. Et on sait, précisément depuis le référendum de 2005, que les Français sont eux aussi capables de telles insurrections menées en dépits des exhortations médiatiques officielles.
Et ne l’oublions pas, Nicolas Sarkozy, avant de réciter les discours patriotiques d’Henri Guaino, qui firent beaucoup pour son élection, le temps d’une campagne électorale, avant de clamer en janvier 2007 aux gogos qui l’ont cru qu’il avait "changé", Nicolas Sarkozy donc, fut, dès 2002, aux lendemains de la réélection de Jacques Chirac, le candidat de cette "élite" médiatique pressée de "normaliser" la France en l’alignant sur les vents dominants venus d’Outre-Atlantique.
Cette élite enthousiasmée par un quinquennat délétère, comme une marche triomphale sur l’Elysée, où le Ministre de l’Intérieur, "moderne", lançait quasi quotidiennement ses piques au Premier Ministre et au Président de la République, "ringards", faisant fi de toute solidarité gouvernementale, et, tout simplement, de tout sens de l’Etat. L’apogée fut probablement atteint lorsque Nicolas Sarkozy alla critiquer les choix de politique étrangère de l’exécutif, pourtant soutenus massivement par les Français, en direct de Washington. À moins que ce ne fut en novembre 2005 lorsque la surenchère sur l’insécurité, cette fois provoquée par le Ministre de l’Intérieur, causa par ricochet trois semaines de violences nocturnes dans les banlieues, devant le monde entier incrédule.
Il n’est pas question pour autant d’idéaliser la présidence d’Obama, qui, et c’est bien normal, défendra d’abord les USA y compris contre le reste du monde. Tout juste peut-on espérer, de notre point de vue, une présidence américaine un peu moins autiste. Mais c’est déjà beaucoup.
Néanmoins, quel spectacle nous offre aujourd’hui, à l’heure de la crise financière planétaire, notre gouvernement ?
Celui d’un baladin, contraint de jouer des vieilles ficelles pour faire tomber dans le panneau ses opposants, avec des thèmes comme "le travail jusqu’à 70 ans" imposé sans débat, ou, dernière trouvaille, la rémunération des fonctionnaires, payés "au mérite", c’est-à-dire à la prime et au chiffre d’affaire comme des commerciaux, sortie par André Santini, qui excelle dans le rôle du rigolo de service.
Inutile de préciser que ces blagues n’amusent plus personne.
Oui, l’élection de Barack Obama devrait faire réfléchir les Français, mais pas de la manière dont on veut bien nous le dire.
Soyons sûr que les Français l’ont bien compris aussi.
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