Je crois donc j’existe

Premièrement, penser, c'est être en conversation avec soi-même : c'est une sonate ! Deuxièmement, exister, c'est être en relation d'interdépendance rapprochée avec le monde et les autres êtres ; c'est un concerto (littéralement : converser, se concerter). Enfin troisièmement, vivre, c'est s'augmenter dans tous les sens du mot (s'accroître de plaisir, de joie, de bonheur) et c'est une symphonie, la symphonie du vivant ! Je m'en tiendrai à essayer de démontrer le point deux.
Descartes a montré l'identité entre l'être et la pensée par son "je pense, je suis". En ôtant le "donc" du premier énoncé du cogito, il dit que nous ne pouvons pas penser sans être ni être sans penser. Dire "je suis" ou dire "je pense", c'est du pareil au même, les deux choses se confondent.
Il a donné sa définition de la pensée et elle est très large, bien plus large et qui va bien au-delà que la seule faculté de douter. Mais sa définition n'englobe pas la faculté de croire. Où se range-t-elle donc ? C'est ce que nous allons voir...
Pour René Descartes, "croire" est exclu de la pensée
« Par le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons par nous-mêmes ; c’est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, sentir aussi est la même chose ici que penser. (...) Si j’entends parler seulement de l’action de ma pensée ou du sentiment, c’est-à-dire de la connaissance qui est en moi, qui fait qu’il me semble que je vois ou que je marche, cette même conclusion est si absolument vraie que je n’en puis douter, à cause qu’elle se rapporte à l’âme, qui seule a la faculté de sentir ou bien de penser en quelque façon que ce soit » (Principes de la philosophie). Penser pour Descartes, se confond avec l'activité de l'esprit dans son ensemble, c'est -à-dire aussi « regarder comme présents avec les yeux de mon esprit. » (Méditation III).
Au départ, il semble que Descartes ait voulu pourtant, comme les sceptiques, réduire la pensée au seul fait de douter : « Je suis une chose qui pense, c’est-à-dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui connaît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. »
Son idée de la pensée s'est beaucoup étendue dans ses définitions. Pour autant "douter" reste au coeur de sa philosophie de la pensée. Pour cette raison, "croire" ne peut qu'en être exclu. L'action de croire ne figure ainsi pas au nombre des formes de pensée que cite le philosophe. Il dit bien "imaginer" mais imaginer et croire sont deux choses différentes.
René ayant exclu "croire" de la sphère de l'être et de la pensée, se trouva bien dépourvu quand il fallut parler de Dieu. Pas de place pour "croire" et, donc, pas de place non plus pour Dieu ! Alors, il alla trouver ses amis les dramaturges pour leur emprunter la combine du deus ex machina qui vient tout résoudre finalement, sans cause et sans explication.
Quant à moi, je m'en sortirai par une voie autre : la logique déductive. Si la faculté de croire (au sens plus fort que la simple confiance instinctive, animale, en un mot naturelle) est exclue de la sphère de la pensée, il faut en déduire alors qu'elle appartient à l'autre sphère, celle de la faculté d'exister. D'où mon "je crois donc j'existe".
Penser est une réalité, exister est une quête
La première affirmation, "penser est une réalité" ("être") est déjà énoncée dans le cogito. La seconde, "exister est une quête" ("croire"), est ce que je propose. Croire pour l'être humain est une action en très grande partie mentale et il s'agit d'un désir, plus exactement d'une quête et cette que^te paraît sans limites.
"Croire est une quête" signifie que l'individu cherche à exister par son positionnement dans le cosmos, le monde, et la société qui est la sienne, ainsi que dans le temps présent et à venir (gloire posthume).
Exister, c'est se penser
Etre c'est penser (Dixit Descartes).
Exister c'est se penser.
Avec cette seconde affirmation, on entre dans le champ du relatif, contrairement au cogito qui s'exprime en termes d'Absolu (le champ universel et intemporel). Le relatif du j'existe" consiste, pour l'individu, en une quête. Il cherche :
- à se situer dans le temps et l'espace dans lesquels il évolue (contrairement au cogito),
- à savoir ce qu'il est pour le monde et dans le monde, ce qu'il est par rapport aux autres êtres vivants (aux animaux, à ses semblables, aux autres peuples) et enfin, ce qu'il est dans la conscience d'un être supérieur : Dieu.
"Je" n'existe qu'en rapport au monde et aux autres. Et "je" existe d'autant plus que la conscience de ces relations m'est favorable et me gratifie. Par exemple, si je me qualifie d'être vivant supérieur à tout le règne animal, il est évident que je me mets au-dessus et j'existe alors sur un plan existentiel valorisant pour moi. De même, si je crois à un être supérieur qui m'a créé et qui pense à moi, je me construis une image flatteuse de moi et je satisfais ma quête d'exister plus. Pensez donc ! Un être supérieur, créateur de 'lUnivers, qui se soucie de ma petite personne et jusqu'à mon devenir après ma mort, c'est inespéré !
Tant que l'on se cantonne à la pensée, la croyance reste limitée. Mais, que l'on se place dans la sphère de l'existence, et la croyance alors s'emballe car on est en quête fébrile de réponse et d'extension de nous-même. C'est par une poussée d'existence et non par la stricte pensée que Descartes a énoncé sa "preuve" de l'existence de Dieu. Il a quitté la sphère de la pensée cartésienne pour recourir à la sphère du "croire", du "se sentir exister".
Un précepte qui marche aussi pour les plantes et les animaux
Croire est surtout une opération mentale mais on ne peut pas la réduire à cela. A l’état naturel, la confiance que peut avoir l’être vivant est relative au milieu et à ses propres capacités et ressources. Si l'on observe un animal, on voit qu'il est tantôt audacieux tantôt prudent, voire méfiant, peureux, selon qu’il croit ou qu’il ne croit pas son action possible et utile. L'origine de la croyance est donc là, dans cet instinct primitif, dans la confiance ou la peur. Croire est d'abord physiologique.
Pour l'animal, on adoptera une variante de mon énoncé et l'on dira "croire, c'est exister". Ainsi, sans le pronom personnel, cela marche aussi pour les animaux.
Mais les plantes ? Les plantes croient aussi un peu puisqu'elles ne s'étendent que lorsqu'elles se sentent en confiance dans leur environnement et dans leurs propres capacités à se déployer.
Ma conclusion sera écologiste.
Si tout ce qui peut croire sur la Terre s'en tenait à croire à ce qu'il est raisonnable pour lui et pour son milieu de faire, une harmonie naturelle se rétablirait sur notre planète. La plante n'esssaie pas d'être plus que la plante qu'elle est, l'animal ne cherche pas à dépasser sa condition d'animal et sa croyance se limite là, mais l'homme se veut au-dessus de tout et certains se veulent au-dessus de leurs congénères. Croire plus vrai, croire plus conformément à notre nature d'homme et à notre interdépendance avec la nature consisterait à réduire nos prétentions à nous sentir exister plus ou plus que les autres. Tout serait réglé sur le principe "le gouvernement de la Nature, pour la Nature et par la Nature".
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