Je n’ai rien à dire...
...juste à égrener une lassitude inquiète, encore amoureuse mais les yeux pleins de larmes, ce n'est pas un cauchemar qui a pris place au rêve, pas une résignation pour un combat vain ; c'est juste une submersion de fadaises, je suis écrasée par la futilité et j'ai beau en chercher tous les motifs, en pardonner tous les abus, c'est le corps qui me manque.
Ailleurs, le monde bouillonne de vie, c'est quoi cette solitude ? Cette démission ? Ou ces groupes sans prouesse ? Ah ! Jeunesse, que n'es-tu à ruer, à inventer ta vie ? Que ne vas-tu au devant des combats qui te guettent ? Qu'attends-tu à la porte d'un monde clos ?
Au fond de notre logis, les informations importantes finissent par nous parvenir : Caroline Fourest est une lesbienne islamophobe, Gérard Depardieu un traître à sa patrie qui l'a tant aimé, le pape se dégonfle.. et je me demande ce que j'ai bien à faire de ces gens-là ; le dire, pour garder ma voix. Je n'ai rien à dire dans un monde qui s'articule autour de millions de menus riens, un treillis qui se fait nasse ; j'étouffe.
Retourner aux lilas décharnés, les guetter jusqu'à ce qu'ils bruissent à nouveau, qu'ils sentent ; j'aime tant le lilas. Éphémère commun vivace ; tailler les rosiers, semer la fève dans le contraste des lumières de printemps et jamais pouvoir les retenir. C'est une peine de ne pouvoir s'éterniser sans fatigue.
Quelquefois un grand rire jaune.
Pour tenir quelque chose il faut que je vois mes mains sinon mon cerveau s'éreinte et tintent dans ma voix les accents du fado du tango ou de la milonga ; et Archie Shepp n'y est pour rien s'ils sont devenus rares les moments où je l'aime.
Pour avancer il faut que le sol soit dur sous mes pas et je n'ai pas besoin de balises mises pour que je m'enlise ; laissez-moi faire je ne vais pas loin.
Quand je marche jusqu'au gué en sortant du jardin, quand je vois les chiennes courir dans l'eau en giclées d'argent qui s'éparpillent et s'effacent dans les rayons bas d'un soleil couchant, quand je vois leur jeunesse et leur folle énergie, je trouve que l'homme est bien entravé d'obligations absurdes et parasité par des centaines d'informations qui n'ont guère vocation à son élévation.
Je me suis protégée de ces débordements pendant toute ma vie, n'aimant guère la vitesse ni la surabondance ; internet a changé la donne. Ne serait-ce que dans mon activité politique, je suis surinformée et si j'ai pu tout lire et tout voir et tout entendre de ce que je recevais pendant un court moment, je me suis vite rendue compte que ma lecture n'était plus attentive, jamais doublée et que de ce que j'avalais, il ne restait qu'une trame : l'idée donc que je me faisais des choses n'était pas plus riche que celle que je nourrissais précédemment. Le manque crée le désir, le désir est une énergie qui, dans ce cas, développe la pensée. Il y a bien entendu des esprits plus agiles que le mien, habitués depuis l'école à surfer – le mot n'est pas un hasard !- sur ces vagues de données vagues, d'en retenir dans l' immédiatement utile les éléments resservis, agencés autrement. Lisons quelques coupures de presse sur un même sujet, c'est flagrant : la pensée est absente. Certes on détecte le camp politique et cette attention nous est même épargnée dès que l'on connaît l'auteur. Pléthore inutile. À tel point que si l'on tombe sur une pépite iconoclaste, on n'y croit pas.
Je ne lisais donc les « nouvelles » qu'à travers leur analyse par certains en qui j'avais confiance, alimentant cette confiance par une lecture épisodique d'autres points de vue.
Je n'étais au courant de rien dans l'avant-garde mais, une semaine ou un mois plus tard dans le tri fait par mes analystes préférés. J'en savais bien assez.
Depuis dix mois que je suis assidue sur Agoravox, je me suis plu à lire divers articles sur le même sujet, renseignements donnés sur l'auteur plus que sur le contenu de la prose. Nous sommes chacun sur des voies qui parfois se rejoignent ou s'imbriquent, gares de triage rendues plus complexes par les commentaires, commentaires qui donnent à penser, contredisent ou approuvent et sont, pour moi, toujours, le moment de rester sur un sujet, d'y réfléchir et cela même quand ledit sujet est futile. À tel point que l'envie de mettre mon grain de sel s'impose souvent, même si je n'ai rien à dire ! C'est une forme de convivialité, de participation qui m'enchante. Je ne saurais lire tous ces articles sans m'y impliquer.
Les tracés de ces rencontres peuvent être figurés par la théorie des ensembles : chacun possède avec chacun un petit espace en commun, celui-ci s'accroît ou s'éclate ailleurs, bien que sur des centres d'intérêt donnés, on retrouve les mêmes ! Des électrons qui circulent à toute allure, clashent quelquefois, se retirent dans un aparté et, au début, donne l'impression d'un petit monde cohérent où tous se côtoient et se connaissent, comme s'ils buvaient un coup ensemble au bistrot chaque soir. Manque le vin, c'est sûr !
Pourtant, et à la longue, l'effet de nouveauté s'estompe et la lassitude gagne ; j'ai envie parfois de crier « Ne dîtes pas tous la même chose ! Ne dîtes pas chacun toujours la même chose ! car il ne reste plus alors que votre talent ou votre humour, votre arrogance ou votre insignifiance. »
Sans doute n'y a-t-il pas ici plus qu'ailleurs le dessein d'une réflexion ou d'un progrès, d'une avancée, d'une conscience ou d'un partage : la distraction ne suffit pas ; elle est bienvenue, parfois, elle est frustrante aussi.
Je sais bien qu'il faut des millions de graines pour qu'une seule germe ; je sais bien qu'il faut des millions de spermatozoïdes pour qu'un seul féconde l'ovule, que des millions de mots sont peut-être indispensables pour ne laisser qu'une trace, le passage d'une puce sauteuse !
Néanmoins, le plus flagrant et le plus frappant dans toute cette histoire est l'aspect « addictif » de cette activité ; l'addiction n'est pas la recherche éternelle d'un plaisir éprouvé mais bien la recherche de ce plaisir, dans un sens nourricier, donc satisfaisant ; à chaque détour de page, la recherche de ce qui nous occupera quelque temps, une digestion en quelque sorte ; or, tous ces aliments ne sont pas plus nourrissants que n'est nourrissante la cuisine en boîte ; elle plombe, fatigue et peut rendre malade, mais elle appelle toujours plus de consommation, jusqu'à overdose, jusqu'à l'obésité.
Avec les mots, on n'échappe pas à cette mode incontournable.
Les articles sont lus vite, en travers, quelquefois de travers ; on s'arrête à un os ou à du familier, on se rebiffe ou on s'y pose, sécurisé. Ainsi l'apport d'un point de vue ou d'une réflexion, quand il y en a, passe à la trappe : on ne peut faire évoluer sa pensée qu'en la confrontant ! Et assouvir sa faim en mâchant bien. À avaler tout rond on gêne la digestion : cette nourriture n'alimente pas l'énergie cérébrale ; au mieux – ou au pire, tout dépend- elle ne titille que la volonté de se faire voir.
Ainsi, moi aussi, de m'y être mise, je suis entraînée par ce tourbillon : je parle mais je ne dis rien, les touches de mon ordinateur ne produisent que des formes, restées vides pour la plupart.
Dans chacun de mes articles, une phrase ou une idée me paraissait essentielle ; jamais relevée. Aussi, la conclusion que j'en tire est que ce qui m'est essentiel n'est pas d' une essence qui puisse être partagée ! On me renvoie, bien malgré soi, à mon impuissance ; celle-ci est entendue, pas encore assimilée, mais sa fin inéluctable est : « je n'ai rien à dire ».
Les violettes ont poussé en taches dans les fossés bien exposés ; il faut regarder de près mais les fleurs d'amandiers explosent leurs bourgeons ; dans les jardins les cognassiers donnent du rose vif sur les verts délavés de l'hiver ; le mistral rafraîchit mes narines comme une bouffée de camphre ; elle est là ma vie, juste là et dans cette régularité qui me protège et me console, toute la diversité d'un regard neuf et surpris à chaque fois.
Et triste en rentrant qu'elle ne soit plus partagée, sauf pour un loisir, une vacance...
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