Je reviens du Festival de Deauville...
Les limites illimitées de la vocation publique du Festival de Deauville...

Je reviens du Festival du film américain de Deauville où j’ai expérimenté toute une palette de sentiments entre gris clair et gris foncé : de l’enthousiasme à la satisfaction cinéphile, de la frustration à l’irritation, en passant par le découragement, soit le fond et la forme, en deux mots, si j’ai aimé les films, j’ai détesté le chemin des films, c’est-à-dire, l’ambiance générale cadenassée de l’ouverture à l’extinction des feux. J’ai commencé « mon » festival munie d’un Pass P (public) pour un nombre « illimité » de séances... Le génie de la création par les organisateurs d’un Pass P, c’est qu’en l’achetant, on n’est absolument pas assuré de voir les films, je dirais même qu’en jouant de malchance, on peut passer sa semaine à piaffer derrière les grilles du Centre international de Deauville (CID, lieu des projections officielles)... Un phénomène rendu possible par l’édition de ce sésame à 145 euros pièce en nombre illimité...
Première étape du festival, la cérémonie d’ouverture le vendredi soir avec la projection de The Illusionnist : du film, on ne verra pour les chanceux que le départ en limousine d’Edward Norton de l’hôtel Royal... à condition, soit d’habiter dans le même hôtel que la star de Fight club, soit d’avoir attendu des heures derrière des barricades situées en deux endroits : à la sortie de l’hôtel et à l’arrivée au CID...
Deuxième étape : le film événement du samedi World trade center... un grand moment d’attente avec lombalgies et de céphalées garanties... La ventilation des spectateurs sous les tentes du CID, à la température d’un sauna, est une ingénieuse création d’une pyramide à plat des différences, pour ne pas dire des nouvelles inégalités car plusieurs chemins mènent aux films... Première filière d’accès aux projections : un discret couloir en toile réservé aux pass I (invités) et autres exceptions qui bénéficient du régime privilégié du tapis rouge. Seconde filière : une immense tente subdivisée en deux couloirs séparés par des barrières type manif : à droite les détenteurs de pass P public, à gauche, ceux des pass M média et N professionnels ; dans les deux cas, aucune garantie d’entrer dans la salle de cinéma. Ainsi, pour tenter le World trade center avec arrivée à 18 h dans la file de droite, le film annoncé à 19h30, nous nous entendrons dire à 20 h, après deux heures de piétinement en apnée parmi des centaines de compagnons d’infortune, qu’on peut rentrer chez soi...
Troisième étape : assister aux conférences de presse dont il est écrit noir sur blanc sur les programmes (12 euros) que c’est ouvert au public « dans la limite des places disponibles ». Sauf que la présence de la moindre célébrité change aussitôt les consignes du service d’ordre et ferme les portes de la salle de conférence de presse vitrée dont on peut apercevoir les rangées de chaises vides, parqués derrière une barrière... On vous encourage alors à passer l’heure de l’événement devant un écran de retransmission Canal Plus situé à l’autre bout du temple, voire devant sa télé chez soi canal 34 si on est abonné à Canal Plus...
Pendant une partie de la semaine, soit du lundi au jeudi après-midi, le public peut voir les films de la compétition dans la journée (11h et 15h) sans trop de tracasseries, exceptée la paranoïa du piratage avec des contrôles sous des portiques d’aéroport où on peut bien passer avec une hache ou une mitraillette mais sans appareil photo... Pour les séances de films en avant-première de 20h30, c’est plus difficile... Emmanuelle Béart le dimanche soir pour Un crime ou Vin Diesel le mercredi soir pour Find me guilty et le bouclage en règle des entrées reprend du service...
La RTT et la météo estivale aidant, dès le jeudi, la fièvre du samedi soir est de retour ramenant de Paris son lot de journalistes médiatisés... Ca démarre avec la remise d’un prix littéraire qui fait un tabac lors d’un déjeuner à l’hôtel Royal soudain envahi de caméras... Ca se poursuit avec l’arrivée du couple Darren Arofnosky et Rachel Weisz pour la première de The Fountain, auquel personne ne comprend rien mais tout le monde hurle au génie...
L’excès de VIPsation des participants entraînant la privatisation progressive du Festival de Deauville, on est étonné du discours officiel des organisateurs vantant la vocation publique du festival. L’impossible hybridation entre un Cannes envié et un Festival Paris-Cinéma, qui est un exemple idéal de festival ouvert au public, donne un drôle de produit destiné à... la couverture presse sans doute... La suppression du prix du public et de son jury, remplacé cette année par le prix de la fondation Cartier (qui a racheté un bâtiment classé près du Royal, dernier lieu à la mode) flanqué d’un jury bis très hype (dont Lou Doillon, Audrey Marnay, Emilie Simon) va encore à l’encontre des intentions populaires affichées...
En revanche, l’annonce d’un village US pour distraire le bon peuple a avorté pour l’implantation de quatre malheureux stands vendant tee-shirts et programmes avec une particularité : l’absence totale de buvette et de distributeurs de boissons dans toute l’enceinte du CID, impossible de se procurer même un verre d’eau dans cette oasis en pleine côte fleurie... Pour se désaltérer, il faudra attendre le mardi 5 septembre à 18h l’inauguration de la place Claude Lellouch par la mairie qui semble, seule, avoir enregistré la vocation publique du festival, et offre ensuite du champagne à tout le monde... Une joyeuse bousculade sous le soleil pour apercevoir la Mustang d’époque, réplique de celle d’Un homme et une femme avec Claude Lellouch au volant et sa passagère Anouk Aimée, sûrement un des rares moments sympathiques du festival...
Sur mon blog CinémaniacritiC, la chronique quotidienne de ce festival avec les critiques des films que j’ai pu voir.
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