Je vous plains, monsieur Valls
Monsieur Manuel Valls je vous plains.
Vous appartenez comme moi à l’espèce humaine et à ce titre avez, autant que moi, droit à certains préjugés bienveillants. Le droit d’être considéré comme un être sensible, intelligent, cultivé par le savoir, instruit par la vie et donc propre comme chacun de nous à grandir et à se grandir… bref le droit d’être considéré comme un " honnête homme". Aujourd’hui je vous plains car vous avez cessé de grandir. Et même vous vous rapetissez. Oh, certes, les sondages, eux, vous portent haut, très haut ! Mais justement… tout votre drame est là
Je vous plains, monsieur Manuel Valls. Vous avez rejoint cette catégorie d’hommes que le mérite et le hasard ont fait émerger de la condition humaine ordinaire. Vous êtes devenu maire, député et peut-être avez-vous rempli ces mandats avec honneur. Aujourd’hui vous voilà ministre, ce qui n’est pas grand-chose. De ce pas grand-chose qui est quand même "quelque chose", puisqu’il s’agit de servir l’intérêt général, vous avez décidé de faire "votre chose" non pas pour servir le bien commun, mais le vôtre. Le vôtre exclusivement ! C’est pour cela que je vous plains. Je vous plains de vous être fait si petit pour grimper si haut sur ce baromètre obscène qui prétend mesurer " l’opinion publique". Oui, je vous plains beaucoup d’avoir cessé d’être un honnête homme !
Je vous plains d’être entré dans ce cercle non vertueux, où certains devant leur miroir rêvent, dit-on, de choses aussi dérisoires que la construction de leur propre gloire. Se rêvent un "destin" comme ils disent avec ce sens du ridicule perdu (soupape pourtant salutaire !) et qui les éloigne un peu plus de l’humanité. Je vous plains de vous être mis dans les pas - triste modèle - de quelqu’un qui occupa jadis vos fonctions et qui de politicien impopulaire chronique est d’un seul coup d’un seul devenu populaire durable par la « "grâce" d’un mot, un seul : " Karcher !" Certains mots "décapants" peuvent faire basculer, non pas l’Histoire, non pas le destin d’une communauté, pas même la nécessaire lutte pour l‘ordre public, mais le "destin" et la "gloire" personnelle d’un seul homme. Vous en êtes là.
Oui, contrairement à ce que claironnent les sondages, vous êtes tombé très bas. Je ne dirais pas, comme d‘autres, que vos propos sur les roms, les musulmans trop visibles, les" ennemis de l’intérieur" sont "inacceptables" ou "nauséabonds", je dirai seulement qu’ils sont indigents, contraires à la raison humaine et une insulte au réel ! Il est vrai que vous avez avec vous quelques alliés de choix. Ceux qui, exercice très à la mode chez quelques intellectuels du nouveau millénaire, opposent sans cesse les faits - donc le "réel !" - aux principes ! Les principes étant qualifiés de « bons », les faits de « cruels ». Pour ces gens-là, le cruel l’emporte sur le bon. Toujours. Et les principes, discrédités, vont bientôt devoir se cacher honteusement sous prétexte qu’ils seraient sans cesse démentis par la "réalité" des faits. Seulement voilà : les faits ne sont pas le réel. Un rom, dix roms, cent roms pris dans des actes criminels c’est un fait ce n’est pas le " réel" DES roms ! Un Mohamed Merah, assassin monstrueux, c’est un fait ce n’est pas le "réel" DES musulmans, ni même de ceux qui pratiquent cette religion avec ferveur ou aspirent à étudier - donc à se grandir - fut-ce avec un foulard sur les cheveux ! Pas plus que jadis un, dix ou cent escrocs juifs ne faisaient le " réel" de la "malfaisance" DES juifs ! Ces rappels de pur bon sens (et non de "bons sentiments") sont aujourd’hui occultés. L’obscurité se pare d’une fausse lueur, celle des " faits" assimilés à un réel globalisant et définitif. Et voici pourquoi, messieurs-dames, LES roms ont « vocation » à être exclus de la communauté républicaine !
Mais vous avez, c‘es certain, d’autres puissants soutiens. L’opinion publique, les sondages. Le "peuple" en quelque sorte ! Vous seriez donc, à votre tour, dans le rôle de celui qui oserait dire ce que "tout le monde" pense. Vieille rengaine dont d’autres, avant vous, ont récolté les fruits. Le "peuple" des sondages vous donne donc" majoritairement raison" sur les roms ! Dans ce plébiscite virtuel qui faut-il plaindre le plus ? Ceux qui applaudissent ou celui qui se fait applaudir ? Vous devinez ma réponse. Je vous plains monsieur Valls de vous réjouir de ces applaudissements et je vous accuse de les avoir sollicités.
Le peuple, dont je suis et dont vous invoquez le soutien, n’est ni bon ni mauvais par essence. Il n’a ni tort ni raison par principe. Mais en démocratie, il a un privilège dont personne ne peut le déposséder : il est souverain. Or, cette souveraineté lui a été ôtée ! Par des traités passés en contrebande, par des conciliabules de décideurs opaques, par l’hyper-puissance d’oligarchies financières incontrôlées, par cette Europe qui, derrière son dos, déconstruit tout sans rien reconstruire, mais aussi par un abaissement de l’esprit critique au profit de la chose mercantile, les mensonges par omission et soumission de nos médias et "experts" et enfin par le cynisme sans limite d’un président - celui que vous servez - reniant les uns après les autres tous les engagements pris devant ses électeurs. Face à tant de dépossessions, d’impuissance organisée, de duperies, de pouvoirs confisqués, face à tant de reniements, et de trahisons impunies, face à tant de mépris du suffrage universel lui-même, le peuple n’est plus, ne peut plus être souverain ! Et la démocratie n’est plus qu’une apparence.
Que peut faire un peuple a qui on a volé sa souveraineté ? Deux choses. Une révolution citoyenne et démocratique pour reconquérir ses droits ou baisser les bras, se résigner, abandonner la partie. La balance en ce temps, penche, semble-t-il, de ce côté ci. En bon démocrate, fils des lumières et de la Révolution vous auriez pu, monsieur Manuel Valls, encourager le peuple à choisir la première option. Vous avez préféré construire votre "popularité" sur la seconde. Je vous comprends. En tant que libéral assumé l’option révolutionnaire vous aurait nécessairement balayé !
L’Histoire nous l’a appris cent fois, on peut tout redouter d’un peuple gagné par la résignation. La mélancolie, le découragement, le désespoir, le dégoût profond du politique, l’abstention électorale, la frustration, le repli sur soi, la haine de l’autre et pour finir son exclusion. En souffrance sociale, un peuple résigné peut vite oublier sa propre histoire. Oublier ce qui l’a fait grandir : la fraternité, la solidarité, la lutte commune des faibles contre ceux qui les exploitent. Oui dans certaines séquences historiques - et celle que nous vivons nous ronge depuis près de trente ans - le peuple peut oublier - ou plus exactement finir par se lasser - d’être généreux, d’être fraternel ! Et c’est là, dans ce contexte d’abandon, de régression que vous avez choisi, vous, défenseur loyal et zélé d’un système économique qui abaisse, opprime, appauvri, désintègre, de frapper votre grand coup !
15 000 hommes, femmes et enfants jetés en pâture à la vindicte populaire. Voilà votre prouesse ! Voilà votre grandeur, monsieur Manuel Valls ! 15 000 miséreux éparpillés dans des campements insalubres, dénoncés, jugés sans appel comme GLOBALEMENT indésirables, in-intégrables et expulsables à vie ! Voilà donc le premier acte "fort" de l’homme d’état qui se rêve un destin ! Voici l’acte fondateur de votre résistible ascension , votre "karcher" à vous ! Et encore, le mot de votre illustre prédécesseur n’était-t-il qu’un coup de com ( car il n’a nullement "karcherisé" la criminalité) tandis que vous, vous agissez, n’est-ce pas ! 15 000 roms pour des sondages flamboyants c’est pas cher payé !
Il est vrai qu’il est plus aisé de dénoncer et expulser 15 000 malheureux que de traquer les fraudeurs fiscaux et les 80 milliards qu‘ils ont volés à la collectivité nationale. Vous auriez pourtant été bien plus à votre avantage, plus "illustre" encore, en ferme adversaire des voyous de la finance et de l’évasion fiscale ! Mais ces gens-là sont sûrement trop loin pour vous, trop organisés, trop "intouchables" par la complexité et les complicités de leur réseaux, la sophistication de leurs outils mondialisés, à moins qu‘ils ne soient, au contraire…trop proches de vous ou de certains de vos amis ! Alors que 15 000 roms, même infiltrés ici ou là par quelques bandes maffieuses, c’est quand même autre chose… !
Comme vous, comme moi, les gens nommés roms appartiennent à l’espèce humaine. A ce titre, ils ont droit autant que vous et moi à des préjugés bienveillants. Vous les leur refusez ! Vous ne leur accorder que le préjugé malveillant, celui qui fustige, globalise, exclut. Et pour quoi, grands dieux ?! Pour des points gagnés sur un baromètre, pour un sommet de hit-parade politique, pour un rêve présidentiel, pour un "destin" majeur... à la mesure d’un Sarkozy !
Je vous plains, monsieur Manuel Valls. De tout mon cœur.
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